Fyctia
C2P.1 Gin Sévice
Je suis arrivé au bar en fin d’après-midi.
La terrasse était bondée et les tables rondes, à peine plus larges qu'un guéridon, collées les unes aux autres, histoire de fourrer le max de clients sur un minimum d'espace. Heureusement, il restait deux tables libres côte à côte à l'ombre d'un peuplier. Je m'installe à l'une d'elles.
Nouveau "ploup". Nouveau texto de la part de Joli dos, après vingt minutes à l'attendre.
Elle est bloquée dans une manif, elle va être très en retard.
Je m’en étais douté.
J’ai utilisé la moitié de ce temps à choisir ce que je comptais boire. Au début j'ai hésité à prendre une bière mais, pour un premier rencard, je trouve que ça fait con.
Pourquoi ?
Parce que.
Du coup j’ai pris un coca.
J'aime même pas ça.
Au moins il fait bon. L’ambiance est agréable, les gens ont l'air heureux -les p'tits bâtards. Ils ont quitté leur taf et profitent de la douceur de cette fin de printemps l’esprit léger, lunettes de soleil sur le nez.
Un couple d’à peu près mon âge s’assied à la table d’à côté.
Lui, tire sa chaise en la raclant sur les pavés et me bouscule avec son coude. Il s’empresse de ne pas s’excuser. Heureusement pour lui, je suis ceinture noire de lâcheté, donc je ferme ma gueule et je serre les dents.
Elle, s’assied face à lui et croise ses jambes sous la table.
Je ne peux pas m’empêcher de les observer. Déformation professionnelle.
Depuis que je me suis lancé dans le stand-up il y a 6 mois, j’ai enfin une bonne excuse pour être un peu trop curieux et noter l’intégralité de ce qui me passe par la tête dans mon téléphone. Quand un truc m’inspire, hop ! je note.
Avant ma grande carrière d'humoriste (employer ton sarcastique sur "grande carrière"), dormait dans mon téléphone un florilège de pensées sans queue ni tête, ni but. Désormais, il arrive que j’en délivre certaines dans de petites salles aux ambiances tamisées, devant une foule d'inconnus qui ont payés pour ça.
J'ai ce réflexe de tout noter depuis toujours. Peut-être pour garder une trace. Par peur d'oublier qu'il ne m'arrive jamais rien.
Waw.
Le problème quand je m’écoute penser, c’est que je finis une fois sur deux sur le paillasson de la déprime.
L’autre souci, c’est que ça provoque une sorte de recul permanent sur tout ce qui m’arrive. J’analyse, j’essaie de comprendre, je cherche l’absurdité dans le raisonnement. Et je reste extérieur aux choses. Pas ouf pour profiter de l’instant présent.
Ça rendait folle mon ex.
C’est l’une des raisons pour laquelle elle m’a quittée. Entre autres.
J’écume les scènes ouvertes les soirs où j’ai la flamme - dernièrement, c’est plutôt la flemme qui m’habite je vais pas le cacher.
D’ailleurs j’ai raté deux appels de Sami. Mon pote m’a inscrit à une de ces scènes ce soir. Gentil de sa part. Les places sont chères depuis qu’un parisien sur deux rêve d’être humoriste.
Sami répète qu’il ne faut pas perdre la main, que remonter sur scène me changera les idées. Il a sans doute raison. Mais je ne me suis pas encore décidé à y aller.
Le témoignage d’un trentenaire blanc hétéro citadin de classe moyenne va-t’il réellement manquer à notre civilisation si j’esquive la soirée ?
Finalement, je ne suis plus très sûr de vouloir me changer les idées. Ni de vouloir devenir le nouveau Pierre Palmade.
Je guette malgré tout mes voisins l’air de rien, avec mon verre à la main que je fais tourner machinalement, genre le mec perdu dans ses pensées.
La fille est plutôt jolie avec ses grand yeux verts dorés.
Le garçon est un blond en costard bleu taillé au cordeau. Il doit être communiquant politique, un truc fun du genre. Sa main remue à la moindre occasion pour faire glisser sa manche, révélant une montre autour de son poignet qui doit coûter le prix de mon T2.
Elle, est plus décontract’.
Elle semble fascinée par le vernis fantaisie de ses ongles et ne parle pas beaucoup. Sans doute parce que l’autre prend toute la place avec sa voix fluette et ses grands gestes.
Est-ce vraiment un couple ? Ou plutôt des amis ? Des frères et soeurs ? Un patron et sa secrétaire ? Quel mystère fascinant.
Elle m’a cramée !
Mes joues tiédissent illico quand elle plante ses grands yeux verdorés dans les miens ! Ma colonne vertébrale est comme frappée par la foudre. Je réaligne ma vision sur mon verre de coca de plus en plus tiède, de moins en moins pétillant.
Vite ! Checker les notifs de mon téléphone pour se donner une contenance - un jour je me mettrais à fumer pour régler ce problème !
Aucune news de mon super rencard.
Elle s'est peut-être perdue au beau milieu d’un cortège de manifestant. A moins qu’elle se soit retrouvée embarquée sur un char de syndiqués à devoir chanter L’international dans un mégaphone. Ça pourrait être une bonne prémisse de sketch.
Je fais mine d’y réfléchir mais mon oreille est irrésistiblement attirée par les rumeurs émanants de la table voisine...
56 commentaires
Paige
-
Il y a 2 ans
cedemro
-
Il y a 2 ans
John Wait
-
Il y a 2 ans
Coeur fondant
-
Il y a 2 ans
John Wait
-
Il y a 2 ans
dessinercestcarole
-
Il y a 2 ans
Klaire.DBS
-
Il y a 2 ans
John Wait
-
Il y a 2 ans
Jill Cara
-
Il y a 2 ans
Emmy Jolly
-
Il y a 2 ans