Fyctia

Hop, pirouette. La danseuse se retrouve côté face et.

Waw.

Rom popopom, rom popopom, j’ai envie d’dire.

Au lieu de m’engouffrer dans une description qui me ferait passer pour un vieux beauf libidineux -je réserve cette facette de ma personnalité à mon historique internet- je me contenterais d’une poignée d’adjectifs : métisse -jusque ici, tout va bien-, lumineuse -cliché, mais approprié-, ondulée -là je commence à tâter du frein à main-, généreuse, et on va s’arrêter là avant que ça ne déborde. Bref, le genre de go avec un charme et un physique qui rendent les mecs idiots, mais ça, vous l’aviez compris il y a trois paragraphes.

C’est marrant, sa tête me dit un vague truc.

Elle porte un simple mini-short et un débardeur blanc, pourtant cette fille dégage une aura de star du r’n’b ou de pop mondiale -Moustache aurait apprécié. Ce n’est plus des manifestants mais un carré de fans qui se trémousse à ses pieds. Un accessoire cependant, nous ramène au contexte de la scène : un masque de plongée bande son front -utile en cas d’usage de poivre non consenti.

Elle parcourt la foule du regard en continuant son show. Nos yeux se croisent brièvement, puis s’éloignent, puis se recroisent. Et ses lèvres, pleines, brillantes, s’arrondissent.

— Mirek ?

Elle saute de la remorque et fend sa horde de fans pour accourir vers moi.

Le temps se suspend.

Non, impossible… c’est…

Joli dos ? L’officiel ? Le joli dos de mon date avorté ?

Ma stupéfaction n’échappe pas à Ava.

— Mirek, fais gaffe, tu baves. Tu la connais ?

C’est la question que j’me pose. Plus elle s’approche et plus je me remets sa photo de profil.

— Me laisse pas en plan, tu la connais ?

— Vite fait.

— Quel gros loveur ! C’est quoi son p’tit nom ?

C’est l’autre question que j’me pose. J’en n'ai aucune idée, et je miserais pas mon livret A sur Joli Dos.

Ava me scrute dans l’attente d’une réponse. Chaque seconde de silence supplémentaire m’entérine un peu plus sur le trône des salauds.

Joli Dos n’est qu’à quelques pas de ma sale face.

Elle penche la tête et ses boucles noires se renversent sur ses épaules au goût sucré -j'imagine.

— Mirek ? T’es le mec de l’appli ?

— Lui-même.

Et là, elle sourit, d’un sourire qui pourrait apporter de l’électricité à tout un village du tiers monde -j’hyperbole un chouille.

Sans bonjour ni bonsoir, elle se jette sur moi et m’enlace. Elle me serre fort, très fort. Son corps est près, très près -et douillet il est vrai.

Je m’arrête de respirer. Mon CO2 reste bloqué sous ma glotte, mes bras eux, restent figés le long de mon buste. Je suis au max de mon charisme.

Elle lève le nez vers moi et, oh, même sa poitrine me fait du pied, va falloir rester focus. Son museau sent un brin l’alcool, d’où, peut-être, son enthousiasme enthousiaste.

À côté, Ava se délecte du spectacle et de la fin de son mousseux - il ne lui manque que des chips.

— Je suis désolé de pas être venue Mirek. Je suis tombée sur la manif, et voilà, avec l’énergie du truc, je me suis laissé emporter  ! Tu comprends, en les voyant défiler, je pouvais pas faire comme si de rien n’était. C'est important de continuer la lutte ! Un chef qui n’écoute que sa personne n’est que le chef de lui-même ! Ce monde c’est le nôtre Mirek !

Ok Arlette Laguiller.

Elle semble prendre conscience de la situation.

— C’est fou de se croiser là ! dit-elle en me libérant enfin de son étreinte chaleureuse.

— Hé, hé ! Tu m’étonnes ! Si tu ne viens pas à Mirek, Mirek viendra à toi.

Trouduc.

Elle doit penser la même chose car elle pivote direk sur Ava.

— Et tu es ?

— Ava. Je bois du mousseux. Et toi ?

— Angèle.

— Oh ! Comme la chanteuse ?

— Non. Comme la chanson.

— Ah, du Saïan ?

— Non, de Balavoine.

— Top.

— Et vous êtes … ?

Le doigt d'Angèle oscille entre Ava et moi.

— Oh, une connaissance, même pas un plan cul, s'empresse de dire Ava avec un petit geste de la main que je traduis par « c’est un horrible malentendu ». On s’est rencontrés durant votre rendez-vous, celui auquel t’es pas venue. Du coup, ce tombeur n’a pas pu s’empêcher de draguer la première fille qui passait et c’est tombé sur moi, Ava la grosse veinarde !

Merci pour ton soutien inconditionnel Ava, t’es une sœur.

— Ah, euh, génial, bredouille Angèle, peu habituée au style frondeur de notre bonne Ava. Et bien, il a bon goût !

— On peut pas lui enlever ça, répond Ava en ripant sur les courbes d’Angèle.

Comme elles réalisent qu’elles n’ont rien à se dire, Angèle ramène son parfum avinée vers moi, accompagnée d’une petite tape sur l’épaule.

— C’est cool de te voir supporter le mouvement ! J’aurais pas cru, vu ton profil Pinder. Sans vouloir te vexer.

Je suis plus à ça près.

— Ah ça, c’est clair ! L’est pas du genre à lancer des pavés notre petit Mirek ! dit Ava en pointant sa bouteille de mousseux vers moi pour la énième fois de la soirée.

Je lève les mains en l’air par réflexe, on sait jamais. Ça tire ces trucs là ?

Victime de l'effet Ava, Angèle ne sait plus trop quelle posture adopter. Plutôt que de prolonger ce moment qui ne fait plaisir à personne, elle choisit la voie raisonnable du changement de sujet :

— J’ai rencontré un garçon ! Suivez-moi si vous voulez !

Ses cheveux se soulèvent et manque de me fouetter quand elle se retourne. Elle se met en marche.

Comme on n'a pas vraiment de programme plus élaboré que ça avec Ava, on obéit et on remonte le cortège. Ce qui prend du temps et laisse donc le champ libre à Ava pour me taquiner les miches.

— Tu verrais ta tête. Depuis qu’elle est là, t’as arrêté de respirer ! Tu veux que je te serre dans mes bras moi aussi ?

Je serre les dents pour ne pas rentrer dans son jeu. Et parce que je ne trouve pas de répartie.

Après un silence un brin prolongée, je la surprends à reluquer la jolie chute de reins d’Angèle

— Et bin tu t’emmerdes pas, commente-t-elle.

— Ah, j’avais pas fait gaffe, répond-je, indifférent.

— Bien sûr, j’imagine, c’est son côté militant qui t’a touché en plein cœur. Classique Mirek ! Une femme engagée, le voilà qui rapplique.

— Tu f’ras gaffe, t’as une paire de cornes en train de te pousser sur la tête.

— Et t’as pas vu ma grosse queue pointue  ! Elle m’entaille la cuisse quand j’marche, c’est un cauchemar.

J’accélère le pas pour échapper à son petit jeu. Pourquoi j'ai pas quitté le Uber déjà ? Ah oui, la lâcheté.

Ava revient à la charge.

— Oh, allez, j’te charrie. T’as raison, elle est magnifique cette nana !

— Crie le encore plus fort, elle t’as pas bien entendue.

— Rooh, on peut pu rien dire t'façon. avance-t-elle très sérieusement en essayant d'atteindre la dernière goutte de sa bouteille.

Si elle pouvait y trouver un moyen de résoudre le dossier Chris au passage.

En ayant cette pensée, je redoute d'avoir invoqué le démon car je sens aussitôt une présence derrière nous. Une main massive s'abat sur mon épaule.