Fyctia

C'est celle d'un inconnu.

Torse en V, les bras de Hulk -sauf qu'ils sont noirs au lieu d'êtres verts, une petite barbe et de longues tresses pour habiller sa belle gueule, la montagne de muscles nous écarte et se faufile vers… Angèle ! Ses mains atterrissent sur les hanches de la belle, sa mâchoire du Golgoth se blottit au creux de son cou si doux -je suppose.

L’étonnement d’Angèle est vite chassé par un sourire.

— Solal !

En s’adressant à nous :

— C’est Solal ! On s’est rencontrés dans le cortège et on s'entend super !

Afin de le prouver, elle le choppe par la nuque et l’attire contre elle. Fessier Angèle s’amarre à Bassin Solal et vas-y qu’ça chaloupe. Comme s’ils étaient seuls sous une paillote guadeloupéenne et pas au beau milieu d’une manif parisienne qui sniffe le pneu brulé.

Solal nous lance un clin d’œil en dressant un pouce victorieux.

On se retrouve à les mater comme deux ronds de flan. Ils sont sexy les cons.

— Finalement, ton date passe un excellent date, commente Ava.

Histoire d’abonder dans son sens, Angèle enroule ses doigts dans les tresses qui couvrent la nuque du jeune homme.

— En même temps, Angèle et Solal. Ça pouvait que coller, ajoute Ava en secouant sa bouteille vide.

Elle fige brusquement son geste.

— Ça va, pas trop vexé ?

Je n'arrive plus à discerner le premier et le second degré chez cette meuf.

— Pas du tout, dis-je avec toute la neutralité dont je suis capable. Tant mieux pour elle en vrai. Ç'aurait sans doute été moins explosif avec moi t'manière. J’étais pas dans un mood rencard ce soir, c’était une idée foireuse dès le début.

— Bah pourquoi tu t'es pointé au bar alors  ? Je veux dire hormis… -Ava louche sur sa propre poitrine.

Heureusement, les deux tourtereaux sont trop concentrés à fusionner pour nous remarquer. À peine s'ils sont perturbés par le son des déflagrations, ils échangent un baiser langoureux.

N'empêche qu'Ava a mis le doigt sur quelque chose. Pourquoi ce date ?

— Pour faire comme les autres. Oublier mon ex ?

Même si une partie de moi attend l'invention de la machine à remonter le temps pour modifier le cours de cette dernière année. Corriger mes erreurs. Mieux, les anticiper.

— Alors c’était vrai l’histoire de ton ex ? demande Ava.

Drôle de question. Mais elle parait enfin dénuée d'ironie.

— Bien sûr. J’suis p’t’être un lâche j’suis pas un menteur.

— J’ai jamais sous-entendu que t’étais un lâche, soupire Ava. La preuve, tu es resté. Merci pour ça. Et excuse-moi de m’être emportée dans le Uber. C’était too much, tu n’y es pour rien.

« Ah ! Merci ! » j’ai envie d’hurler. Mais je la joue gentleman.

— T’inquiètes, t’as juste réagi à une phrase nulle de ma part. J'étais sous tension. On lâche parfois des trucs débiles quand un type nous vise avec son gun.

— En tout cas, si ça peut te rassurer, ne te mets pas la pression. Je n’attends rien de toi.

— Sympa.

— Roh, j’le disais pas dans ce sens là ! T'as vraiment l'ego atrophié Mirek. T'es pas si nullos que ça.

— T'es sûre ? dis-je en faisant un pas de côté pour laisser passer une famille qui remonte le cortège à contresens.

— Meuh oui ! Perso, ma main à couper que ça aurait marché avec la belle Angèle si t'avais fait un peu d'efforts. Et si elle était venue au rendez-vous.

— Tu peux prédire ça toi ?

— Instinct féminin. C’est scientifique. Et logique : chaque soleil a besoin de sa lune.

— J'imagine que c'est pas moi l'soleil ?

— Par contre, contrôle-toi mon vieux. T'aurais vu ta tête quand Angèle s’est ramenée. Mais avec un peu plus de maîtrise corporelle et ta tchatche légendaire, elle t’aurait peut-être laissé zouker avec elle.

— Ah. Pourtant toi, t’as commandé un Uber pour me fuir.

Oui, je l’ai toujours un peu mauvaise.

— Ça c’est toi qui l'as décrété.

— Tu m’as dit toi-même que tu voulais rentrer !

— Exact. Pas que je voulais rentrer seule.

Ah !

Oh.

— Après, te fais pas de films. Je voulais juste te montrer mon nouveau handspinner. J’en suis férue.

— Bien sûr.

— Sinon on est d’accord que ces gens marchent dans le mauvais sens, c’est pas moi suis bourré ?

Sans minimiser l'impact de l'alcool sur sa conscience, de plus en plus de monde rebroussent effectivement chemin et ils ont l'air pressés.

Dans sa fuite, une femme paniquée bouscule Angèle et Solal, les arrachant à leur baiser.

Le claquement sonore d’une détonation me fait sursauter.

Ça semblait si proche.

Ava se colle à moi. Je n'entends plus de chants mais des cris stridents.

Un petit groupe de mecs capuchés tout en noir nous double au pas de course, direction la tête du cortège. Ils disparaissent dans le nuage de fumée opaque qui se déploie devant nous. Un peu partout, des manifestants se font engloutir par les volutes blanches surgissant du sol.

Une nouvelle détonation fait trembler mes tympans, suivit d’une explosion de verre fracassant le bitume.

Je me tourne vers Ava. Elle a plaqué ses mains sur ses oreilles. Les débris de la bouteille de mousseux gisent à ses pieds. R.E.P.

Sur ma gauche, un gars annonce :

— Lacrymo !

— Les CRS s’énervent ! annonce Solal qui a laissé son sourire sur les lèvres d’Angèle.

— Ils veulent faire régner l’ordre en créant le chaos ! On va pas se laisser faire ! s’emporte-t-elle, de nouveau possédé par le spectre d’Arlette Laguiller.

Elle visse son masque de plongée devant ses yeux et enroule un foulard autour de son visage.

— Tenez-vous prêt, ça va piquer !