Fyctia
29. Tourments / Maxine
Des bras m’encerclent. Chaleureux. Réconfortants. C'est si bon. Ce parfum…
Eden ?
— Salut ma puce.
Je me raidis. Cette voix, ce surnom… L’odeur change, m’écœure. C’est… ce n’est pas Eden, c’est Mike.
Qu’est-ce que… ? Je suis où ?
J’inspecte autour de moi. La cuisine de notre ancien appartement ? Une boule enfle dans mon estomac. Je ne veux pas être ici, revivre ça. J’essaye de bouger pour m'enfuir, mais je suis paralysée sur ce tabouret de bar. Trop tard. Un plan de maison se matérialise sur le comptoir devant moi. Ce plan. Le symbole de ma déchéance.
Mike me sourit. « Tu l'as fini ? ». Je hoche la tête contre mon gré. Ce n’est pas moi. « Oui, regarde ! ». C’est ma voix, mais ce n’est pas moi.
« Maxine… », il soupire. Pas ma puce. Pas Max. Maxine.
Comme ses yeux, la pièce s’assombrit. J’ai soudain froid.
« Manque au moins deux chambres, Maxine ». Les lampes grésillent. « Anticiper ». « Enfants ». Les mots se répètent, durs, glacials. Des mots que je ne comprends pas. « Hein ? De… de quoi tu parles ? Depuis quand on veut des enfants ? ». Silence. Souffle. Ce n’était donc que du vent ? Il m’a menti ? Depuis quand ? Trois ans ?
« Ma puce, je pense juste à notre avenir. Tu verras, ça te tombera dessus sans prévenir. ». « Femme ». « Normale ». « Enfants ». Les mots résonnent. Graves, distordus. Ils se répètent. Encore et encore. Plus fort. Jusqu’à ce que je ne puisse plus les supporter.
Non, non, non…
Je secoue la tête en couvrant mes oreilles. Des larmes roulent sur mes joues, échouant sur le plan. L’encre s’étale comme une ombre ravageant tout sur son passage. Tout devient brouillon. Comme mon avenir. « … changerai pas d’avis. Tu l’as toujours su ». « Bien sûr que si ma puce ».
J’ai l’impression de tomber dans le vide. Sous mes coudes, le comptoir se transforme en table dressée. Un dîner. Des chandelles. Un écrin.
« Femme de ma vie… Tu me suffis… ».
Menteur !
« Oui ! ».
Non, non, non… ! Tire-toi !
Mike sourit. Les murs se couvrent de sang. Je me retrouve allongée dans notre chambre. J’ai peur. Je tremble. Mike au-dessus de moi, grésille, se confond avec Eden. Je sursaute. Non, c’est toujours Mike.
« Regarde ma puce. »
Deux bébés au teint grisâtre apparaissent. Ils me fixent d’un regard vide en me pointant du doigt. Leurs yeux noirs sont cernés de violet. Je veux hurler, mais aucun son ne franchit mes lèvres. Je suffoque. J’ai mal au ventre. Mes jambes refusent de m’obéir. Je suis bloquée, prisonnière. Spectatrice de ma propre destruction.
Je tombe à nouveau dans le précipice. J’ai le vertige. Tout devient flou. Des néons et des murs blancs m’éblouissent. L’odeur du désinfectant assaille mes narines. Je suis à l’hôpital. Seule. Des gens en ronde autour de moi me jugent. Me posent plein de questions, leurs murmures incessants me martèlent les tympans. J’en peux plus, je veux que ça s’arrête. Je veux crier, mais une crampe s’empare de ma trachée. Je m’étrangle. Mon cœur cogne, chaotique. J’ai envie de vomir. Je peine à respirer, je ne comprends pas ce que je vois. Ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas. Je suis terrifiée, je souffre, j’ai mal au ventre. Je chute, encore. Un autre dîner aux chandelles. Encore du champagne. Encore la chambre. Encore Mike. Eden. Mike. Eden. Encore l’hôpital. Les néons. Un bourdonnement sourd. Encore du sang, des sanglots. Encore cette odeur… Soudain, un cri déchire l’air…
Le mien.
Je me réveille en sursaut. Enfin. À bout de souffle et trempée de sueur. J’allume ma lampe de chevet de mes doigts tremblants et me redresse contre ma tête de lit pour chasser ces images de mon esprit, m'ancrer dans le présent.
Inspire. Expire. Inspire. Expire…
Putain de cauchemar.
***
J’observe la Lune en fumant mon joint de CBD. Mon pouls a presque repris son rythme normal. Chaque nouvelle bouffée m’apaise, c'est le seul truc qui fonctionne quand mon passé refait surface. Quand mon subconscient s’acharne à me torturer pour combler les trous de ma mémoire. Il veut connaître chaque détail, ça l’obsède. Moi pas. J’aimerais juste oublier tout ça. Leur seule constante est le sentiment de culpabilité qu’ils m’infligent. Chaque cauchemar me murmure la même chose : « C’est toi. Tu as été si naïve. Tu aurais dû t’en rendre compte. ». Comme un poison qui me ronge lentement. Me rappelant que si je n’avais pas laissé l’amour m’aveugler, j’aurais mis un terme à notre relation à temps. Ainsi, je ne n’aurais pas permis à mon ex de me bousiller.
Deux jours que mes nuits sont aussi chaotiques, hantées. Deux jours depuis ma nuit avec Eden.
Coïncidence ? Ce serait trop gros.
Je pourrais faire comme si, mais cette soirée n’a rien eu d’anodine. Ni les discussions, les confidences, les caresses, les baisers, les fous rires, les regards… Si j’ai réussi à me convaincre sur le moment que ça valait le coup de céder à mes désirs, que ce ne serait qu’un petit plaisir sans conséquences, une parenthèse, comme tant d’autres avant lui ; dès mon réveil mes certitudes ont vacillé. Quand à la simple vue de son corps, des frissons ont envahi tout mon épiderme. Que j’ai dû lutter contre moi-même pour ne pas le réveiller, pour ne pas me couler dans la chaleur de ses bras apaisants et réconfortants. Le sexe pour le sexe ne me donne jamais ce genre d’envie irrésistible. Comme renifler l’odeur de son parfum. Entendre le son de sa voix. Non, jamais. Et ça ne peut vouloir dire qu’une chose :
Ce n'était pas qu’une simple baise.
Et ça, c’est un problème. Une sacrée tuile.
J’ai ouvert la boîte de pandore. Je le sais. Le retour de mes cauchemars n'est qu'une preuve de plus. M’attacher n'est pas quelque chose que je me permets. Ça mène à laisser à une personne, tout le loisir de vous piétiner. Âme, corps et valeurs comprises. C’est toujours tout beau tout rose au début, vous êtes en phase, alignés. Sur la même longueur d’onde. Un tas de phrases toutes faites à la con. Utopiques. Mensongères. D’un coup, sans que vous l’ayez vu venir : tout change. Vos ambitions ne suffisent plus. Vos perspectives et vos projets ne sont plus assez adultes, assez « normales ». Alors on vous ment, on prend des décisions pour vous, on vous détruit pour votre bien. Par « amour ».
Alors, céder à nouveau ? Hors de question.
Amis ? OK.
Pas plus. Trop dangereux. Ça ne doit plus se reproduire.
J’espère que mon petit mot, accompagné de ma farce débile, a eu l’effet escompté. Maintenir un rituel aide à garder le cap ! De cette façon, le message était clair. C’était un écart. On est pote, rien de plus. Peut-être qu’Eden pense de la même manière, peut-être pas. Par acquit de conscience, je n’ai laissé aucune place au doute. On reprendra comme avant. Ou pas du tout. Peu importe.
Plus qu’une poignée de jours à tenir de toute façon. Je suis douée pour compartimenter. Enfouir mes émotions et mes sentiments jusqu’à ne plus rien éprouver, c’est ma spécialité. C'est facile, je peux le faire.
Vraiment ? Alors, pourquoi, rien qu’à l’idée de le revoir demain, ton cœur s’emballe ?
18 commentaires
NICOLAS
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Il y a 3 mois
Laurie Lecler
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Il y a 3 mois
Juliette Delh
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Il y a 3 mois
Louisa Manel
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Il y a 3 mois
lili41
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Emma Chapon
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Cara Loventi
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EvaBerry
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Justine_De_Beaussier
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Cara Loventi
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Il y a 3 mois