Fyctia
43. Débarquement / Eden
Je me retourne avec une lenteur qui trahit mon trac. Une pointe de soulagement se mêle à la déception quand je découvre le vieux monsieur de tout à l’heure se diriger vers moi.
— Bonjour mon petit, vous avez l'air perdu, vous cherchez qui ? me demande-t-il gentiment, un mégot fumant dans le bec.
— Bonjour. Euh oui… en fait, je viens voir Max. Maxine Malone. C'est bien ici ? dis-je en désignant la maison corail.
— Tout à fait, vous n'êtes pas si perdu que ça finalement. Vous n'êtes pas un de ces satanés journalistes, dites-moi ?
Son ton est soudain moins avenant et il me menace avec son index.
— Absolument pas, je les aime autant que vous, je le rassure.
— Tant mieux, il hoche la tête.
On conclut cette brève conversation en se souhaitant une bonne journée, il repart comme il est venu.
J’ouvre le coffre pour récupérer mon sac que je jette sur une épaule. Je sens mon pectoral gauche vibrer sous l’appréhension en observant la maisonnette colorée. Une voiture vintage est garée devant, m'indiquant qu'elle est sûrement chez elle. J'ai pris soin de débarquer un vendredi en fin d’après-midi, juste avant le week-end, afin qu’elle n’ait pas (ou moins) d’excuses pour me congédier.
Je me lance, et plus je m'approche, plus de la musique se fait entendre. Aussi vieille que sa bagnole (je crois), de la soul ou du blues. À chaque pas, les décibels augmentent. J’en déduis qu’elle ne travaille pas.
Un point positif.
J'avance sur la terrasse en bois, ornée de fleurs en pots qui longent un côté de sa maison, pour atteindre l'entrée. La porte est grande ouverte et les enceintes hurlent si fort qu'à moins de crier, je ne suis pas près de me faire remarquer.
J'entre timidement et atterris directement dans un grand salon à la décoration beaucoup plus feutrée et moderne que l'extérieur. Du parquet clair tapisse le sol de la pièce, meublée par des canapés couleur crème. L'ambiance cosy est rehaussée par des coussins accordés à certains pans de murs roses poudrés. Sur chaque recoin disponible, il y a des plantes vertes de toutes sortes et de toutes tailles. Une vraie jungle house. C'est doux et chaleureux, et même si l’endroit me semble nouveau, il y a quelque chose de familier, d’accueillant. J’ai l'impression de m’être infiltré dans un cocon.
Je pivote à droite vers une cuisine ouverte et agrémentée d'un bar en guise de plan de travail. Ce n’est pas immense, mais fonctionnel. J'avance encore pour dépasser une cloison et je m’arrête net.
Trouvée.
Ça ne fait que deux semaines que je ne l’ai pas vu, mais ça m’a paru durer une éternité. Roxy est de dos, en train de passer la serpillière dans sa salle à manger. Elle danse avec son balai en guise de partenaire, dans un mini-short en molleton, dévoilant ses jambes interminables et son petit cul bombé. Ses hanches se balancent au rythme des paroles ambiancées. Mes battements ricochent contre mes côtes dans un tempo identique, je flippe. Car même si la revoir me fait l’effet d’une caresse, découvrir qu’elle ne semble pas du tout désespérée me dévaste. Mon optimisme s’amenuise. Cependant, maintenant que je suis là, autant en avoir le cœur net.
J’inspire une grande goulée pour me ressaisir avant de m’annoncer mais elle me stoppe dans mon élan :
— Take my hand, don't be afraid, I wanna prove every word I say…
Je me mords la lèvre pour me retenir d’exploser de rire. Elle utilise le manche de son outil comme micro, en chantant complètement faux dans un anglais plus qu’approximatif.
Je me racle la gorge, assez fort pour me manifester. Sans succès. Elle est à fond, imperturbable.
Je pose donc mon épaule contre le mur, les mains dans les poches pour attendre la fin du show. Si l’on omet son yaourt, le spectacle est plaisant et ç’a le mérite de me détendre. Ma bite paraît moins d’accord.
Ce n’est pas le moment.
Mental de chips, dirait Max.
Même s’il me reste un soupçon d’espoir, je ne dois pas le laisser m’aveugler avant d’obtenir un semblant de preuve qu’elle ne m’a pas pris totalement pour un con.
Au bout d’une longue minute, elle pivote sur ses chevilles dans un énième pas de danse improvisé et me remarque enfin.
Roxy se fige, bouche béante et yeux écarquillés zieutant de droite à gauche, comme si elle jaugeait les issues de secours les plus proches. Puis sans raison apparente, telle une gamine prise en flag avec l'arme du crime, elle balance son balai sur le côté d’un geste vif avant de planquer ses bras derrière son dos.
Je me retiens de rire. Encore. À la place, j’observe son beau visage. Oui, toujours beau mais bien moins lumineux qu’il y a deux semaines. Ses cernes sont marqués et ses traits fatigués, creusés. Elle a maigri.
Ça me soulage autant que ça m’attriste. Clairement, il y a un truc qui cloche, elle ne semble pas avoir gagné le gros lot. Pas du tout. Et, c’est de ce semblant dont j’avais besoin pour ne pas complètement m’effondrer ou faire demi-tour. Je me sens con de ne pas m’être déplacé plus tôt.
Je survole le sol du regard avant de le reposer sur elle en esquissant un sourire.
— Où est le corps ?
5 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
Karo0924
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Il y a 2 mois
Louisa Manel
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Il y a 2 mois
Louisa Manel
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Il y a 2 mois
Cara Loventi
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Il y a 2 mois