Fyctia
19. Maxine
Je nous déniche un coin tranquille à l’ombre d’un immense chêne dans le parc du quartier et nous déployons une grande fouta sur le sol. Je m’assois aussi gracieusement que cette jupe courte me le permet et distribue nos repas. La délicieuse odeur qui s’en dégage fait gronder l’estomac d’Eden.
— Voilà un burger normand, saveur de chez moi, et des frites de patates douces. Bon app. !
Il me regarde comme si j’avais dit une bêtise. Mince, j’oublie parfois qu’il est Américain, j’aurais dû éviter le camembert ? Trop tard.
Je croque dans mon sandwich en gémissant, pressée d’éponger ma cuite d’hier.
Putain, c’est tellement bon ce truc.
Putain, je suis en train de déjeuner avec Eden Turner.
Assis par terre. Sur une simple putain de fouta.
Je devrais peut-être reconsidérer cette affaire de monde parallèle. Le multivers existe, c’est sûr. Et Docteur Strange a encore foutu un gros bordel.
Si j’avais su, j’aurais évité de prendre une clenche d’anthologie hier soir avec mes potes. Malgré la montagne de travail qui s’accumule, j’ai répondu à l’appel de Billie.
Spoiler alert ! J’aurais dû m’abstenir !
Ce n’était que pour un petit verre, bien sûr, mais comme d’hab' à Apéro Land : pas un pour rattraper l’autre ! Je me revois à 2 h du mat’ chanter du Céline Dion, puis à 3 h, en train de me désarticuler dans un concours de limbo. Ouais, j’enchaîne les mauvaises décisions.
Comme accepter ce déjeuner par exemple.
Les lendemains de cuites, j'ai toujours de furieuses envies de sexe ! La raison reste un mystère, mais c’est un fait. Alors je fais de mon mieux depuis ce matin pour ne rien laisser paraître. Mais mon corps, ce traître, réagit au quart de tour dès qu’Eden est dans les parages. Mon cerveau, lui, a compris que ce n’est qu’un humain, mon entrejambe ne veut pas l’entendre. Je suis en feu ! Et ce n’est pas à cause de la météo ni d’une tasse de café pimentée cette fois…
J’ai dû faire un effort extraterrestre ce matin pour rester de marbre ! Dès qu’il est entré dans ce placard qui sert d’ascenseur, son parfum m’a mis à terre en deux secondes. Putain de mémoire olfactive ! Elle m’a ramenée directement sur cette terrasse quand on était bien trop proches ! Je ne regarderais plus jamais cette satanée robe de la même manière. Ni le Coca-Cola. Je sais, il n’y a pas vraiment de rapport. Mon esprit fait des associations étranges. Bref, j'avais envie de bouffer un oreiller et de crier dedans pour me soulager.
Qui se retrouve à 9 h du mat’, dans une cabine d’un mètre carré avec le pyromane des petites culottes en chef ? Qui, s’il vous plaît ?!
C’est un scénario de porno, ça ! Ça n’existe pas dans la vraie vie !
J’avais décidé de ranger cet échange dans les archives anecdotiques de mes souvenirs. Persuadée que j’avais halluciné cette électricité mystique entre nous et surtout, que je ne le reverrais plus. Mais voilà qu’il débarque ce matin en quémandant la paix. C’est bien la dernière chose à laquelle je m’attendais en venant travailler aujourd’hui.
Je me reconnecte à la réalité et découvre que mon nouvel « ami » a dû apprécier son plat. Il l’a dévoré en moins de deux, alors que le mien est presque intact.
— Alors ? je le questionne entre deux bouchées.
— C’était parfait, Roxy. Merci, dit-il, comblé.
Argh… Ce surnom… me déstabilise. Et cette fossette quand il sourit, c’est…
Stop !
Je chasse l’ado en pleine crise hormonale qui sommeille en moi et lui propose le reste de mes frites. Il ne se fait pas prier, et mine de rien, ça me fait plaisir qu’il se régale avec ce que j’ai choisi. J’avais quand même peur de me planter !
Le soleil de midi me pousse à me mettre en débardeur. Eden semble fasciné par mes bras nus, ornés de tatouages en tous genres. Des fleurs, un pansement Captain America, des inscriptions… bref, un joli bazar organisé. Il détourne le visage quand nos regards se croisent et s’empare du paquet de feu nos repas. Il plisse les paupières en lisant l’étiquette agrafée dessus.
— Maxine Malone, articule-t-il, comme s’il révisait une leçon.
J’arque un sourcil, interrogateur.
— Tu as un nom à la Stan Lee… il ricane.
Mon regard de nerd s’illumine.
— Exact, j’acquiesce avec un clin d’œil.
Le créateur des héros Marvel aimait choisir des noms en allitération. Peter Parker, Bruce Banner… Seul un fan peut connaître ce genre d’information !
J’attrape mon portable qui a bipé déjà trois fois depuis la pause. Jamais tranquille. Je jette un œil rapide et range cet engin de malheur, presque en le balançant.
Le monde ne devrait pas en pâtir, si je prends une petite heure ?
Tout en préparant un oreiller de fortune, je m’allonge sur le dos, dévoilant mon bas ventre. Eden fixe mon nombril. Et là, tout ce que je souhaite, c’est qu’il m’arrache le reste de mes fringues.
Je regarde ailleurs pour me ressaisir.
— Alors, ça fait un moment que je ne t'avais pas vu dans les parages, il lance.
Hum ? Mes farces lui auraient-elles manqué ?
— Je suis freelance, je ne suis là que de temps en temps. Je travaille de chez moi la plupart du temps, en Normandie.
— Ah ? Cool… dit-il sans avoir l’air de le penser. Que fais-tu exactement ?
— Je m’occupe de l’identité visuelle de société, de marque et du design d’applications, de logiciels, de sites web. Et j’en développe certaines parties.
J’explique dans les grandes lignes. Personne n’y comprend jamais rien de toute façon.
— Ah OK, je vois.
— Vraiment ?
— Non, pas du tout ! il se marre. Et donc, pourquoi tu ne vis pas à Paris ?
— Je n’aime pas vivre ici, je grimace en me remémorant mes années parisiennes.
Son air me dit qu’il attend que j’étaye mes propos. Je n’aurais pas imaginé que ma vie, si trépidante, l’intéresserait tant…
Il est vraiment canon… euh curieux ! Je voulais dire : curieux.
— J’aime les grands espaces. Vert de préférence ! Il y a trop d’agitation ici. Des logements trop petits. Trop de circulation, trop d’heures passées dans le métro, trop de monde et trop de solitude en même temps. Tout est trop, quoi !
— Je vois.
Je me tourne pour vérifier s’il en a eu assez, mais il ne m’a toujours pas lâché. Son regard est intense à travers ses longs cils. Je pourrais me noyer dedans. Heureusement que j’ai remis mes lunettes de soleil, car je me sens de plus en plus fébrile. Ma lutte pour paraître zen commence à flancher.
— Es-tu rassasié ?
— En fait, c’est assez cool d’être celui qui pose les questions pour une fois.
Sa bouche s’étire, dévoilant son sourire sexy, celui avec fossettes intégrées.
— Hum… je vois ! je marmonne en espérant de ne pas me liquéfier sur place.
Je devrais faire une sieste. Ou faire semblant au moins. La sonnerie de mon téléphone interrompt mes pensées divagantes, affichant « Loulou » en gros sur l’écran posé entre nous. Eden le regarde discrètement, enfin, il croit qu’il est discret. Je l’attrape à la hâte et balance Loulou sur répondeur. Je sais ce qu’il veut, et je n’aurais pas la force ce soir.
Un silence malaisant s’étire. Il se racle la gorge.
— Tu as des enfants ?
28 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 3 mois
Julie Heri
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Il y a 4 mois
Cara Loventi
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Il y a 4 mois
laurence.auderlin
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Il y a 4 mois
Cara Loventi
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Il y a 4 mois