Fyctia

Une main sur mon torse, elle s’approche pour m’embrasser alors qu’une larme de crocodile roule sur sa joue droite. J’essaie de donner l’illusion que j’en ai envie, que je m’inquiète pour elle, mais j’ai vraiment du mal à être convaincant ce matin.

— Tu ne peux pas rester ici plus longtemps, c’est trop d…

Elle me coupe la parole en crochetant ma nuque et ses lèvres s’écrasent sur les miennes. Je m’y attendais et pourtant mes yeux s’écarquillent avec un mouvement de recul. Je me ressaisis et prends sur moi en caressant son visage. Mais elle penche la tête pour glisser sa langue, je m'efforce de ne pas lui trancher avec mes dents.

Qu’est-ce qu’elle fout, putain ?!

C’en est trop ! Je la repousse, les sourcils froncés et…

— Coupé ! On fait une pause !

Aussitôt, toute l’équipe se disperse, mais je reste immobile en observant le rictus se dessiner sur la bouche de Cécile.

Ouais. Elle savait très bien ce qu’elle faisait.

Elle commence vraiment à me taper sur les nerfs. Et franchement, ce n’est pas le jour pour m’emmerder !

Blake me rejoint, la mine inquiète.

— Eden, je ne te sens pas dedans ce matin. Un truc ne va pas ?

Ouais, un truc. Et ta comédienne ne joue pas la comédie. Mais je la ferme. On va encore me prendre pour une diva sinon.

— Désolé Blake, j’ai mal dormi. Ça ira mieux après la pause.

Faux. Complètement faux.

J’ai si bien dormi que je n’ai pas entendu Max se barrer comme une voleuse avant mon réveil. Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai sauté du lit en espérant qu’elle serait dans le salon. J’ai vite déchanté quand un gros splash à résonner sous mes pieds. Je pataugeais dans la mousse de mon gel à raser.

Ouais, Max s’est tirée en douce en laissant une putain prank. Si d’habitude, ça me fait marrer, c’était vraiment la dernière chose que je désirais ce matin. Son petit mot en prime m’a achevé.

Merci pour l’hospitalité, Majesté !

(Et désolée, mais c'était trop tentant ! Sans rancune, hein ?)

À plus au QG. Max

Hospitalité ? À plus ?

On a plané ensemble jusqu’au septième ciel cette nuit, mais tout ce qu’elle retient c’est que je suis un hôte « accueillant » ?

Pas de « c'était super » ou « je t'embrasse », pas même un simple « bisous » ou son numéro de téléphone ! Juste une bonne vieille farce comme si rien de nouveau n’était arrivé. J’ai bien saisi son laïus sur la vie de couple hier, et on ne s’est pas fait de promesses, mais de là à se tirer comme ça… il y a un monde ! Je pensais qu’on avait passé un cap, mais j’ai juste l’impression qu’en cédant à mes désirs, j’ai tout foutu en l’air !

Je m’esquive sur le toit et me pose dans un coin tranquille à l’abri des regards pour me calmer. Mais je n’arrête pas de ressasser en boucle la soirée de la veille. Nos discussions, l’alchimie, nos deux corps qui fusionnent à la perfection, voilà ce que moi je retiens.

Et je vais devoir attendre DEUX jours — DEUX ! — pour obtenir des réponses.

Mon téléphone vibre, c’est Noah. Sûrement en quête du dernier épisode. Je décroche et prends de ses nouvelles en premier pour noyer le poisson. Mais il n’est pas dupe, après deux minutes, il dégaine déjà :

— Alors, ton déjeuner avec Max ?

Je me racle la gorge.

— Bien.

— Bien ? C’est tout ?

Je sais qu’il ne va pas me lâcher, et la vérité, c’est que j’ai besoin de son avis pour y voir plus clair. Je lui raconte donc tout, du sauvetage de Max, puis du mien, en passant par notre dîner jusqu’à l’apothéose. Quand j’achève mon récit, son silence m’interpelle. Lui qui a toujours quelque chose de drôle ou d’intelligent à dire…

— Ben alors, t’as perdu ta langue ? le rabroué-je.

— Désolé. Je réfléchis, mec. J’avoue que je ne pige pas. C’est chelou.

— Chelou ? je plisse les yeux.

Depuis quand il parle comme ça ?

— Ouais, c’est pour dire weird. J’ai maté un film comique français l’autre jour, ils n’arrêtaient pas de dire ça !

— C’est du verlan ! je grimace.

— Du verlan ?

— Du langage familier. Parler à l’envers. Genre « chelou », c’est le mot « louche » en fait.

Il me regarde de travers. Il comprend rien !

— Ils inversent les syllabes ! Che-Lou, Lou-Che, j’articule lentement en pivotant deux doigts.

— Ils sont chelous ! Pourquoi ils font ça ?

Je soupire en secouant la tête. On aurait peut-être dû discuter en anglais cette fois.

— Ben quoi ? C’est une vraie question !

— Je ne sais pas moi ! Sûrement parce qu’ils n’ont rien d’autre à foutre ! je m’emporte les mains en l’air.

— Wow ! Mais t’es à cran en fait ! OK, laisse-moi réfléchir.

— Vas-y… je souffle, nerveux.

— N’empêche, je suis vraiment fan de ses farces. Nous, on se contente de dessiner des bites sur des fronts pour bizuter !

— Tu ne me rassures pas, Noah… elle m’a friendzoné, bordel !

Je frotte mon visage et fourrage dans mes cheveux.

— Ou sexfriendzoné ? il propose.

— Ce n’est pas l’un ou l’autre normalement ?

Il se gratte la tête, puis me pointe du doigt.

— Peut-être que tu t’es gouré de trou ? Et la mousse, c’était pour se venger !

— Putain, Noah !

— Quoi ? On théorise, non ? Ça doit faire un mal de chien !

— Arrête tes conneries ! Je suis sûr de moi. Ce n’était pas juste bien. C’était lunaire. Je n'ai pas pu être tout seul à ressentir ça.

— OK, je vois. T’es complètement mordu, frangin.

Son ton et son sourire n'ont plus rien de comique à présent. Il commence à capter. Moi aussi.

— On dirait bien… dis-je sur le ton de la défaite.

— C’est quoi le vrai problème, Eden ?

Ma poitrine se comprime un instant.

— En fait… elle a laissé entendre dans une conversation que l’engagement ce n’était pas son truc.

Il esquisse un sourire en coin.

— Eden, tu tenais le même discours il y a à peine quelques semaines, il me rassure.

Pas faux…

— Hum. Mais, il n’y a pas que ça…

Il fronce des sourcils interrogatifs.

— Son mantra c’est « vivons heureux, vivons cachés », je lâche.

Il se gratte le crâne, la bouche de travers. Comme moi, il a saisi que je suis mal barré. Après un long moment, il reprend d’une voix douce en haussant les épaules.

— Certaines rencontres bousculent toutes nos certitudes, Eden. Tu verras bien. Tu la revois quand ?

— Demain. Si elle ne fait pas tout pour m’éviter.

— Mais naaaan ! il fouette l’air de sa main. Elle a écrit « À plus au QG » ! Donne-lui l’occasion de constater que ta vie n’a pas que des mauvais côtés !

Bonne idée. J'acquiesce en réfléchissant à comment m'y prendre.

— Et chope son putain de numéro, c’est la base, mec ! En attendant, tu peux t’entraîner sur moi si tu veux.

Il me fait un clin d’œil.

— Quoi ?! je m'écrie.

— Quoi, quoi ?

— Non, c’est bon MEC ! Ça ira. Hé, frangin ?

— Hum ? il acquiesce du menton.

— Tu me le dirais si t’avais sombré dans la drogue, hein ? je le pointe de l’index avec un faux air sévère. Tes coachs ne te donnent pas des trucs CHELOUS pour améliorer tes stats ?

— Hé ! M’insulte pas, frérot ! il s’offusque, une main sur le cœur.

— Sinon, c’était quel film de merde, déjà ? Que je me rappelle de ne surtout jamais le regarder, FRÉROT !

— Lascars, je crois ! Mais tu as tort, il est fendard !