Fyctia

On attend toujours notre repas et moi, j’angoisse. Je n’aurais jamais dû accepter à cette soirée ! Je n’ai rien à faire dans son milieu.

— Roxy ?

— Hum ?

— À quoi tu penses miss tête en l’air ?

— Ah ? Euh… à rien, je mens.

J'ai réussi à éviter le dîner, c'est déjà ça.

Au Laser Game, pas besoin de parler. Ça ira, je serai dans mon élément !

Oui !

Je me demande quand même comment les nanas comptent assurer en tenue de soirée. Courir en escarpin… très peu pour moi. Je ne suis pas aussi à l'aise que ces déesses qui foulent les tapis rouges.

Eden plisse le front, soucieux.

— Ça va mieux avec tes projets ? T’as l’air K.O aujourd’hui.

Je pince les lèvres et me rappelle que je devrais changer d’anticernes.

— Bof. Ça devrait s’améliorer à partir de la semaine prochaine. C’est juste que je ne dors pas très bien ces derniers temps.

— Vraiment ?

Son visage railleur m’indique qu’il n’a pas oublié que je me suis littéralement assoupi en sursaut dans son lit. L’ironie quand on pense que je ne trouve plus le sommeil depuis cette fameuse nuit. On mettra ça sur le compte des endorphines dû au bon sexe.

— Hum. Quelques nuits chaotiques, rien de grave, j’élude.

Sa ride du lion se creuse à nouveau et alors qu’il s’apprête sûrement à m’en demander plus, John me sauve en débarquant avec nos déjeuners.

Ouf. Ça m'apprendra à parler trop vite.

— Tu m’as commandé quoi, au fait ?

Il me fait signe d’ouvrir le paquet avec un clin d’œil. J’esquisse un sourire mutin, telle une gamine trop curieuse de déballer un cadeau surprise. Ou comme une femme pathétique en manque d’attention. Mon poké bowl et mon dessert préférés. Mes yeux et ma bouche s’arrondissent, je me rappelle vaguement avoir parlé de nourriture avec lui pendant qu’on mangeait les plats exquis du Four Seasons, m’enfin… rien ne lui échappe !

— Ça ne te plaît pas ? il s’inquiète.

Beaucoup trop.

J’opine du chef en évitant son regard.

— Si, si. Tu as tapé dans le mile !

Ses lèvres s’étirent, l’air fier et soulagé. Nous discutons de tout et de rien pendant le repas, sauf de la nuit qu'on a passée ensemble, bien sûr. Comme si nous avions conclu dans un accord tacite que ce moment d'égarement ne devrait pas gâcher notre amitié naissante. Ma gêne précédente a disparu, j'ai presque l'impression d’être avec un pote de longue date. C'est agréable et c'est beaucoup plus facile de garder mon sang-froid de cette façon. Alors oui, j'évite tout de même de m'approcher trop près de lui. Histoire de ne pas le toucher ou que son parfum m'enivre en me rappelant des souvenirs plus… excitants.

Bref, le déjeuner se passe à merveille, jusqu'à ce que…

— Eden ! C'est donc ici que tu disparais ! s’écrie une femme derrière moi.

Sa voix mielleuse me hérisse le poil, mais je reste de marbre sans me retourner. Eden se fige avant de redresser la tête lentement.

— Ah, Cécile… oui, c'est mon petit havre de paix, il répond d’un ton égal.

Elle s'approche pour entrer dans mon champ de vision et m’observe comme si j’étais un insecte collé sous sa godasse.

— Petit cachotier, je ne savais pas qu'il y avait un toit-terrasse ici. C’est sympa !

Eden acquiesce en silence. Cécile cale les mains sur ses hanches en contemplant la place autour d’elle avec une admiration feinte avant de reporter son attention sur moi.

— Tu ne me présentes pas ? exige-t-elle.

Pas « nous ». Juste « me ».

Je hausse un sourcil vers Eden qui se racle la gorge. Je n’arrive pas à déterminer l’origine de sa gêne. Est-ce le fait qu’elle a trouvé son havre de paix ou qu’elle et moi nous rencontrions ?

— Cécile, voici Max, une amie. Max, Cécile, une de mes coéquipières sur le film.

Cette dernière me tend sa main, je la lui serre. Sa poigne est ferme alors je la lui rends bien. J'ai l'impression de me retrouver dans un bras de fer.

— Et tu es ? me demande-t-elle avec condescendance. Désolée, je t'ai déjà vu quelque part, mais je n'arrive pas à me rappeler où ?

Il vient de te le dire, non ?

— Maxine. Malone. On s’est peut-être déjà croisé dans l’escalier, je mens.

Il n’y a pas de « peut-être », — et elle semblait aussi hautaine qu’à cet instant — mais ça m’amuse de lui faire croire que je ne m’en souviens pas et de répondre à côté de sa vraie question.

Elle veut savoir dans quelle ligue je joue ou quel métier j’exerce dans leur milieu pour qu’Eden daigne traîner avec moi.

— Ah, peut-être en effet… elle plisse les yeux.

— Je vais nous chercher du café, annonce Eden en se levant. Sans sucre ?

— Et sans piment s’il te plaît, j’acquiesce avec un sourire.

— Promis, il ricane. Cécile ?

— Non, merci. Tu devrais demander à Barbara de te les apporter !

Eden hausse les épaules.

— C’est bon, j’ai deux jambes.

Il disparaît et je prie pour qu’il soit rapide. Je n’ai pas tellement envie de me retrouver seule avec l’actrice. Je ne la sens pas.

— Vous vous connaissez depuis longtemps ? elle s’enquiert.

— Pas vraiment non.

Sa curiosité me met mal à l’aise. Si Eden ne veut pas se dévoiler avec eux, c’est qu’il a sans doute ses raisons. Ce n’est pas moi qui le ferai.

— Je pensais que tu avais peut-être un rapport avec ses origines françaises. Il parle si bien français.

Je réponds par la négative de la tête.

— Je commençais à croire qu’on n’était pas assez bien pour lui, elle enchaîne. Il ne se montre jamais à nos After Works.

Vraiment ? Étrange…

Notre connexion a été plutôt rapide, je me demande pourquoi il ne traîne pas avec ses collègues. Cette histoire de soirée de cohésion fait soudain sens.

— Tu sais, surtout avec sa réputation de… elle se racle la gorge, fêtard.

Queutard. Elle voulait dire queutard. J’en suis presque sûre.

— Maintenant, je comprends mieux pourquoi… elle tire un rictus en me dardant de ses prunelles glaciales.

Elle jauge ma réaction, ma gêne augmente d’un cran.

Que cherche-t-elle au juste ? Elle est jalouse ou quoi ?

Eden met un terme à son monologue inquisiteur en revenant avec nos cafés.

Ouf !

— Blake veut te parler, il informe Cécile.

Elle ne semble pas ravie, mais part dans la seconde. Je respire enfin.

De nouveau tranquille, Eden me fixe, le front plissé.

— Tout va bien ?

— Hum, hum, j’élude.

Je prends une gorgée de ma boisson pour noyer le poisson. Mais j’ai tout plein de questions maintenant !

— Tu es sûre ?

— Ta coéquipière a l’air… spéciale.

Il pousse un grand soupir en fermant les paupières.

— C’est peu de le dire.

— C’est pour ça que tu as gardé cet endroit secret, alors ? je lance sur un ton que j’espère léger.

Il acquiesce de la tête.

— Je préfère être tranquille.

Silence.

— Avec toi.

Son regard doux me fait rougir, et mon pouls s’emballe.

Ce truc est infernal, il faut que ça cesse !

— Je me sens un peu comme un alien avec eux. Avec toi, je suis juste Eden. Ça… Tu me fais du bien.

Boum boum.

Tout ça devient vraiment trop dangereux.