Fyctia

Oui, vraiment, merci.

Une émasculation publique m’aurait fait le même effet. Sans parler de la douleur amère de la trahison. J’étais le mec le plus bancable du moment, le gentleman casé et sans histoire. En un claquement de doigts, je suis devenu une pauvre chaussette sans couilles ! Autrement dit, le rêve des paparazzis. Ils ont passé mon égo et ma vie à la moulinette pour mieux me bouffer ensuite. Évidemment. Il fallait bien trouver pourquoi Kylie avait eu besoin d’aller voir ailleurs ! Les meilleurs théoriciens du monde se sont posé la question ! Ça donnait du : « Le mythe tombe : Eden Turner est un amant médiocre. », « Il l’aurait trompée en premier ! » ou encore « Était-il violent avec sa fiancée ? ». Bref, que des mots doux et véridiques, bien sûr.

Donc en effet, je fais la fête, je me divertis. Avec quelques femmes et un peu d’ivresse. Bon, OK. Beaucoup. Et c’est vrai, je me souviens de moins en moins de mes fins de soirée. Mais j’avais besoin d’oublier, de me changer les idées, qu’ils croient tous que je n’étais pas au fond du seau. Blessé. Humilié. Trahi. Abandonné une fois de plus. Je souhaitais juste que ça s’arrête.

Énorme échec. Zéro pointé en gestion de crise.

En un nouveau battement de cils, je suis passé de chaussette à Serial Baiseur alcoolo aux yeux de tous.

— Tu vois ça, reprend Bradley en désignant les magazines, c’était déjà de la merde ! De l’autosabotage ! Mais si maintenant, tu ne te souviens même plus des conneries que tu fais, c’est encore plus inquiétant. Tu commences à ressembler à un mauvais cliché de rock star, Eden. C’est du putain de gâchis ! Et sincèrement, j’en ai ma claque !

Je regarde mon agent, sans trouver quoi dire. En fait, je panique. Bradley m’a repéré il y a 4 ans, et depuis, on a enchaîné les succès. Les plus grosses productions me réclamaient, les plus grandes marques de luxe. Les portes se sont ouvertes, ma carrière a fait un bond de géant. J’ai trouvé un public et c’est en grande partie grâce à lui. Cette conversation évoque celle d’une rupture... je n’aurais pas la force d’en surmonter une autre cette année. Et Bradley a raison. Ils ont tous raison. Je ressemble à un putain de mauvais cliché. J’ai tout foutu en l’air.

— Et je ne suis pas le seul, il ajoute en croisant les bras. Les producteurs, les marques veulent des héros, des gentlemen pour les représenter. Pas des junkies dépressifs ! Il n’y a pas de mots pour décrire ce que tu as vécu à cause de Kylie, mais il faut que tu passes à autre chose. Soit tu laisses cet évènement briser ta carrière et tu donnes raison à la presse, soit tu te relèves. Tu vaux mieux que ça, ce gars sur ces couvertures… ce n’est pas toi. Reprends-toi !

Son ton s’est adouci, j’assimile ses paroles en observant mes chaussures, mutique.

— J’ai convaincu Marvel de te donner encore une chance.

Je lève la tête dans un vent d’espoir.

— C’est la dernière, ne la gâche pas.

Je ne comprends même pas comment mon nom peut subsister sur leur liste de prétendants.

— Sérieux ?

— Oui, donc à partir de maintenant, tu fais profil bas. Tu arrêtes d’agir comme si tu n’étais pas un personnage public. Fini les boîtes de nuit et les beuveries. Et tiens-toi éloigné de la jet-set et… des femmes, pour un moment.

— Promis, j’affirme.

Je respire à peine mieux, mais Bradley ne m’a pas laissé tomber lui aussi, c’est déjà une petite victoire.

— Parfait. Ton tournage en France débute dans trois semaines. Tu seras loin de tes fréquentations à la con, ce sera plus facile. En attendant, tu iras à quelques avant-premières et interviews pour le lancement de Never Back en Europe.

Je grimace. Je pensais avoir échappé à la promotion de ce film bouclé il y a un an. C’est la partie de mon métier que j’aime le moins. Exténuante et barbante.

— Tu ne viens pas de me dire que je devais me faire oublier ? je tente.

— Les plans ont changé grâce à ta mauvaise attitude. Il n'y aura pas de questions personnelles, je m'en suis assuré.

Je souffle d’exaspération. Comme si c’était possible !

— Tu as froissé plus d’un producteur je te rappelle, à toi de réparer tes conneries et de les convaincre qu’ils ont eu raison de miser sur toi, ajoute-t-il.

C’est clair qu’ils doivent s’en mordre les doigts. À l’époque de ce tournage, j’étais encore au sommet. Comme quoi, la chute peut être rapide. J’opine du chef nerveusement, tandis qu’il poursuit :

— Après ça, tu prends des vacances. Peu importe ce que tu fais tant que tu restes sobre et que tu gardes ta bite et… ta bouche… au bon endroit. Bref ! il me pointe de l'index. Je ne veux pas te revoir aux États-Unis avant que je te donne le feu vert.

Pardon ?

Je tousse.

— C'est-à-dire ?

— 2 ou 3 mois, balaye-t-il de la main. Le temps que Marvel annonce leur décision. Profites-en pour prendre du recul, te détendre, t'éloigner de… tout ça.

J’écarquille les yeux en fourrageant dans mes boucles. Depuis ma rupture, tout ce que je m’emploie à faire, c’est éviter la solitude pour ne pas devenir fou. D’où les nombreuses fêtes (enfin beuveries), et les fréquentations de merde. J’ai l’impression qu’il m’envoie en pension pour se débarrasser de moi. Comme mon père à l’époque.

Cette fois au moins, c’est justifié.

— Ah ! Et dernière chose, tu as rendez-vous demain à onze heures avec Miranda Moore.

Je fronce les sourcils en prenant la carte de visite qu’il me tend et l’observe d’un air sceptique.

— Une psy ?

Il avait tout prévu, en fait.

— Tu as besoin de soutien pour tourner la page « Kylie ».

Je grogne dans ma barbe. Il ne manquait plus que ça. Je n’ai rien contre les psys, mais je doute que quoique ce soit m’aide à passer l’éponge. En plus, exprimer mes sentiments, ce n’est pas vraiment… mon fort.

— Estime-toi heureux que je ne t’impose pas d’engager un nouvel assistant personnel, renchérit-il.

Hors de question. Le dernier a révélé que même un gros salaire ne garantit pas la loyauté. L’avantage c’est que je suis beaucoup moins sollicité pour des interviews ou autres évènements barbants. Bradley et Cassandra gèrent très bien l’essentiel. Et surtout : plus de traître potentiel dans ma sphère. Plus grand monde tout court en fait.

— OK, je cède.

Je relâche mes phalanges devenues blanches, et fourre la carte dans ma poche. Je ne suis pas en mesure de faire la fine bouche. Son plan paraît réfléchi, à moi de m’y tenir si je veux remonter la pente.

Pas de fêtes, d’alcool, de femmes. Ce n’est pas si compliqué, non ?

Si. Mais je peux y arriver.

L’entretien se termine sur le planning de la tournée. Je m'apprête à partir, quand il me retient :

— 11h, Eden. Tu as intérêt à te pointer ! me somme-t-il, son regard sévère planté dans le mien.

Je dresse un pouce, puis le salue rapidement avant de me tirer une bonne fois pour toutes. J’irai à son foutu rendez-vous si ça peut le calmer. Et surtout, si ça peut garantir ma place chez Marvel, je ferais n’importe quoi. Même distribuer de la soupe aux bonnes œuvres avec une charlotte ridicule sur la tête.

Note à moi-même : garde ce détail pour toi.