Fyctia
1770 South Lakeshore Drive (2)
5 JUILLET 2004 – PINE LAKE RESORT
Ma mère roule tranquillement sur cette longue route cahoteuse que j’emprunte pour la première fois. Elle paraît tendue. Elle n’a jamais voulu m’emmener ici avant aujourd’hui. « Pas de ton âge » c’était en général son excuse. Même aujourd’hui j’ai du insister. Je ne sais pas pourquoi. Les secrets que recèle Pine Lake Resort ne sont apparemment « pas de mon âge » non plus.
L’air embaume mais ce n’est pas un parfum que j’ai l’habitude de sentir. Je ne l’identifie pas mais c’est quelque chose de végétal, minéral, naturel.
Puis le bâtiment principal du Resort apparaît. Une grande bâtisse en bois blanc. Et enfin j’aperçois le lac bordé de pin. Je comprends mieux cette odeur qui flotte dans l’air. L’eau semble limpide, cristalline. Le contraste avec la couleur sombre des résineux est saisissant. Ma mère gare la voiture devant l’entrée de la réception. J’aperçois des bungalows disséminés ça et là tout autour. Plusieurs chemins partent de la route principale reliant les chalets au lodge.
J’ai envie d’explorer les moindres recoins de cet hôtel. Et en même temps, j’ai une sensation étrange dans le ventre depuis notre arrivée. Tout est tellement silencieux. Comme si une chape de plomb était posée sur ce lieu.
Ma mère s’éloigne en direction du ponton et je décide de la suivre. Je la rejoins rapidement et passe mon bras sous le sien. Sa main vient serrer la mienne. Peut-être un peu plus fort qu’à l’habitude. Je crois qu’elle va me parler enfin mais elle reste silencieuse.
Il faut que je sache. Quel est ce lieu ? Pourquoi est-il dans cet état ? Je ne sais que les grandes lignes de l’histoire. Le Resort appartenait à la famille de ma mère et il a fermé suite à une tragédie. Il me manque tous les détails.
- Maman, raconte moi. Je suis assez grande maintenant tu sais.
- Je sais chérie.
- On est où là exactement ? Et qu’est ce qui s’est passé ici ? insisté-je.
- Tu es vraiment la digne fille de ton père…
Elle prend une longue inspiration qu’elle relâche lentement. Elle paraît vouloir se donner du courage.
- Comme tu le sais déjà, le Pine Lake Resort était dirigé par ma famille. En fait, il nous appartient toujours. En 1974, j’avais 14 ans. Mes parents étaient décédés tous les deux depuis 2 ans. C’est ton oncle Leslie et ta tante Prudence qui tenaient l’établissement. On habitait tous les trois dans l’aile familiale du bâtiment principal.
Son regard est dirigé vers la partie de la bâtisse qui forme un T avec le reste.
- Les affaires marchaient bien. On était heureux. Je crois… J’ai peu de souvenir de cette époque. Comme si j’avais occulté une grande partie de mon enfance…
Ses yeux sont dans le vague. Je ne parle pas de peur d’interrompre son récit.
- On était à la fin de l’été. Le Resort ne faisait jamais le plein le dernier week-end d’aout. Une fois les enfants de retour sur les bancs de l’école, c’était toujours un passage un peu à vide. Il n’y avait presque personne dans l’hôtel mais 10 chalets étaient occupés. Le 29 août… C'était un jeudi. Je sais ce qui s’est passé seulement parce qu’on me l’a raconté. J’avais classe le vendredi et j’étais déjà couchée. Un peu plus tard dans la soirée j’ai entendu ma tante hurler. Tout le monde était mort…
- Quoi ?!
- Tout le monde était mort Charlie. Tous les clients, massacrés à la hâche… Bordel j’ai encore du mal à croire que ça soit vraiment arrivé. Ça va faire 40 ans cette année…
- Mais… Mais qu’est ce qui s’est passé ?
- Ils ont arrêté l’homme à tout faire que ma sœur et mon frère employaient. Ils l’ont retrouvé couvert de sang dans un chalet inoccupé.
- Mais pourquoi est-ce qu’il aurait fait ça ?
- Je ne sais pas Charlie… Je crois qu’il n’avait pas toute sa tête c’est tout.
- Et le Resort ? Pourquoi est-il fermé ?
- Leslie a perdu sa femme et Prudence son fiancé dans le massacre. Ils ne s’en sont pas remis.
- C’est horrible ! m’exclamé-je en plaquant une main sur ma bouche.
- Oui… 45 morts. 5 enfants… Un seul a survécu, sa mère l’avait caché dans un placard en entendant les cris.
Ma mère s’arrête de parler. L’horreur de ce qu’elle m’a confiée la submerge. Ses yeux sont remplis de larmes.
Je fixe les murs qui ont été les témoins d’une telle boucherie. Je suis hébétée. Puis je me tourne de nouveau vers le lac. Tout a pris une teinte lugubre. L’eau ne semble plus cristalline. Elle a la couleur des pins qui la surplombe. Un sentiment de malaise ne me quitte pas. Et en même temps, une curiosité morbide pour cet endroit me dévore le ventre. Et une question tourne en boucle dans ma tête. Pourquoi ?
6 commentaires
Phoenix B. Asher
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Il y a 8 ans
CaroWritings
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Il y a 8 ans
Phoenix B. Asher
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Il y a 8 ans
Vincent Hauuy
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Il y a 8 ans
Phoenix B. Asher
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Il y a 8 ans
Kevin Maury
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Il y a 8 ans