Fyctia

Billie s’approche de moi en me caressant le dos, pour m’amadouer telle une bête sauvage. J’inspire fort alors qu’une goutte de sueur dévale mon dos.

— Et nous pouvons faire en sorte que ça reste ainsi.

— Comment ?

Je retiens mon souffle.

— En leur offrant la romance dont ils rêvent tous.

— Pardon ?

— Eden qui retrouve l'amour dans la ville la plus romantique du monde, avec une civile en plus ! C’est…

— Une belle histoire. Qu'attendez-vous de moi au juste ?

Mon cœur cogne contre ma cage thoracique. J’ai chaud.

— Officialiser votre relation et une garantie que vous ne fréquenterez personne d'autre pendant la durée de cet accord. On vous offre cent cinquante mille euros pour les deux prochains mois (Billie hoquète). Renouvelable si besoin (Billie hoquète). Pour vous dédommager et votre discrétion bien entendu.

J’écarquille les yeux. Il a débité cette offre absurde, comme un robot. Je m’attendais plus ou moins à ce qu’il me demande de la fermer, de m’évaporer… mais ça ? Il veut me payer pour faire semblant ? Je m'accoude au bar pour plonger ma tête entre mes mains. Puis une question me vient :

— Eden est au courant de ça ?

— Bien sûr.

Bien sûr.

Un trou béant se creuse dans ma poitrine. Je ne sais même pas trop pourquoi. C’est moi qui ai tout arrêté. J'ai tellement de mal à croire qu’il espère m’engager pour faire l’escort, alors qu’il sait pertinemment que je ne veux pas être exposée. Finalement, il est comme toutes ces stars qui pensent qu'elles peuvent tout acheter. Une bonne vieille transaction pour sauver les fesses de Sa Majesté Turner. Sans se soucier des conséquences pour les autres, évidemment. Je ne le connais pas aussi bien que j’imaginais.

— Et pourquoi Eden n’est pas venu me le demander lui-même ?

Ducon ferme les paupières comme si je n’étais qu’une capricieuse exaspérante.

— Il est très occupé malheureusement.

Bien sûr.

— Donc, vous souhaitez dévoiler des choses intimes. Ce n'est pas justement ce que vous vouliez éviter ? asséné-je d'un ton sec.

— Tant que l’on contrôle ce qui sort, c'est bénéfique. Le temps qu’Eden valide ses contrats en cours.

Il parle avec ses mains comme un politicien en pleine campagne. Ce mec ne me revient pas.

— Et c’est quoi ce contrat si important ?

Je ne sais même pas pourquoi je discute. Je n’ai pas l’intention d’accepter cette mascarade.

— Ils le sont tous. C'est un jeu de dominos. Si l'un se brise alors, les autres suivront. Et vice versa.

— Donc il a passé six mois à faire n'importe quoi et c'est moi qui vais changer la donne ?

— Il a grillé son dernier avertissement avec vous. Nous avons examiné le web au peigne fin. Vous êtes une perle rare, il y a très peu de photo de vous, aucune qui pourrait vous embarrasser. Vous êtes son ultime chance pour qu’il décroche un rôle important.

— Carrément ? Vous vous fichez de moi ? je pouffe. Merci, mais non merci.

— Il n’a aucun événement de prévu, nous aurions besoin de quelques clichés tout au plus !

Sa voix part dans les aiguës alors que je l'ignore en me dirigeant vers la sortie pour l'inviter à quitter les lieux.

— Juste confirmer que vous êtes sa petite amie, alors ?

L'air confiant qu'il affichait jusque-là s’est définitivement envolé. Je m'apprête à ouvrir la porte quand Billie me retient.

— Vous nous excusez une minute ? elle demande en levant un index.

Ducon acquiesce et elle m’entraîne aussi sec à l’étage en me tirant par le bras et me largue sur mon lit.

— T’es devenue folle ou quoi ? elle m’engueule.

Je fronce les sourcils.

— Et toi ? je rétorque.

— Moi je ne refuserais pas 150 000 euros pour deux mois de… rien ! Tu ne l’as même pas réclamé, cet enfoiré te le propose ! Prends-le !

— Enfoiré ?

Je trouve ça curieux de sa part, elle avait plutôt l’air de le défendre jusque-là.

— Tu lui dis merde hier, il sait que tu crains la presse et aujourd’hui tu te retrouves en première page ! Il ne te donne aucune nouvelle et ce Dupont débarque en déclarant que tu es la candidate idéale pour lui sauver la mise. Ça fait beaucoup trop de coïncidences.

J’étais déjà furieuse de cette proposition scandaleuse, maintenant, c’est pire. Je ne peux même plus me réfugier dans le déni. Il m’a piégé. Je suis vraiment qu'une débile.

Un gars comme lui ne peut pas s’intéresser à moi. J’aurais dû écouter mon instinct. Pour ma défense, c’est un bon acteur. Littéralement. J’ai le don pour développer des sentiments pour les connards.

Billie vient s’asseoir à côté de moi et essuie la larme qui roule sur ma joue. Je ne m’en étais même pas rendu compte.

— Donc, tu penses que je devrais accepter cette mascarade ?

— Tu es déjà grillée Max. Ton visage et ton nom sont partout. Ici, ils ne vont pas l’oublier demain. On peut faire semblant tant que tu veux, mais je le sais et tu le sais. Alors ? Tu préfères être vu comme une conquête d’un soir ou comme son ex-petite amie ? Avec une sacrée prime en bonus.

Je reste bouchée.

— Une ex-petite amie qui pourrait prendre au moins trois années sabbatiques avec cette somme. Bien plus encore si on se tire à Bali. Et d’ici là, ils seront tous passés à autre chose.

Je me couvre le visage pour réfléchir. Il faut se rendre à l’évidence, Billie a raison. Je suis grillée dans cette petite ville, ma seule solution c’est de fuir. Soyons honnêtes, je n’ai pas assez de tunes pour assumer une cavale. Je suis en congé non rémunéré : vive l’entrepreneuriat ! Je n’aurais peut-être plus de client quand je serais capable de reprendre. J’ai toujours le prêt de ma maison sur le dos, ça ne se vend pas en deux jours. Bref, je suis dans la mouise. Je relève la tête en soupirant.

— Tu viendras avec moi ?

— Bien sûr ! Tout ce qui me retient ici, c’est toi. Je n’aurais pas autant d’argent que toi, mais j’ai largement assez de côté pour tenir un bout de temps ! Et je trouverais bien un travail sur place ! Tu me connais !

Je ferme les yeux et expulse tout l’air contenu dans mes poumons.

— Il reste du calva ?