Fyctia

Silence radio. Lorsque je rentre dans la pièce, mon père ne lève même pas la tête de son journal, comme si je n'étais pas là. Je sais qu'il m'a entendue rentrer mais visiblement il est bien décidé à m'ignorer. Ça me fait de la peine malgré tout. Ce que je redoute le plus est en train d'arriver. C'est ma faute si Jasper est triste et si mon père ne peut pas me pardonner ce que j'ai fait. J'hésite à quitter la pièce pour aller me réfugier dans ma chambre mais d'un côté je n'ai pas envie de lui donner raison. Il n' a pas le droit de m'en vouloir. C'est un peu facile de me dire de tout sacrifier pour "sauver" la famille et de me laisser tomber après parce que mes actions ne lui plaisent pas. La fin justifie les moyens et cette fin là justifie tous les moyens. Où sont passées sa compréhension et ses phrases rassurantes? Je reste debout au milieu du salon quelques minutes, histoire de voir si il m'a vraiment pas vue ou s'il m'ignore mais je n'obtiens rien. Il ne relève pas une seule fois les yeux de son journal.

- Papa...

Là il ne pourra pas dire qu'il ne m'a pas vue. Si il ne fait rien c'est qu'il ne voudra rien faire. J'attends pendant des secondes qui me donnent l'impression d'être des heures et finis par repartir vers ma chambre.

Je monte les escaliers et entends les pleurs de mon frère. Ça me brise le coeur de l'entendre comme ça, je ne peux pas le laisser tout seul. J'ouvre doucement la porte et le voit coucher sur son lit, rouler en boule.

- Jasper, qu'est-ce qui se passe?

- Rien...

Je reconnais tellement mon petit frère. Il ne veut jamais rien dire quand ça va pas, il est plutôt du genre à faire semblant de ne rien ressentir pour se protéger. Comment on peut être déjà comme ça à 10 ans? Plus jeune il était tellement enjoué, c'était le petit rayon de soleil de la famille. Aujourd'hui j'ai l'impression que quoi qu'on fasse avec papa il reste de marbre. Le seul moyen de le faire réellement sourire c'est quand il s'agit de nourriture. Pour ça il n'a pas changé, un vrai petit ogre.

- Jasper, dis-moi ce qu'il ne va pas... Tu sais très bien que je serais toujours là pour toi.

- Toujours?

- Oui, toujours.

En entendant sa question j'ai soudainement l'impression qu'on est vraiment une famille brisée. Depuis le départ de ma mère je n'ai pas vraiment eu le temps de réfléchir à tout ce qui se passe, je me suis concentrée sur la suite, essayant de ramener ma mère à nous pour lui mais je n'ai jamais fait attention à la manière dont ceci l'a atteint.

- Papa m'a dit que le vase a été volé.

- Le vase?

- Oui, tu sais celui de la famille. Celui où tout le monde met quelque chose à ses quinze ans. Quelqu'un l'a volé.

Je n'arrive pas à croire ce que je viens d'entendre. Mon père a prétendu un vol? Un cambrioleur serait rentré et n'aurait volé que ça? Il n'y a vraiment que lui pour croire ça mais je suis surtout étonnée de voir qu'il ne m'a pas dénoncée. Son silence a une autre dimension tout à coup. Si il m'a protégée il a été obligé de se rendre coupable aux yeux de mon petit frère étant donné qu'il n'y a pas de traces d'effraction. Il a dû lui dire qu'il avait oublié de fermer la porte ou quelque chose comme ça.

- Le dîner est prêt.

J'entends mon père hurler mais je n'ai vraiment pas la tête à aller manger. Je laisse passer mon frère et rejoins ma chambre. Je sais que je ne pourrais pas me cacher indéfiniment mais j'ai trop honte de ce que j'ai fais pour regarder mon père dans les yeux. Mon téléphone sonne et je vois un message de Thomas. Je me redresse d'un coup. Je ne m'y attendais vraiment pas, on ne se parle que pour programmer les cours et on a déjà prévu celui de demain.

Une petite balade, ça te dis?

J'hallucine. Notre principal sujet de conversation est les équations alors le fait qu'il me propose une balade m'étonne beaucoup.

Je n'ai pas trop envie de lui dire oui tout de suite, on m'a toujours conseillé de me rendre un peu inaccessible.

Quand?

Sa réponse est immédiate.

Maintenant? Je viens te chercher dans 10 minutes.

Au diable l'inaccessibilité, il m'offre l'opportunité de m'éclipser pour la soirée. J'avais complètement oublié qu'il m'avait dis qu'il habite dans le même quartier que moi, ce qui m'étonne car je ne l'ai jamais vu, il doit être nouveau par ici. Après lui avoir dit que j'était partante je me dis que je ne peux pas sortir comme ça. Etant donné que je ne sais pas où on va ni trop ce que ça veut dire il faut que je trouve une solution pour être jolie sans en faire trop. Je décide de choisir une jupe et une débardeur simple. Je relève mes cheveux en une queue de cheval de laquelle quelques mèches rebelles s'échappent. En descendant j'attrape mes sandales et ma veste en cuir.

- Je sors.

Sans attendre je claque la porte et m'éloigne vers le trottoir avant que quelqu'un ne me rattrape.