Fyctia
C2P.2 Gin Sévice
...je ne peux pas m’empêcher de laisser traîner mon oreille vers la table voisine.
— … elle est magnifique, jaune avec des courbes divines. On peut même y monter à plusieurs. Je l’ai eue pour mon anniversaire. Avant que tu me le demandes, son p’tit nom, c’est Urus.
— C’est le nom d’une vache aussi, dit la fille toujours absorbé par sa manucure.
Le mec s’offusque.
— Non, non, Urus, c’est le nom de la voiture ! Et pas n’importe laquelle ! Un SUV ! Mon SUV !
— J’ai bien compris, mais à l’origine, Urus, c’est le nom d’une vache.
— On parle de Lamborghini enfin ! Une marque haut de gamme pareil ne s’inspirerait pas d’une vache pour leur SUV, ça ne fait aucun sens. En plus il est jaune, il ne ressemble pas du tout à une vache !
— Peut-être parce que c’est une voiture.
Une moue à mi-chemin entre le dédain et l’attendrissement déforme le visage parfait du blondinet.
— Vous voulez m’embrouillez on dirait. Enfin. Cessons de psalmodier sur des sujets que vous ne maîtrisez pas. Ça m’embêterait de vous mettre mal à l’aise.
Je ne suis pas un expert en drague, encore moins en relation sociale, mais on est d’accord que ce type décroche la palme du Pire Espoir Masculin ?
Elle, garde un sourire en coin que je jurerais un brin crispé. Sans doute pour canaliser son envie de retourner la table.
— Mon père était garagiste, répond-elle calmement. Donc les voitures, ça me parle un minimum.
— Votre père d’accord. Mais vous n’êtes que sa fille si je puis le formuler ainsi. Mais me voilà rassuré. Avec vos histoires de vaches absurdes, j’ai crains que vous ne soyez issue d’une famille d’agriculteurs !
— Et votre père à vous, qu’est-ce qu’il fait dans la vie ? demande la fille en balayant la terrasse du regard comme on cherche une issue de secours.
Le gars se redresse sur sa chaise.
— Oh je…, c’est quelqu’un de très important dans la région.
— Ça j’imagine, pour se permettre d’offrir des voitures à des anniversaires. Mais encore ?
Le blond enfonce son menton dans le col de sa chemise.
— C’est difficile à expliquer, bafouille-t’il. Vous ne pourriez pas comprendre et puis ce n’est pas si important. Retenez juste que l’argent n’est pas un problème pour moi. À mes côtés, les rêves deviennent réalité. The dreams come true en américain. Si nous devions nous revoir, je pourrais vous emmener faire les magasins par exemple. Promis, vous n’aurez jamais à hésiter entre deux articles !
Elle ricane.
— Je ressemble tant que ça à une clodo ?
— Oh non, non ! Si c’est ce que j’ai laissé sous-entendre, pardonnez-moi ! Au contraire ! Je ne voulais aurait pas convier à boire ce verre si vous ressembliez à une fille des rues ! Seules celles qui me plaisent vraiment ont cette opportunité. Pour les autres, il y a l’hôtel. Si je dois être transparent, vous êtes complètement à mon goût. -raclement de gorge, resserrage de cravate- Trèves de palabres, allons droit au but. Je vous trouve fort seyante.
Pour une fois, même si il le dit n’importe comment, il ne raconte pas trop de conneries.
C’est vrai que la nana ne paie pas de mine avec son gilet, sa chemise légère couleur crème boutonnée jusqu’au cou, sa jupe plissé et ses semelles compensés. Mais elle a quelque chose de fascinant. Ou plutôt deux.
Deux grands yeux verdorés.
Attention, l’expérience l’a prouvé, des yeux peuvent être aussi traître qu’un dos.
Dos à qui je textote :
Comment sont les merguez ? Toujours en vie ?
Réponse quasi immédiate :
Ahah oui t’inquiètes, mais le mouvement social bloque tout, les rues, les métros…
Je ne sais pas du tout combien de temps ça va me prendre pour venir
Je te tiens au jus (à imaginer avec la batterie de smiley qui va bien)
Ok pas d’soucis je lui répond.
Même si j’ai l’impression qu’on part sur un bon gros lapin des familles.
Un serveur armé de son plateau s’arrête à la table voisine.
— Le martini pour monsieuuur et le gin pour madaaame !
Il pose le verre décoré d’une rondelle de citron devant la fille.
— Euh, désolé -elle semble un peu gênée- mais... j’avais commandé un spritz.
Le teint du serveur vire du blanc au rose bonbon.
— Oh, désolé mademoiselle, on s’est mal compris !
Il n'en faut pas beaucoup à ce pauvre garçon pour perdre ses moyens. Soit il prend son taff trop au sérieux, soit c’est son premier jour.
Vu sa dégaine d’étudiant fraîchement traumatisé par Parcoursup, je penche pour la première option.
La fille se veut arrangeante :
— Tant pis. Je crois que je vais prendre un gin finalement.
Tout est bien qui finit bien.
C’est alors qu’un
— Keuwaaaa ?
outrageusement dramatique retentit.
Vous l’aurez deviné, c’est notre ami des SUV qui s’offense ainsi.
Je découvre émerveillé l’intonation de ses cris évoquant le chant des meilleures scies sauteuses. Les gens tournent la tête vers nous, enfin vers lui, mais comme je suis juste à côté, je croise plusieurs visages sidérés. Je lis dans les regards éberlués, ahuris, voir effrayés :
« Qu’est-ce qui lui arrive ?
« Vous le connaissez ? »
« Faut-il l’abattre ? »
Loin d'être abattu, le blond s'enfonce dans son réquisitoire :
— « Vous vous êtes mal compris ? » Avouez plutôt que vous vous êtes trompés de commande au lieu d’accuser mon invitée, tel un couard de bas étage !
— Oui, monsieur.
En face de lui, les joues de la fille fleurent bon l’étal de tomates. Elle secoue les mains en signe d’apaisement.
— Vraiment c’est pas grave ! Ça ne me dérange pas !
Et rajoute :
— Tant qu’il y a de l’alcool.
Une réaction humaine, raisonnable. Est-ce que ça tempère l'ami des SUV ?
Évidemment pas.
— Pas de ça avec moi ! Ma compagne a exigée un spritz, elle boira un spritz ! Foi de Chris Montini !
La fille fronce un sourcil.
— Votre compagne ?
— Hu, hu, désolé, je parle déjà comme si vous étiez mienne. Ce n’est qu’une question de temps après tout. Oh, ne rougissez pas ! Nous ne sommes pas des enfants, je sais que je vous plais.
— J’ai dis ça moi ?
— Pas besoin, je le lis dans vos yeux.
— Contentez-vous d’écouter ce qui sort de mes lèvres. Allez, affaire réglé, dit-elle en prenant le verre de gin. Merci monsieur.
Une bulle de tension flotte au dessus de leur table, risquant d’exploser à tout moment.
Le serveur fixe le sol avec une telle intensité qu’il pourrait l’ouvrir sous ses pieds -c’est sans doute ce qu’il cherche à faire d'ailleurs
— Mais enfin - Chris a mis un supplément miel sur ses intonations- ! C’est son métier au monsieur, c’est mon droit le plus légitime de le réprimander ! Imagine si ton papa oubliait de resserrer le joint de culasse dans un moteur ! Il serait vilipendé de la même manière !
Le visage de la fille se ferme. Les parois de la bulle frémissent.
— Bon, ne gâchons pas tout jeune homme . -Chris incite le serveur à s’éloigner d’un geste négligent. Disparaissez et ne revenez que lorsque vous aurez un spritz a offrir à madame.
— J’ai dit que c’était bon Chris, n’insiste pas.
La bulle se tend. Irrémédiablement.
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Aurélie Benattar
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