Fyctia
44.1 Intrus en vu / Maxine
Les premiers jours après le début de cet enfer se sont résumés en un mot : beuverie. Quand mes mains ont commencé à trembler sans raison, je me suis dit qu’il était temps d’arrêter de me saouler. Même s’il était plus facile de feindre que tout allait bien avec trois grammes dans chaque bras, Eden ne méritait pas que je devienne alcoolique.
Je me suis ressaisie, j’ai décidé de tenir ma promesse faite à Billie. À savoir, me reposer et prendre soin de moi. Ce n’était pas un mauvais conseil en soi. Je n’avais pas eu de vrais congés réparateurs depuis des lustres et je n’avais plus à me soucier de mes clients. Je n’avais pas à me soucier de l’argent non plus.
J’avais signé ce putain de contrat.
Plus par rancœur que par vénalité. Bon, aussi parce que j’étais complètement bourrée, et le mantra que m’avait suggéré Billie m’avait parut tout à fait valide à ce moment-là. Je suis presque sûre qu’aucune femme n’envie la « carrière » de Loana !
La vérité, c’est que j’essayais de ne pas y penser. À Eden et à ce que ça disait de moi d’avoir accepté ce deal. Je m’en suis voulu d’avoir pris cet argent dans un instant de folie. Je tâchais de me convaincre que tout ça n’était peut-être qu’un malheureux concours de circonstances ? Que peut-être, la belle personne que j’avais rencontrée existait bien. Qu’il devait réaliser ses rêves, qu’il avait probablement travaillé dur pour en arriver là et que ces connards de paparazzis ne méritaient pas de gagner. Pour moi, c’était déjà plié de toute façon, autant qu’on ne soit pas deux à trinquer. Je n’avais pas pu me tromper à ce point sur son compte. Il n’était pas comme tous ces gens friqués qui estiment qu’ils peuvent tout acheter malgré les conséquences. Je ne pouvais pas résumer ce que nous avions vécu à une misérable transaction.
Puis je me suis mis des gifles !
Une pour : Naïve ! Quand vas-tu imprimer que ces connards ne se soucient que d’eux !
Une autre pour : Idiote ! Tu es tombée amoureuse ! Et d’un autre con, en plus !
Après ça, j’ai arrêté de l’encenser. Et plus les jours défilaient sans avoir la moindre nouvelle de lui, plus je m’efforçais de ne pas y penser. Mais devinez ce qui se passe quand vous n’avez plus rien à faire, que vous avez le cœur brisé (oui, c’est ce que mon autopsy, pas autopsie hein, pas encore du moins, a révélé) et que vous ne pouvez plus sortir de chez vous parce qu’il y a une horde de paparazzis devant la maison ? Vous cogitez. Sans cesse.
Votre canapé devient soudain votre confident, celui qui subit toutes vos plaintes, votre meilleur ami. En fait, je dirais carrément que j’étais devenue le canapé, vu que l'odeur qu'il dégageait était aussi nauséabonde que la mienne. Les douches, manger et toutes les tâches ménagères, toutes ses choses banales n’existaient plus. Mon cerveau tournoyait à plein régime. Je me demandais ce qu’allait devenir ma vie. Plus je tentais de l’imaginer, plus l’avenir me paraissait sombre.
Dans un élan de bêtise, je me suis convaincue que cette situation ne pouvait pas être si terrible. Pour me le prouver, j’ai eu la superbe idée de me promener sur les réseaux d’Eden. Spoiler alert : il n’y a rien de pire pour se sentir comme une merde et regonfler un égo en berne que de se confronter aux commentaires de groupies jalouses, ce sont les seuls qu’on retient.
À partir de là, le peu d’espoir dont je disposais encore s’est fait la malle avec le reste de ma dignité. J’ai capitulé et refusionné avec mon canapé.
Aujourd’hui, un regain d'énergie soudain m’a poussée vers ma douche. Peut-être que le fait que je ne supporte plus ma propre odeur n'y était pas pour rien. Dois-je mentionner que ma dernière bougie parfumée s’est évanouie à peu près au même moment ? Coïncidence ? Peut-être était-ce un message subliminal m'indiquant que j'avais consumé mon temps d'autoapitoiement ? Ensuite, Billie m’a texté dans la foulée que les paparazzis avaient enfin décampé et que l’heure était donc venue d’organiser un plan d’évasion. Encore une coïncidence ? Un poids d’une tonne s’est ôté de mes épaules et j’ai vu ça comme un signe. C’était le moment de reprendre ma vie en main. Enfin, faire ce que je peux aujourd’hui. Un pas après l’autre. Quelque chose de plus constructif que de me confondre avec mon sofa le temps que ma PIC rentre du travail. Et quoi de mieux pour y voir plus clair que de commencer par remettre de l’ordre chez soi ? Alors depuis ce matin, j’enchaînais les lessives, je briquais ma maison et plus je faisais place nette, plus je me sentais légère. J’étais sur le point de donner la touche finale à cette renaissance quand Eden a débarqué de nulle part.
Oui c’est ça, vous avez compris. Il est là devant moi, chez moi, et il est encore plus beau et charmant que dans tous les films que je ressasse dans ma tête depuis des jours. Moi qui aie écoulé un temps non négligeable à essayer de le haïr, mon canapé peut vous le confirmer. Parce que oui, pour faire mon deuil, j'avais besoin de passer par la case haine et reproche, ça me semblait être une étape cruciale, logique. Est-ce que ça a fonctionné ? Je vous laisse deviner.
Achevez-moi ! S'il vous plaît…
Je suis en état de choc, et j’ai certainement l’allure d’une folle, surtout après avoir jeté mon balai en l’air sans aucune raison.
Je parviens via un effort surhumain à fermer la bouche, empêchant ma langue de s’échapper pour traîner sur le sol. Sol qu’il inspecte d’ailleurs, à la recherche de… de quoi déjà ?
— Où est le corps ?
5 commentaires
Carl K. Lawson
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Il y a 2 mois