Kalehu Plonger Chapitre 28

Chapitre 28

Je n'ai presque pas dormi. Même si je me sentais plus calme mon cerveau n'a pas arrêté de réfléchir à ce que j'allais pouvoir dire à Mace, au fait que j'allais déménager mais aussi à Harvard. Je suis excitée à l'idée de quitter Stunfall, je n'ai jamais vécue ailleurs. Je vais me retrouver dans une grande ville et même sur un campus gigantesque. J'aurais tout à proximité, je vais laisser mon vélo ici. J'avais toujours dit que j'investirai dans une petite voiture quand j'intègrerai l'université, ça sera beaucoup plus pratique pour me déplacer et rentrer à la maison.


En rallumant mon téléphone je vois que Mace m'a répondu.


  • Quelle heure?
  • 15h, à la crique?

Je ne sais pas pourquoi je ressens le besoin de finir cette relation exactement là où elle a commencé. J'ai l'impression que si je fais ça, la boucle sera bouclée, comme si rien de tout cela n'avait jamais existé. Je ne suis pas naïve au point de vraiment croire que tout s'effacera de ma mémoire mais disons que j'aime la symbolique de voir une boucle bouclée.

J'ai beau y avoir réfléchi toute la nuit je n'ai pas trouvé le moyen de faire les choses bien. La seule solution qui me parait être la moins douloureuse pour lui est de faire en sorte qu'il me déteste. S'il croit que ça ne me fait rien et que ma vie n'a pas changé depuis que je l'ai trahi il me détestera et sera plus en colère que triste. Pour que ce soit crédible il faut vraiment que j'arrange un peu mon apparence. On dirait plus un fantôme que quelqu'un qui va très bien. Je passe une bonne demi-heure à démêler mes cheveux et à réussir à faire de jolies boucles que je relève en un chignon. Quelques mèches rebelles s'en échappent mais j'aime bien le rendu. L'étape du maquillage maintenant. Je n'ai jamais été très douée pour ça. Je me retrouve devant trois ou quatre pinceaux et je n'ai la moindre idée duquel je dois utiliser pour réussir à me donner un teint uniforme. Je ne vois même pas à quoi la moitié des produits que j'ai peuvent bien être utile. Heureusement que j'ai un peu de temps devant moi parce que je suis obligée de m'y reprendre à cinq fois avant d'avoir un résultat correct. Je ne suis pas sûre que l'illusion soit suffisamment efficace mais je n'arriverai pas à faire mieux et je n'ai pas le temps de tout refaire.


Il fait de plus en plus chaud. Le soleil tape, les rues sont vides et la plupart des maisons devant lesquelles je passe ont leurs volets fermés. Quelques rares courageux s'occupent de la pelouse devant leur maison ou lavent leurs voitures mais ils ne sont vraiment pas nombreux. Je n'aurais peut être pas dû prendre mon vélo. Mes jambes refusent de pédaler aussi vite que je le souhaiterais. Je suis plus en train de trainer ma vieille carcasse que d'avancer. Il doit faire plus de 40°. J'aurais mieux fait de regarder la météo avant de lui donner rendez-vous à la crique, elle va être bondée et je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un qui apprécie de se faire larguer devant autant de monde. Le connaissant il fera tout pour me rattraper ou pour me convaincre qu'on peut trouver une autre solution, ce qui ne manquera pas d'attirer l'attention. Ça m'étonnerait vraiment que tout se passe sans que l'un d'entre nous ne hausse le ton.

Je coupe par la forêt profitant de l'ombre que m'offre les arbres. Je descends de mon vélo et continue à pied. Je serais un peu en retard mais je ne peux pas le prévenir il n'y a quasiment pas de réseau.

Lorsque j'arrive enfin à la crique je m'aperçois qu'elle est encore plus bondée que ce que j'avais imaginé. Mace est perché sur le rocher sur lequel j'ai l'habitude d'aller. Le seul endroit où l'on peut encore ne pas être les uns sur les autres. Peu de personne ont envie de faire de l'escalade pour arriver jusque là. Ils ont tort la vue est incroyable. Mace est assis, les pieds dans le vide, face à la mer. Il ne me voit pas arriver. Plus je m’approche de lui et plus je sens l’angoisse monter. La douleur que je ressens depuis des jours et que j’ai tenté de faire taire ces dernières heures revient brutalement me coupant le souffle au passage. Je sens mon coeur battre, mon rythme cardiaque augmente de secondes en secondes. Ma respiration se saccade. Je suis complètement en train de paniquer. Respire... Inspire...Expire... Enfant je ne faisais jamais de crise de panique. J'ai commencé à en faire quand je me suis retrouvée à devoir m'occuper de Jasper. Je ne savais jamais ce qu'il fallait faire ou encore comment il fallait le faire. Je paniquais tout le temps à l'idée de mal m'occuper de lui. Les souvenirs de tous ces moments avec lui m'attristent et je sens une larme rouler sur ma joue. Je me dépêche de l'essuyer et me reprends. Ce n'est vraiment pas le moment de lâcher. Je n'ai quitté personne mais les relations se font et se défont, ça marche comme ça depuis la nuit des temps alors ça ne doit pas être si compliqué.

Je m'assois à ses côtés et c'est seulement à ce moment-là qu'il remarque ma présence. Son visage est fermé mais je ne vois pas de colère dans ses yeux. Ce que j'y vois est mille fois pire, la déception. Il ne m'en veut pas. Il se sent juste trahi. Je prends sur moi mais je sais qu'il ne va pas falloir que je m'attarde trop longtemps si je ne veux pas craquer.


-Je suppose que tu es au courant?


Il hoche la tête, il n'a pas l'air d'avoir très envie de parler.


-Je suis vraiment désolée si je t'ai blessé mais...

-Oh, tu croyais vraiment que tu pourrais te servir de moi sans me blesser?


Je reste sans voix. Ses mots me font l'effet d'une énorme gifle.


-Je crois que justement tu n'es pas désolé. Le seul truc pour lequel tu t'en veux c'est de ne pas avoir pu aller jusqu'au bout. Je comprends que tu veuilles soit-disant sauver ta famille mais je ne peux pas te pardonner d'avoir voulu détruire la mienne.


Ma gorge se serre et je dois vraiment lutter pour que mes larmes ne se remettent pas à couler. Rien ne va se passer comme je le pensais. Il n'essayera pas de me rattraper bien au contraire c'est lui qui va me donner le coup de grâce.


-Je ne suis pas stupide au point de croire que tu es venue ici pour quelque chose de bien. Maintenant que tout est fini tu vas te débarrasser de moi comme d'un vulgaire jouet c'est ça? Très bien, mais je vais prendre les devants. C'est fini Sybille et j'espère que je n'aurais plus jamais à te revoir.


Il jette sa cigarette, se lève et part sans un regard pour moi. Il me faut quelques instants pour comprendre ce qu'il vient de se passer. J'ai été prise à mon propre jeu. J'ai l'impression que mon coeur vient de se briser en des milliards de petits morceaux, je me mets à trembler sans pouvoir me contrôler alors que mes larmes jaillissent. J'ai l'impression que je ne pourrai jamais me relever. J'essaye de me relever mais mes jambes refusent de me porter. Tout mon corps me fait mal, il n'y a pas un muscle ni un nerf d'épargné. Je reste là pendant des heures durant, couchée sur la roche brûlante, insensible et assommée par mon propre désespoir.

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