Fyctia

Notre arrivée tardive passe inaperçue. Ils se marrent tous, les yeux rivés sur le tableau des scores. On a remporté la victoire haut la main. Sans surprise de ma part, Max tient la première place, suivie de Tobias. J'ai bien choisi mon équipe ! Et mes deux acolytes s’entendent comme deux larrons en foire. Ils multiplient les high fives, devant l’air pernicieux de Cécile.

— Sans rancune, les copains ? raille Roxy avec espièglerie, provoquant un rire général.

— On a la victoire modeste à ce que je vois, je pouffe en la ramenant contre moi.

— J'avais prévenu !

Elle hausse les épaules sans se départir de son large sourire.

— J'adore cette fille ! s’esclaffe Tobias.

Et moi donc.

— Allez ! Photo de groupe ! clame Blake.

Tout le monde s’agite pour se mettre en place sur le champ.

— Je vais la prendre ! s’exclame Max.

Je la retiens par le bras avant qu’elle s’échappe.

— Le moniteur va s’en occuper, Roxy.

— Non, mais c’est que… je n’aime pas trop les photos, elle grimace.

Je lui sers mon meilleur air de chien battu.

— S’il te plaît, Roxy. Laisse-moi un souvenir.

— Bon… d’accord, elle capitule les yeux au ciel.

Ravi de mon petit effet, je l’attrape par le cou en souriant et la ramène vers le groupe. L’exercice dure quelques minutes et après quelques autographes et clichés pour l’équipe du centre, nous voilà en route pour la discothèque.

***

Nous sommes dans une boîte sélecte, où seules des personnes triées sur le volet accèdent, m'a assuré Blake. Et notre coin VIP se situe dans une zone surélevée plutôt tranquille avec vue sur la piste. Malgré tout ça, je ne suis pas si serein.

J’abandonne Max à notre table un instant, Blake et Cécile me réquisitionnent pour me présenter Gregory Blanc. J'ai déjà maté pas mal de ses films, cet acteur est talentueux. Et très sympa, apparemment. Il fait de l’humour sans se prendre la tête. Pas comme ma coéquipière qui en fait des caisses avec ses rires forcés et ses gestes trop tactiles à mon égard. Gregory semble connaître son manège vu le regard compatissant qu’il m’adresse. Je suppose que le monde est encore plus petit ici qu’à Hollywood.

Nous discutons quelques minutes de son prochain projet qu’il aimerait réaliser. Une première pour lui. Il me tend une perche pour l’un des rôles, le pitch de son scénario me titille. Ou peut-être que c’est la proximité de Roxy qui me motive…

Je me tourne pour lui jeter un œil, mais un poids s’abat sur ma poitrine.

Merde ! Elle est où ? Elle a filé ?

Avec panique, je scrute les alentours, sans succès.

— Tout va bien ? s'enquiert Gregory.

— Désolé, je crois que mon amie en a profité pour s’échapper.

On s’échange nos coordonnées et je quitte le groupe en vitesse. Je m’apprête à texter Max, mais... Elle est peut-être juste aux toilettes ? Ou sur la piste ? J’ai tellement l’habitude qu’elle me file entre les doigts… je perds les pédales !

Je souffle pour reprendre mon calme en m'approchant de la rambarde qui surplombe la foule, et mon pouls s’apaise enfin.

Elle danse avec quelques collègues du staff et Tobias. Je me laisse hypnotisé par son corps qui ondule dans un rythme langoureux, quand une main sur mon bras me surprend.

— Ne t'inquiète pas, elle ne va pas disparaître, laisse-la s'amuser avec… eux, lâche Cécile en prononçant « eux » tout en pensant « les gueux ». Viens ! Il y a plein de monde que j’aimerais te présenter.

Je fixe ses doigts parfaitement manucurés sur ma manche d’un regard meurtrier. Elle les retire comme si elle s’était brûlée.

— Tu devrais te méfier des civils. Ils ne gravitent dans notre sphère que par intérêt.

— Ah ? Vraiment ? je m’esclaffe. Tu côtoies beaucoup de civils, Cécile ?

— Pas besoin. Ce n’est que de la logique.

Son dédain m'écœure. Je tire un rictus et m’approche de son oreille pour qu’elle m’entende malgré la musique.

— Tu me fais penser à mon ex-fiancée.

Je devine à son visage rosi qu’elle se sent flattée. Ses iris pétillent.

— Elle aussi méprisait tout le monde.

Son sourire s’effrite. Tant pis pour l’ambiance sur le tournage, le vase a débordé.

— Tes préjugés sont risibles. J’ai dû supplier Max pour qu’elle m’accompagne ce soir ; parce qu’au contraire de certaines, elle ne tient absolument pas à être vue avec nous. Encore moins à mon bras.

Elle recule d’un pas, la figure tordue de dégoût.

Message délivré.

Je me détourne d’elle et m’amuse à nouveau de Roxy et Tobias qui s'éclatent en dansant d’une manière ridicule. Le morceau touche à sa fin, elle le remercie et s’éloigne vers le bar. Je fronce les sourcils. Il nous reste trois bouteilles de Champagne et sa coupe est encore intacte. Elle interpelle le barman, tandis qu’un gars l’aborde. Il repart. Un autre tente sa chance. Je serre les poings.

Sérieux ?

Encore un autre. Mon sang ne fait qu’un tour et mes jambes s’activent en pilote automatique. Certains me fixent, subjugués, d'autres s'écartent. Je les ignore en me frayant un passage jusqu’à ma geek qui parle toujours à l'un d'eux, la mine renfrognée.

Je coupe la chique au gars en apparaissant derrière elle. Mon regard de tueur semble faire son effet puisqu’il décampe dans la seconde, non sans avoir écarquillé les yeux d’abord. Bon débarras.

J’avance d’un pas de plus et me colle au dos de Roxy en m’appuyant sur le bar, un bras de chaque côté, comme un rempart. Son corps se raidit.

Je ne devrais pas être là. Dans cette position. Aux yeux de tous. Elle n’est pas encore prête pour ça.

— Pardon pour le numéro de mâle alpha, je chuchote à son oreille. C’était plus fort que moi.

Ses muscles se relâchent contre mon torse, ma culpabilité s’apaise.

— Merci, j’avais vraiment la flemme ce soir.

Elle émet une brève pression de sa joue contre la mienne. Comme une caresse. C’est tellement agréable, je n’espérais pas tant de cette soirée.

Tu t’emballes, mec, tout doux…

— T’aurais dû me dire que t'aimes pas le Champagne, je murmure.

Ses boucles me chatouillent le nez quand elle pivote sur son tabouret et je m’enivre de son odeur fruitée.

— Ouais, désolée. On est plutôt fâché lui et moi, elle grimace.

— Oh ! Je vois… je ricane. Une cuite qui aurait mal tourné ?

Une absence éclair traverse son regard, puis elle se racle la gorge.

— On peut dire ça…

J’incline la tête en croisant les bras, les paupières plissées. Un truc cloche.

— Tu…

— Alors ! elle me coupe, affichant de nouveau un sourire radieux. Tu t’amuses ? La soirée est à la hauteur de tes attentes ?

Ou pas... poker face ou égarement passager ?

— Presque. Moi aussi, j’aimerais danser avec toi. On rentre après ton verre ? je propose.

Elle arque un sourcil sexy en sirotant son cocktail et mon pouls s’emballe. Je jalouse cette foutue paille glissée entre ses lèvres pulpeuses.

— Danser, hein ?

Je me mords la joue pour étouffer un rire en hochant la tête.

— Hum, hum.

Sans me lâcher de ses yeux émeraude, elle balance la paille et boit son gin d'un trait avant de le claquer sur le bar.

— Allez ! Profitons de cette ultime soirée !

Ultime ? Sa langue a fourché, n’est-ce pas ?