Fyctia
C3P.2 Triangle Savoureux
Elle relance Chris sur le métier de son père mais ce dernier reste élusif.
De mon côté, maintenant que j'ai glissé mon gros nez dans leur intimité, je ne sais plus trop où me mettre. Suis-je encore censé participer à leur conversation ?
Lassée de devoir tirer les vers du nez de son interlocuteur, la fille me désigne d'un hochement de menton :
— Bon, puisque Monsieur persiste à jouer la carte du mystère, vous faites quoi vous ?
— Moi ? Je suis comédien. Enfin, je fais du stand-up, j’essaie.
Qu’est-ce que je fabrique ? Pourquoi je lui raconte ma vie ?
J’étais tranquille chez moi à m’auto-flageller, rien ne venait troubler le puits de ma mélancolie depuis des semaines. Mes fidèles compagnons, acariens du canapé-lit, écoutaient mes complaintes en silence et tout allait bien.
Et mon seul moment d’éveil, je l’utilise pour quoi ? Pour installer une appli de rencontre ? Pour céder à l’appel de la vie sociale ? Aux sirènes de la tentation ?
Ça ne pouvait rien donner de bon.
Maudite appli. Maudit dos. Maudit moi.
Au moins, elle, semble plutôt enthousiasmée par ce que j'annonce :
— Du stand-up ? Super ça !
— Ah ! Vous êtes un comique ! dit Chris en noyant l’olive de son martini à l’aide d’un cure-dent. C’est marrant, avec votre tête j’aurais pas dit.
— Ah.
— Ouais. Désolé mais, vous n’avez pas une tête drôle je trouve.
— Ok.
— Dans sa bouche, c’est un compliment ! précise la fille pour me rassurer.
Je n’en suis pas si sûr.
Après, les réactions extravagantes dues à ma profession, c'est la base. Soit les gens s’extasient, soit ils sont désolés pour moi. Mon père fait partie de la deuxième catégorie.
— Ça paie bien ça les acteurs, assure Chris qui a visiblement lu un article à ce sujet dans Mickey Magazine. Vous devez prendre pas mal d’argent -ai-je besoin de préciser qui parle ici ?.
Je réponds poliment :
— Les spectateurs paient au chapeau la plupart du temps donc ça dépend. Pour le moment, je prends surtout des bides.
...
Ma petite punchline laisse un froid. Même elle, ne trouve rien à redire.
J’observe le verre de gin vide en espérant qu’il se remplisse à nouveau.
Le blanc se prolonge, la situation stagne. Comme mon coca.
— Qu’est-ce qu’il fabrique ce serveur ? s’agace Chris en scrutant l’entrée du bar. Décidément, quel incapable !
— Votre père ne vous a pas appris la patience on dirait ?
Belle action de la joueuse française ! Réaction immédiate chez Chris qui retrouve aussitôt sa moue boudeuse.
— Hormis à ne pas le déranger, papa ne m’a pas appris grand-chose.
Ça a le mérite d’être clair.
On échange un regard surpris avec la fille. Un peu plus, et cet homme deviendrait presque touchant. J’ai bien dit presque.
Chris pourrait être agréable à regarder si chacune de ses mimiques ne suintaient pas le dégout perpétuel de tout ce qui l'entoure. Bon, je suis peut-être juste jaloux de ses belles boucles blondes, de sa mâchoire carrée et de son teint halé.
Pour rappel, Iam Basic Man, alors forcément.
À quelques mètres, je vois un homme s'insérer entre les rangées de tables.
Il cache ses yeux derrières de petites lunettes rondes aux verres fumés et sa calvitie sous un chapeau noir. D’ailleurs tout est noir chez lui, des chaussures au col roulé.
— ...Heureusement, il m’offre toujours ce que je demande, continue Chris. Le saviez-vous, j’ai eu un magnifique SUV Urus pour mes 26 ans. Et vous, dans quoi roulez-vous actuellement ?
La réponse qui me vient d’instinct est : « dans la fange ».
— Je suis plutôt piéton ou transport en commun.
Ça l’impressionne, bizarrement :
— Et alors ? C’est pas trop dur ? Les bus ? Le métro ? Je veux dire, l’odeur…
Me voilà rassuré, c’est bel et bien un con.
La fille soupire bruyamment.
— Et bin, faut pas être sapiosexuelle autour de cette table. Bon, il vient ce verre ? J'ai besoin de boire.
— Sapio-Quoi ? demande Chris, sourcils froncés.
— Un genre de marsupilami... une vache de la jungle si tu préféres, s’agace-t’elle.
— Décidément vous avez quelque chose avec ces animaux, dit-il timidement avant de se reprendre. En tout cas, ne vous sentez pas obliger de dire des mots compliqués pour m’impressionner. J’aime les femmes assez simples.
— Ça alors.
— Vous savez, je ne suis guère féru de femelles aux fort caractère. La plupart du temps, je préfère les évitées. Elles ne causent que soucis et migraines. Mais chez vous, ça pourrait me plaire. Avec parcimonie bien sûr.
— Vous m’en voyez soulagé, dit la nana avec une pointe d’ironie qui passe complètement au-dessus de Chris.
L'homme au chapeau s'approche de nous. Il se stoppe derrière la chaise de Chris et pose négligemment une main sur le haut de son dossier. La moitié de ses doigts sont ornés de bagues.
Son attitude est, au minimum, spé'.
Attendez, ce ne serait quand même pas le domestique de SUV Man ?
Chris remarque l’arrivée de son peut-être domestique et tend l’oreille vers lui. L’homme se penche vers Chris qui nous fait signe de nous taire -ça tombe bien, personne ne parlait-, et lui murmure quelque chose à l’oreille. Le nez de Chris se plisse.
Il recule sa chaise.
— Ma chère, je m’excuse, vraiment, je dois vous laisser un instant. Mais je reviens vite !
— Pas de soucis, je suis en excellente compagnie, dit-elle en affichant un grand sourire.
Chris me foudroie du regard. Elle veut me mettre dans la merde ou quoi ?
— Parfait. dit-il.
Deux pauvres syllabes, et j’ai pourtant l’impression d’avoir traversé la Sibérie toute entière.
Il attrape son verre, le finit d’une traite et se lève. Il lisse sa veste une nouvelle fois, pose la main sur l’épaule de son domestique et opine. Le domestique (?) s’éloigne. Avant de le suivre, Chris me reluque une ultime fois, façon gros chat prétentieux. Dois-je y voir une mise en garde ou est-ce son mépris naturel qui se manifeste ici ? Enfin, il part, et les deux hommes disparaissent à l’intérieur du bar.
La fille pousse un soupir de soulagement. Ses épaules s’affaissent.
— Aaaaah ! J’en pouvais plus ! -elle se laisse glisser sur sa chaise- À chaque fois qu’il ouvre sa bouche, je perds un peu plus foi en l’humanité !
Je rétorque :
— Après il a quand même l’air d’avoir une sacrée belle voiture.
Elle pouffe.
J'aurais dû me contenter d'un sourire empathique mais j'ai pas pu résister à balancer mon bon mot. Maintenant, elle va croire qu'on est potes et ce sera ma faute.
Pendant un court instant, ses yeux se perdent dans le vague. Impossible de savoir à quoi elle songe. J’essaie de ne pas trop la dévisager, de retourner à mes affaires, mais je ne sais pas pourquoi, elle attise ma curiosité.
Soudain, elle relève la tête, inspire un grand coup et se tourne vers moi :
— Tu t’appelles comment ?
— Mirek... Et toi ?
— Ava. On se barre ?
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By the way, le visuel a spécialement été créé par la talentueuse @lemy.barth (son insta)
N'hésitez pas à aller voir son travail, sans vouloir vous commander.
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Paige
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Il y a 2 ans
John Wait
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Il y a 2 ans
cedemro
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