Fyctia
C10 Toute La Vérité
Par chance, la route est quasi déserte, comme si la nuit avait absorbé la circulation. Peu à peu, le Uber prend ses distances avec Volco. L'ange de la mort s’immobilise au milieu de la route. Il range son arme à sa ceinture et reste planté là, dans l'obscurité, à observer sa proie s'éloigner, échapper à ses serres frustrées.
Pour lui, ce n'est que partie remise. Il le sait.
Plus sa silhouette rétrécit, plus les battements de mon cœur s’apaisent.
Avec tout ça, mon envie de vidange s’est envolée… pour le moment.
Un journaliste déroule son flot linéaire dans les enceintes de la radio. Durant quelques minutes, seule sa voie s'approprie l'espace de l'habitacle.
" ... plusieurs boulevards bouchés cette nuit à Paris en raison de la manifestation nocturne. La Marche des flambeaux continue, malgré les pressions policières. Le mouvement populaire ne s'est quasiment pas interrompu aujourd'hui et le taux de participation ne faiblit pas. Gageons que les politiques sauront entendre cet appel..."
Les manifs.
Joli dos.
Ça me paraît si loin.
Bercé par le son ambiant, la conduite limpide de Moustache et les lumières floues défilant par la fenêtre, je retrouve lentement mon calme, puis mes esprits…
— On est dans un Uber ?
J’ai eu besoin de le conscientiser à voix haute pour intégrer que le danger était derrière nous. Sauf qu'en prononçant cette phrase, je réalise autre chose.
— On ne lui la fait pas à Monsieur, dit Moustache.
J'ignore la remarque et m'adresse à Ava, des points d'interrogation poppant par dizaine dans mon esprit.
— Tu le savais. Quand tu m’as dit de courir. Tu le savais que c'était un Uber. À quel moment t’as commandé un Uber ?
Derrière sa cascade capillaire, le visage d'Ava se ferme façon porte blindée. Elle s’évertue à détailler la pointe de ses genoux. À faire comme si je ne la fixais pas d’un air accusateur. Elle entortille le bas de sa jupe entre ses doigts. Et redevient une inconnue totale à mes yeux.
Quand a-t-elle pu...
Soudain je la revois.
Sur le pont, avant l’arrivée des affreux, à pianoter l’écran de son portable, et moi, à côté, en mode plante verte, à ne pas savoir où me mettre.
Elle préparait déjà son évasion tout à l'heure, mais c’est bibi qu’elle comptait fuir !
Tout ça parce que j’ai cité Marie-Ange-Nardi. Quelle indignité !
— T’as commandé un Uber sur ton tèl pendant qu’on causait sur le pont ?
Elle colle son nez contre la vitre glacée, dans une grande interprétation du spleen de l’incarcérée.
La pauvre. Où qu'elle aille, les garçons ne veulent qu'à l’embêter.
— Fallait bien que j’rentre chez moi à un moment !
Elle me lâche ça comme un crachat dont elle se débarrasse.
— Wo, wo, wo, d’abord tu me cries pas dessus. Je te signale qu’à aucun moment du scénario, je suis responsable de ce chaos. C'est toi qu'a voulu traîner en ville. Qui boit des verres avec des cassos. Alors maintenant, tu m’expliques. Tout.
On a tous nos petits secrets compromettants. Moi-même, j’ai zéro leçon à donner sur le sujet -je vous ai déjà parlé de ma literie Dragon Ball ? Mais là ça dépasse l’entendement.
— Que j’explique quoi ? -mode mauvaise foi d'Ava activée- Y’a rien. C’est juste des tarés qui prennent leurs rêves pour des réalités.
— Et qui cachent des armes à feu sous leurs costards !
Je suis impliqué jusqu’au cou, on dirait qu’elle s’en rend pas compte, ça me rend fou ! Évidemment, je m'emporte :
— C'est vrai, j’oubliais. Ça t'a pas ébranlé la nouille quand Volco a déclaré, normal, que si j’m’en mêlais, il enverrait ses balles danser la chenille dans mon abdomen ! Après, j’te comprends hein, y’a rien ! Pour toi, j’suis « juste un gars » !
Sourcils en V, elle retourne se murer dans sa forteresse de silence.
— Vous êtes de la télé-réalité ? intervient Moustache, visiblement étranger au concept d'intimité.
Elle le kalash du regard.
Une fois Moustache recadrée sur son itinéraire, les deux émeraudes d'Ava se posent sur moi.
J’ai l’impression qu’elle a juste à me toiser pour comprendre qui je suis. Et ça me fait flipper mais en même temps, c’est un peu excitant.
— J’ai dit ça pour te protéger, idiot. Pour pas qu’ils pensent que t’étais un obstacle.
Oh.
Elle vient peut-être de l’inventer, en tout cas, ça me touche premier degré.
Et donc je me sens un peu con.
Et donc je fais une blague.
— T’as vu mon corps. J’suis clairement pas un obstacle pour grand monde.
Elle m'accorde un sourire.
Je me rends compte que j’adore la faire sourire. Comme si j’arrivais à l’atteindre, elle et son petit monde de références pointues, son côté franc-jeu à l’opposé du mien.
Comme si je parvenais à décrocher une petite place quelque part dans ses grands yeux verts.
Euuuh, allô Mirek ? Tu passes sous un tunnel mon pote ? T’as le cerveau qui fait de la friture.
C’est un embranchement dangereux que tu titilles là ! Reprends-toi ! Y’a cinq minutes, pour rappel, t’avais la tête entre ses cuisses pour éviter de finir passeoiriser par un manos !
Là, tousuite, y’a peut-être des priorités plus… prioritaires ?
— Bon, meuf, je dis posément. Viens, on reprend depuis le début et tu m’expliques. Que je comprenne. Est-ce qu’il faut te féliciter pour ton mariage où…
Elle lève les yeux au ciel.
— Qu’est-ce que Papa et maman Ava pensent de leur nouveau gendre ?
— Papa et maman Ava ne sont plus de ce monde depuis un moment.
Ok.
Mirek, niqueur d’ambiance professionnel depuis 1997.
— Par où commencer…, marmonne-t-elle.
— Il était une fois ?
— Crève.
— J’ai déjà failli y passer y’a cinq minutes. Laisse-moi l’temps de souffler.
— Bon. Je peux raconter où t'as encore des vannes en stock ?
Je zippe une fermeture Éclair invisible sur mes lèvres en guise de promesse. J’avais pas commis ce geste depuis le CM2.
Elle prend une profonde inspiration -parce que ça la soûle d’en parler ou parce qu’elle était trop pompèt pour se souvenir ? mystère- et se lance :
— Chris a débarqué un beau soir dans l’hôtel où je travaille. Un palace. Je suis barmaid là-bas, et femme de ménage aussi des fois. Bref, j’ai besoin d’oseille. Et donc, il déboule dans tous ses états, trois hommes en costard sur ses talons. Dès que l’un d’eux tente de l’approcher, Chris monte sur ses grands chevaux de façon épidermique.
"Il refuse de sortir, ne veut pas prendre de chambre, et vu son manège à tourner en rond dans le lobby, en répétant à qui pouvait l’entendre qu’il n’avait besoin de parler à personne, je me suis sacrifiée ! Je lui ai proposé de prendre un verre au bar pour redescendre un peu. Offert par la maison. Le but était de l'éloigner de l'accueil et de la clientèle. Il a dit "ok", à condition que je lui tienne compagnie, seul à seule. Alors, j’ai accepté. Là, tu peux m'insulter."
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Paige
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John Wait
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Coeur fondant
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Anna Wendell - Élodie Faiderbe
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