Fyctia

A la pause du déjeuner je n'ose pas regarder mon téléphone de peur d'y trouver la réponse de mon père. En arrivant à la cafétéria je ne vois pas Sarah. Je suis soulagée à l'idée de passer un peu de temps seule. J'attrape un plateau et me trouve une place au soleil sur la petite terrasse. Deux amies me rejoignent et je passe l'heure à discuter innocemment. Je n'oublie pas tout ce qui vient de se passer mais passer quelques instants aussi simples me donnent l'impression de vivre une vie parfaitement normale, la vie d'une lycéenne de 17 ans dont les principaux problèmes sont les histoires de coeur et de savoir dans quelle université elle va aller. Même si on a déjà eu des réponses on ne sait jamais si les scores de nos examens seront suffisant. J'ai toujours été une excellente élève mais malgré ça je n'ai jamais réussi à avoir la moyenne en maths. Avec tout ce qui s'est passé ces derniers jours j'en avais presque oublié que j'avais des examens à passer dans quelques jours.

Les filles me proposent de sortir ce week end mais je préfère me concentrer sur mes révisions.

Je ne reprends les cours qu'à trois heures, je me rends à la bibliothèque et commence à réviser l'histoire. Je n'ai toujours pas jeter un coup d'oeil à mon téléphone. Il va bien falloir que je le fasse à un moment donné mais pas là. Je lis une bonne dizaine de fois le même paragraphe, je n'arrive vraiment pas à me concentrer.

Mon esprit dérive soit vers Sarah soit vers Thomas. Décidément je suis vraiment mal partie. N'y tenant plus je regarde enfin mon téléphone en allant vers ma salle de cours. Un appel manqué de mon père. Je retiens ma respiration en déverrouillant l'écran m'attendant à y trouver un message vocal ou des sms mais rien. Il a compris. Je me doutais bien qu'il allait comprendre que je n'avais pas cassé le vase par plaisir mais je ne pensais pas qu'il l'accepterait. Remarque étant donné que je n'ai pas de message je ne sais pas du tout ce qu'il pense, ce qu'il ressent et ce qu'il va vraiment me dire lorsque je vais rentrer à la maison après les cours.

Le dernier cours passe vraiment trop vite et lorsque la cloche sonne j'ai l'impression d'être assis depuis à peine quelques secondes. J'ai vraiment pas envie de retourner à la maison. Je prends tout mon temps pour ranger mes affaires mais je suis bien obligée de quitter la classe quand je vois les élèves du cours d'après rentrer. Je prends la direction du parking et décroche mon vélo. J'ai le coeur qui se serre à l'idée de rentrer. Plus les rues défilent et plus j'ai envie de continuer à pédaler. Je dépasse la maison sans m'en rendre compte et me balade dans les rues, celle dans lesquelles j'ai grandi, où j'ai joué, couru après le marchand de glace et que j'ai emprunté des dizaines et des dizaines de fois. Voir les maisons défiler me calme et je finis par réussir à trouver le courage de rebrousser chemin et de repartir vers la maison. Je vois la voiture de mon père garer dans l'allée. Forcément, on est vendredi il est rentré plus tôt.

J'ai vraiment peur de ce qui va se passer quand je vais me décider à franchir la porte. Est-ce que quelque chose aura changé dans le regard de mon père? Il sait pourquoi j'ai fait ça mais je ne peux pas m'empêcher de me demander si la perte n'est pas trop importante qu'il puisse arriver à passer au-dessus et à ne pas m'en vouloir. D'un côté je fais ça pour la famille et j'ai l'impression de la trahir en même temps. Plus le temps passe et je me demande vraiment pourquoi j'ai accepté de faire ça. Je prends tous les risques mais je risque surtout de tout perdre. Ils pensent pouvoir tout accepter mais il y a forcément un point de non retour et c'est bien celui là que j'ai peur de dépasser. Je ne peux plus faire marche arrière de toute façon alors autant en affronter les conséquences tout de suite. J'ouvre la porte et la première chose que je vois est Jasper courant dans les escaliers en pleurant. La porte de sa chambre claque. C'est avec cette sensation d'avoir marqué un tournant dans l'histoire familial que je vais retrouver mon père dans le salon.