Fyctia

Je sors sur le palier comme convenu et attends Max dans le recoin près de l’ascenseur. J’ai relevé que les gens ne le prenaient que pour monter ici. Pas surprenant, vu la lenteur et la dimension de ce truc. Je n’ai pas envie de me faire remarquer par les autres employés qui travaillent dans cet immeuble. Je me suis plutôt bien débrouillé pour rester discret jusqu’à maintenant. John, lui, surveille l’arrivée de Max bien en vue.

Je n’ai rien contre les fans, ça fait partie du package qui va avec le succès. Malheureusement, de nos jours avec les réseaux sociaux, il suffit d’un post géolocalisé pour rameuter tout le quartier. Ce n’est pas dérangeant lorsque je ne suis que de passage. Par contre, quand je séjourne au même endroit plusieurs jours, ça peut devenir un véritable enfer. Surtout que dans cet immeuble, tout le monde peut aller et venir comme dans un moulin (merci Blake). Adieu tranquillité si ça se produisait, terminé les pauses pénardes sur le rooftop et compagnie.

— Hello John.

Roxy.

En réponse, John opine du chef avec un borborygme étouffé. Il ne voit pas d'un bon œil ce déjeuner.

— Ne fais pas attention à lui, il est naturellement grognon.

— J’avais remarqué ! elle ricane. Alors c’est quoi le programme ?

— Euh… en fait, je préfèrerais que tu mènes la danse, je ne connais pas le coin.

Autant jouir de l’expertise d’une locale, non ?

J’admets que je suis aussi curieux de découvrir quel type de resto elle choisira.

— Je ne suis pas difficile, ajouté-je avec un clin d’œil.

Elle rougit en secouant la tête, amusée.

On a fait la paix, OK, mais les taquineries ne font pas partie du deal !

— On commande ou on sort ?

— J’ai bien envie de prendre l’air… je souffle.

J’en ai même terriblement besoin. Je n'ai vu que cet immeuble et ma chambre d'hôtel depuis bientôt trois semaines. Ça me pèse.

— D’accord. Mais j’ai une ou deux conditions alors. Et il faudra que tu m'expliques aussi comment tu parles si bien notre langue pour un total étranger !

Merde. Je suis à peu près sûr qu’elle aurait trouvé la réponse sur internet si elle l’avait cherchée. Elle n’a pas pensé à moi comme j’ai pensé à elle ces derniers jours. J’acquiesce en ravalant ma déception.

Elle sort son téléphone et tape frénétiquement l'écran. J’espère qu’elle ne manigance pas un mauvais coup…

Arrête ta parano, mec !

— Des conditions, hein ? Je t’écoute, lui demandé-je, curieux.

— Comment dire… ? Ne le prends pas mal, mais… je n’ai pas tellement envie qu’on nous voit, enfin…

Elle cherche ses mots en dessinant un aller-retour entre nous avec ses mains, avant de les reposer sur ses hanches et de poursuivre :

— Tu sais que les casquettes ou les lunettes, ça ne fonctionne que dans les comics ?

Je ris en regardant John, qui hausse des sourcils interrogateurs. Dommage qu’il ne comprenne rien, il serait rassuré. Je pourrais me sentir vexé, mais c’est plutôt rafraîchissant.

— Ouais, je suis au courant. Qu’est-ce que tu suggères, Einstein ? ricané-je.

Elle étire ses lèvres et me tend un masque sanitaire. Je l’attrape avec une moue renfrognée. C’est un calvaire ce truc. Mais c’est vrai que ce n’est plus étrange d’en porter de nos jours. John, quant à lui, a l’air d’apprécier. Elle va peut-être finir par entrer dans ses bonnes grâces.

— Tu avais tout prévu à ce que je vois, observé-je.

— Eh bien, j’avais pensé à des casques de motos en fait. Mais je crois que ça aurait eu l’effet inverse, grimace-t-elle.

— C’est clair, laissons ça à Daft Punk. Par contre, tu sais que ça va être difficile de manger avec ce truc ?

— Bien vu ! lance-t-elle en repartant à la hâte vers son bureau. J’ai oublié les pailles ! Je reviens tout de suite !

— Pardon ?! je m’offusque.

Elle ne va quand même pas me faire bouffer avec une paille ?!

Juste avant d’atteindre la porte, elle se stoppe et se retourne lentement, le visage hilare.

— Tu verrais ta tête ! elle se marre.

Je lève les yeux au ciel en me laissant emporter par son rire contagieux. Ça m’avait manqué.

— OK, un partout, j’admets. On peut y aller maintenant ?

Elle regarde John avec un sourire pincé.

— Quoi encore ? je m’agace.

— C’est que… franchement, ton GI il va nous griller en deux secondes, autant porter un gyrophare ! Il peut garder un peu ses distances ? demande-t-elle, contrite.

Elle n’est pas au bout de ses peines. Mes deux autres gardes du corps attendent en bas. John va me chier une pendule.

— Sinon, on fait plus simple, je commande et on mange sur le toit ? propose-t-elle.

Je retire ma casquette en soufflant vers le plafond et fourrage dans mes cheveux comme pour y trouver la solution. D’un côté, je suis rassuré, je ne me suis pas trompée sur son compte. Elle ne traîne pas avec moi pour se faire remarquer. Mais ça pourrait mal tourner, une cohue est vite arrivée. D’un autre côté, j’en peux plus de rester enfermé, et j’ai bien compris qu’elle ne m’offrait que ces deux options.

Je finis par donner les consignes à John sans lui laisser le temps de s’y opposer. Max me sourit, satisfaite, puis tape une dernière chose sur son téléphone avant de le ranger dans son sac. Je la suis dans l’escalier en colimaçon, pas si rassuré. Mon regard est vite happé par sa jupe courte qui virevolte autour de ses cuisses galbées. Sa peau hâlée contraste avec ses chaussettes blanches qui lui arrivent à mi-mollet. Il n’y a décidément rien à jeter. Max pivote vers moi en me faisant les gros yeux.

Encore grillé ! Merde.

Je reste interdit un instant. Comme je ne réagis pas, elle pointe ses oreilles de l’index pour me faire remarquer que des gens montent vers nous.

— Ton masque Clark Kent ! me rabroue-t-elle.

Je souffle, soulagé et enfile ce satané truc qui me cache la moitié du visage.

Hum.

Je sniffe comme un camé en reconnaissant immédiatement son parfum fruité. Le même qui m’a enivré ce matin dans l'ascenseur. Cette torture devient agréable tout à coup. Nous croisons les employés qui ne nous calculent pas.

OK, Roxy. Technique de camouflage validée.

Nous arpentons enfin les rues de Paris. Le soleil est à son zénith dans le ciel azur, il fait très chaud. La beauté de cette ville n'est pas un mythe. Il y a des merveilles à voir dans tous les coins, chaque immeuble est un monument à lui seul avec toutes leurs moulures haussmanniennes. Tout est biscornu et s’entremêle tel un labyrinthe. Si je n’avais pas un bon sens de l’orientation, je serais déjà perdu. Je le suis peut-être quand même d’ailleurs ? Peu importe, c'est un plaisir de marcher plus de cent mètres à l'extérieur. Je revis !

Nous nous arrêtons devant une petite brasserie qui ne paie pas de mine à première vue. Ça me plaît. Son téléphone bipe, elle s’empresse de consulter.

— Timing impeccable, nos plats à emporter sont prêts ! s’exclame-t-elle.

— À emporter ?

— Oui, il fait super beau, on ira se poser dans un parc. Enfin si ça te va ? s’inquiète-t-elle tout à coup. Tu as dit que tu avais envie de prendre l’air ?

Mon sourire s'étire à fond.

— C’est parfait.