Fyctia
30. Compartimenter / Maxine
Je me dandine d’un pied sur l’autre alors qu’Omar vérifie mes corrections effectuées dans le code du logiciel. J’ai ramé auprès d’Amanda et du chef de l’IT pendant des semaines pour qu’il me laisse les aider à ce niveau. À force de leur envoyer des listes et des listes de CSS à modifier pour imiter au mieux mes maquettes, Omar a craqué et a installé le nécessaire sur mon MAC afin que je puisse accéder directement au serveur. Mais il est encore méfiant sur mes compétences en la matière. Normal, je n’ai pas de cursus de développeuse ou d’intégratrice, seule ma passion m’y a formée en autodidacte.
Et même si je suis plutôt contente du résultat, j’ai peur d’avoir fait des conneries en allant trop loin dans mes corrections. Je n’étais pas censée toucher à la structure, uniquement au CSS, mais c’était tellement le bazar que je n’ai pas pu m’empêcher de nettoyer sur mon passage. Plus fort que moi.
Omar me zieute de temps en temps depuis dix bonnes minutes, et je n’arrive pas interpréter ses regards. Cette attente me donne des sueurs. J’y ai travaillé tant d’heures…
— Pourquoi tu as supprimé ça ? demande-t-il en pointant des lignes.
Je me racle la gorge.
— Euh… en fait, j’ai viré beaucoup de balises inutiles comme celle-ci. Elles alourdissent le code pour rien car les propriétés flex ne fonctionnent plus sur les enfants appropriés. Il m’a fallu quatre propriétés contre quinze avant, pour que ça s’adapte aussi bien sur mobile que sur ordi.
— Je vois ça, c’est clean. T’as super bien bossé, Max ! Je push sur la prod tout de suite.
Son ton, autant surpris qu’enjoué, me gonfle de fierté et d’un coup je respire mieux. Je le remercie avec le sourire d’une gosse qui viendrait de réussir son premier tour à vélo sans roulettes devant son papa.
C’est soulagé, que je rejoins mon bureau. Je commençais à croire que ces derniers temps je ne prenais que des mauvaises décisions. Comme ce matin quand j’ai décidé de monter dans le premier train pour éviter de tourner en rond chez moi en cogitant sur lesdites mauvaises décisions. Autant partir plus tôt, se dégourdir les jambes, faire un peu de shopping ! Ouais, sauf que les boutiques n’en ont rien à faire que tu te lèves avec deux heures d’avance !
Je suis passée chez Starbucks m’offrir un latté en lot de consolation, mais ce comique de barista a stabiloté « Elle est libre ! » sur mon gobelet. Résultat, quand il m’a hélé au comptoir, fier de sa connerie, tous les mecs présents m’ont évaluée comme une affiche Tinder, je m’en serais bien passé.
Bref, voilà comment j’ai commencé ma journée et comment de fil en aiguille, je me suis finalement retrouvé à cogiter pendant une heure sur le toit (pas le meilleur endroit). Tantôt je me retenais de stalker Eden sur les RS, tantôt j’appréhendais qu’il se pointe et me demandais quelle attitude adopter. Ou si même, je parviendrai à adopter une attitude quelconque. Mon cerveau créatif a inventé toutes sortes de scènes pour cette retrouvaille post-orgasmique. Une scène où Eden m’aurait fait un check. Une où il aurait ri de ma farce. Une autre où il m’aurait enlacé en m’embrassant avec des étoiles plein les yeux. Et encore une où il m’aurait, au contraire, carrément ignoré.
Toutes ont fait battre mon cœur comme une ado en crush, mais la dernière m’a foutu un vertige désagréable. Celui qui fait mal. Celui qui troue le bide.
Mon aptitude à compartimenter ?
Partie en fumée !
Ce mec est un cheval de Troie. Il fait buggé la machine ! Je. Suis. Dans. La. Merde.
— Maxine ?
Je relève le nez de mon écran, surprise.
— Oui, Élise ?
— Quelqu’un te réclame dans l’entrée.
Mes yeux s'arrondissent, mon rythme cardiaque s’emballe.
— Pardon ?
— Quelqu’un te réclame dans l’entrée, elle répète, un chouïa agacée.
Eden ? Non, il n’oserait pas ?
Je reprends mes esprits en scrutant la secrétaire. Avec son sourcil en l’air, elle semble plus s’impatienter que mouiller sa petite culotte. Si elle venait de croiser l’apollon en question, je doute qu’elle paraitrait si… blasée ? À moins qu’elle vive dans une grotte et que sa culture cinématographique soit proche de zéro. Vraiment, j’en doute. J’inspire un grand coup et me lève.
— OK, j’arrive.
Je me dirige vers l'entrée, au bord de l’apoplexie. Je n’ose pas imaginer les regards qu’on me porterait si les gens savaient. Ça n'est plus un secret qu'un film est produit dans l’appartement d’en face, avec de sacrées vedettes à l’affiche qui plus est. Ils ont beau se camoufler et s’arranger pour aller et venir pendant les heures creuses, il y a des loupés. Ça fait vite le tour. Eden, par miracle, n’a pas encore été aperçu. Enfin, il me semble. Moi, je n'ai rien dit. À personne. Nada. Alors s'il se pointait ici pour me parler… Le feu me monte aux joues.
Ne jamais mélanger boulot et plaisir (et emmerdes), c’est la base !
Je passe la dernière cloison pour découvrir qui m'attend en retenant mon souffle.
— Oh ! John ? je soupire presque. Salut, qu’est-ce qui t’amène ?
Toujours aussi éloquent, il me salue d’un hochement de tête en me tendant un bout de papier. Un sourire niais naît sur mes lèvres et des papillons entreprennent des loopings au creux de mon ventre.
Looseuse.
J’attrape le mot, mais John ne bouge pas d’un pouce. Un signe du menton m’indique que je dois lire tout de suite.
OK, on ne va pas le contrarier !
Je déplie la feuille et y découvre une écriture plutôt soignée, plus que la mienne en tout cas.
Si. Je suis rancunier.
On avait fait la paix. Tu m’en dois une.
Déjeuner. 14 h 30 ?
Eden
Mon cœur fait une embardée et je ricane comme une gourdasse.
Super looseuse.
Je souris, j’en déduis qu’il a sauté à pieds joints dans mon piège. John me tend un stylo et je m’appuie sur une console pour lui répondre.
Tu ne dois pas être si rancunier vu que tu en redemandes.
Mais OK, déjeuner à 14 h 30. Sur le toit.
Max
PS : +33 06 27 39 30 45. Plus discret que ton pigeon voyageur…
PPS : (ne lui traduis pas ce message stp)
John repart, le sésame en main. J’ai à peine le temps de me remettre à travailler que mon téléphone vibre sur le bureau. Je regarde la notification. Numéro inconnu.
Boum. Boum.
Super mégalooseuse
Il faut vraiment que j’arrive à contrôler ce truc.
06 36 63 63 40 :
Quelle idiote ! Je viens bêtement de me tirer une balle dans le pied.
J’enregistre son numéro à Majesty, mais j’hésite à lui répondre. Mon niveau de concentration est déjà minable, alors si on commence à s’envoyer des textos toute la journée… je ne donne pas cher de ma productivité. Je repose mon appareil sur l'écran.
Ouais, on se met au boulot !
Deux minutes plus tard :
Volonté de chips.
Majesty :
Ouch…
30 commentaires
Laurie Lecler
-
Il y a 3 mois
Juliette Delh
-
Il y a 3 mois
Louisa Manel
-
Il y a 3 mois
Emma Chapon
-
Il y a 3 mois
Cara Loventi
-
Il y a 3 mois
laurence.auderlin
-
Il y a 3 mois