Fyctia
3.1 - Maxine
Après une journée bien chargée chez mon client, je range mon bureau pour faire place nette et attrape mon petit sac de voyage. Je salue les collègues qui ne sont pas déjà partis et file dehors d’un pas pressé. Je suis en retard. Comme toujours. Mon cerveau n’arrive pas à assimiler que le temps soit une chose mathématique, ou peut-être que ça m’arrange de le croire. Je n’aime être en retard, mais encore moins être en avance. Le silence ne me dérange pas, la solitude non plus, mais pas trop longtemps. Je peux passer une heure à regarder dans le vague en cogitant, mais seulement si je n’ai pas d’échéance. Donc si j’ai dix minutes d’avance, je trouve à coup sûr le moyen de m’occuper. Persuadée que ça me prendra exactement le temps escompté. Sauf que ce n’est jamais le cas. Comme entreprendre d’arroser toutes les plantes alors que la maison fait concurrence à Jardiland. Et je ne m’arrête pas avant d’avoir terminé. Ben non, parce que sinon, je vais oublier où j’en suis et mes pauvres plantes vont finir soit noyées, soit déshydratées. Bref, dans ma définition, un imprévu ça se subit, ça ne s’organise pas.
Je vérifie mon téléphone tout en slalomant entre les snobinards en costard cravate qui caractérisent si bien le deuxième arrondissement parisien. J’aspire une dernière goulée avant de m’engouffrer dans le métro du Quatre Septembre. Destination : la garçonnière de Sami.
Habituellement, je télétravaille depuis ma petite maison provinciale. On peut tout faire à distance maintenant, surtout dans mon domaine. Design d’interface, parcours utilisateur, création de sites web… Entre autres. En freelance, tu portes tellement de casquettes que t’arrêtes de les compter. Mais pour les projets complexes, rien de mieux que d’être dans la même pièce que les développeurs. Ça m’évite des réunions interminables, toutes aussi utiles que la sculpture de fumée. On bosse depuis plus d’un an sur cette web app de gestion et de facturation, et on est enfin à quelques semaines du lancement. Heureusement, parce qu’on est tous à bout. Bien que je bûche déjà sur la version 2.0, l’heure est au peaufinage de la première. Tout doit être parfait pour la sortie.
Je pourrais faire les allers-retours tous les jours, le trajet de ma province n'est pas si long, plein de gens le font. Mais j’ai une fâcheuse tendance à louper les trains. Déjà ado, l’arrêt de bus avait fini par migrer devant notre portail, pourtant ça ne m’empêchait pas de courir jusqu’à l’engin tous les matins. Le chauffeur m’attendait, avec un regard désapprobateur certes, mais il m’attendait quand même. Le train, c’est autre histoire.
Au moins, ça me donne une l’occasion de profiter de mon pote et des soirées parisiennes. Seul attrait que je trouve à cette capitale irrespirable. En atteste l’haleine fétide que mon voisin de droite souffle sur ma joue — sérieusement ! Tourne la tête, mec ! — et la valise du gars de gauche qui est à un cheveu de prendre mes pieds pour son porte-bagage.
Je fuis mes assaillants en descendant à Gare de l’Est pour changer de métro une dernière fois. Déjà que l’été s’éternise en cette fin septembre, avec cette proximité forcée, j’étais à deux doigts de me liquéfier sur place. Vivement que j’arrive, que je puisse me doucher et enfin poser ce sac qui pèse une tonne et me scie l’épaule.
Sami ou Sam, est l’un de mes meilleurs amis, une des seules relations amicales que j’ai gardées de mes années étudiantes ici. Une période que je ne porte pas dans mon cœur d’ailleurs. Heureusement, j’ai fini par tomber sur cet Alsacien lors de ma dernière année. On a matché dans l’instant. Les mecs qui prônent le féminisme ne courent pas les rues. Nos discussions peuvent être sérieuses comme légères, mais elles sont toujours sincères, c’est ça qui importe. Et puis c’est un fêtard aussi, bref, on fait la paire. Il est d’un soutien sans faille, jamais dans le jugement. Quand tu as connu la pire espèce, ça compte beaucoup.
Ce soir, il m’emmène au cinéma. Perso, m’enfermer dans une salle sombre alors que je pourrais être bien installée dans un canapé devant Netflix, ce n’est pas trop mon truc. Mais j’ai promis qu’on ne ferait pas la fête tous les jours vu que je reste presque une semaine chez lui. Donc je la ferme, je respecte le deal. Il me connaît si bien qu’il a réservé les places pour s'assurer qu’on tienne cette promesse pour une fois. Je ne sais même pas quel film on va voir d’ailleurs ! C’est dire à quel point ça m’emballe. Vivement demain soir qu’on aille se déhancher sur les pistes, j’ai hâte de me défouler. Et peut-être trouver une proie pour me soulager ?
J’arrive enfin à Barbès, l’appartement de mon ami n’est qu’à une centaine de mètres. Deux salles, deux ambiances, si l’on compare avec le quartier chic que je viens de quitter. Les rues sales puent l’urine séchée, et les costards ont disparu du paysage, pourtant je préfère mille fois ce coin-là. Pas de « m’as-tu vu » ou de snob ici. Pas besoin d’appeler son banquier pour s’offrir un café en terrasse non plus. Je gravis les escaliers qui mènent à son antre. Septième étage, évidemment, pour bien finir de m'achever.
Enfin sur son palier, vivante mais en transe, il m’ouvre avec un grand sourire et son enthousiasme habituel.
— Hello bichette ! C’est pas trop tôt !
— Ça va ma poule ?
Après une brève accolade, il s’écarte et m’invite à entrer dans son deux pièces.
— Ah ! Je suis trop content ! J’ai mille trucs à te raconter.
Je n’en doute pas ! Mon ami est une vraie commère et l’on ne s’est pas vu depuis nos vacances d’été, il y a deux mois. Je n’aime pas le téléphone, j’ai donc quelques épisodes à rattraper. J’ai hâte d’entendre ces dernières aventures, mais là, j’ai terriblement besoin de me laver. Et si mes calculs sont bons, ce n’est pas le moment d’enclencher le mode potins.
— On a du temps devant nous avant de sortir ? je le coupe dans son élan.
— Ça dépend, tu as faim ?
— Affirmatif. J’ai la dalle.
— On est déjà en retard alors ! La séance est à vingt et une heures.
CQFD.
Je file dans son placard qui lui sert de salle de bain sans me faire prier, pressée de retrouver un semblant de dégaine après cette chaude journée.
Une douche éclair, mais rafraîchissante plus tard, j’enfile un débardeur en crêpe rose fuchsia à fine bretelle. Il met mon décolleté et mon teint de fin d’été en valeur. Je le mixe avec mon pantalon wide leg taille haute en satin menthe. Chic et pop à la fois. Pour finir, je chausse mes baskets blanches pour le confort.
Oui, Sam a dit « Pas de folie ce soir », mais on ne sait jamais… si on passe devant un pub ou deux à la sortie du cinéma, et que la musique nous appelle… il changera peut-être d’avis ? Sam me connaît par cœur, c’est bien pour cette raison qu’il a prévu de me coincer dans une salle obscure toute la soirée. On est toujours un peu assommés après une séance, il le sait. Mais que voulez-vous ? J’ai un mental de chips quand il s’agit de faire la fête !
42 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 3 mois
Louisa Manel
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Il y a 3 mois
Cara Loventi
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Il y a 3 mois
M.G. Margerie
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Cara Loventi
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Il y a 3 mois
Justine_De_Beaussier
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Aline Puricelli
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Alexandra ROCH
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Muratori Megg
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Angel Guyot
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Il y a 5 mois