Fyctia
C20 Le goût de la honte
Je prends l’appareil tendu par Volco en soutenant son regard, je l'approche de ma bouche, fébrile. De base, j’suis pas fan des conversations téléphoniques. Avec ça, je pense être définitivement vacciné.
— …Allô ?
— Mirek ?
C’est elle.
— Oui, c’est moi… Je suis avec Volco.
Minable. Déjà en train de me justifier pour ce que je m’apprête à faire.
— Oh. D’accord.
Elle n’a pas l’air apeurée ni même inquiète. Le brouhaha des manifestants autour d'elle résonne en écho dans mon haut-parleur.
— Tu vas bien ? je demande.
Qu’est-ce que ça peut te foutre qu’elle aille bien ? C’est déjà une question hypocrite en temps normal, mais dans c’contexte, on est aux frontières du cynisme.
— Oui. Oui, ça va, et toi ? répond-elle.
Et moi ?
Je repense à cette scène de Jurassic Park. À la vache harnachée que l’on descend dans une cage à raptor. Je suis ce gars en train de pousser le bouton activant le mécanisme qui va plonger la vache dans une mer de crocs.
Pas sûr qu’Ava apprécie l’analogie.
Pour le moment, elle se doute de rien. Et comme il lui reste un cœur, contrairement à Mimi et son cactus desséché qui tousse dans sa poitrine gauche, elle prend même le temps de se soucier de mon cas.
Alors je réponds, avec mon ton léger, taquin, ce ton que j’utilise pour dédramatiser les situations retorses. Ce ton de lâche.
— Ça va super. Franchement, on s’ennuie jamais avec toi !
— Je suis désolé de t’avoir mis dans cette galère Mirek.
— Non, non, non, tu pouvais pas savoir ! je m’empresse de dire -Gros con, en plus tu lui rejettes la faute !- T’y peux rien si la moitié des mecs sont des lâches ou des psychopathes.
Je l’entends rire.
— Tu devrais vraiment lire Mona Chollet, ça te plairait.
À son tour elle plaisante, malgré la situation. On a plus de points communs que je ne l’aurais soupçonné.
— Je regarderais l’adaptation en film.
Un long silence s’ensuit. C’est le truc avec les blagues. Ça soulage car, grâce à elle, on anesthésie les émotions, les vraies. Un rire, un sourire, et les vérités qu’on s’apprêtait à délivrer se retrouvent balayées sous le tapis d’où elles étaient parvenues à s’échapper.
Volco me fixe sans discontinuer, depuis ses lunettes noires. Il penche légèrement la tête. Sans un mot, il m'averti, je dois accélérer la danse.
Lauren.
Je dois penser à Lauren.
Ok, Ava.
Mais Lauren.
Un, deux, trois, le vide, je me lance.
— Ava, je dois te dire un truc…
Silence.
— Je… Volco m’a demandé de te laisser partir. De ne pas chercher à te retrouver. Il…
Je n’arrive pas à lui parler de Lauren. Des menaces de Volco. Je pourrais, elle comprendrait. Mais je n’ai pas envie d’utiliser mon ex comme une excuse. Je dois assumer. Le salaud, c’est moi.
Je n’entends plus que sa respiration. J’ai l’impression qu’elle savait. Ma gorge se serre, le cactus suffoque. Je ne porte plus attention au chaos qui m’entoure. Le raz-de marée est intérieur. Le reste n’est qu’une toile de fond, un tumulte étouffé.
Je t’en supplie Ava, réagis, dis quelque chose. Me laisse pas dans le brouillard. Dis-moi que tu gères, que tu va contrôler la situation.
Soudain, sa voix au bout du fil. Ava reprend la parole. Quand je l’entends, j’ai l’impression de sentir mon cœur repartir.
— Je comprends.
Elle comprend.
— Ne t’en veux pas, c’est normal, on se connaît même pas. Ne t’en fais pas pour moi.
Je bafouille le pire « désolé » dont je sois capable, tandis que les membres de mon corps se pétrissent de honte l’un après l’autre.
A deux doigts de m’effondrer, elle ajoute :
— Tu n’as pas à t’en vouloir, Mirek, c’est mon problème. Je te l’ai dit, je n’attendais rien de toi.
Bordel. C'est encore plus violent la deuxième fois.
Je sens mon nez me chatouiller et cette fois les lacrymos n’y sont pour rien.
— On aura passé une bonne soirée, dit-elle, c’est déjà ça.
Je saute sur l’occasion pour rebondir et confirme en essayant de reprendre un peu de contenance :
— Oui, c’était une super soirée ! T’es vraiment une meuf top et…
Sans prévenir, Volco récupère le téléphone et raccroche.
— Parfait, dit-il en rangeant le portable dans la poche intérieure de sa veste, guère ému par ce qu'il vient d'entendre. Chris Montini sera satisfait.
Tant mieux pour lui.
De mon côté, l’honneur est mort, et y’a mes empreintes sur la scène du crime. Des empreintes pleines de merdes.
J’ai honte.
42 commentaires
Paige
-
Il y a 2 ans
Rose Foxx
-
Il y a 2 ans
Anna Wendell - Élodie Faiderbe
-
Il y a 2 ans
Eva Boh
-
Il y a 2 ans
Coeur fondant
-
Il y a 2 ans
John Wait
-
Il y a 2 ans
Coeur fondant
-
Il y a 2 ans
WildFlower
-
Il y a 2 ans
John Wait
-
Il y a 2 ans
WildFlower
-
Il y a 2 ans