Fyctia
William C. Alexander Jr (1)
Le bruit d’une portière qu’on claque me sort de mes pensées. Sans vraiment m’en rendre compte mes souvenirs m’ont menée sur le ponton. Comme avec ma mère il y a 12 ans. Je pense rarement à elle. Ça me fait trop mal.
Je me retourne rapidement et aperçois un pick up stationné devant l’hôtel. Enorme, noir avec des grosses roues, un truc de mec quoi. Je regarde ma montre. Merde. Il a un nom prétentieux et en plus il est en avance. Mon flash-back émotionnel m’a fait perdre du temps, je n’ai pas fait le tour de la propriété comme j’aurais voulu.
Je commence à me diriger vers l’hôtel pour l’accueillir. Il est penché dans l’habitacle côté passager. Quand il se redresse, je marque un temps d’arrêt. Oh la vache ! Il se déplie de toute sa hauteur. Ce gars dépasse le mètre 90. Il a une barbe courte soignée et les cheveux longs. En me regardant arriver, il les attache en un vague chignon sur le dessus de sa tête.
Je ne m’attendais pas à ça. En fait, je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais. Vu le nom, peut-être un gars qui se pointe en costard sur les chantiers. J’aurais vraiment du faire une rapide recherche sur lui. Ça m’aurait évité de passer pour une idiote à baver devant lui. Je perds vraiment la main.
Quand je suis assez proche, je lui tends ma main qu’il sert dans son immense paume chaude et calleuse. Il a l’air perplexe. Peut-être que je l’ai surprise moi aussi.
- Mlle Malone ?
- Charlie ! Et vous devez être M. Alexander ?
- Je vous en prie appelez moi Chris.
- Chris ? Pas William ?
- William Alexander, c’est mon père et croyez moi je n’ai vraiment rien avoir avec lui.
Quelle étrange remarque… Enfin peu importe, il peut bien s’appeler Peter ou Jack, tant qu’il est compétent ça me va.
- Ok Chris, je vais ouvrir le bâtiment principal pour que vous puissiez jeter un œil et je pourrai ainsi récupérer les clés des bungalows.
- Je vous suis.
Dans mon sac, je récupère une enveloppe que mon oncle m’a fait parvenir. Elle contient la clé de la porte principale. Chris est resté un pas derrière moi comme pour me laisser la primeur de l’ouvrir. J’introduis la clé dans la serrure et je sens tout de suite une résistance. Ça commence bien. En même temps, après 40 ans, c’était prévisible.
- Est-ce que ça vous embête si j’essais Charlie ?
- Non, au contraire.
Il force légèrement sur la clé tout en jouant un peu avec son épaule sur la porte en même temps. Ses muscles roulent sous son t-shirt moulant. C’est une belle image. Et ses efforts payent, la porte cède rapidement.
- Le bois a du beaucoup travailler en 40 ans, m’explique-t-il. Je crains qu’on rencontre le même problème avec toutes les ouvertures de l’hôtel et des bungalows.
- Je sais que ça va représenter beaucoup de travail. C’est un énorme chantier pour vous…
- Ne vous inquiétez pas ce n’est pas un problème. C’est intéressant, ça me changera des rambardes à réparer ou des papier peints à changer.
- Oui j’imagine, acquiescé-je un sourire aux lèvres.
Il s’approche du comptoir de la réception. Il l’observe de près, passe sa main dessus, le contourne. Puis s’accroupi pour jeter un œil au plancher de l’entrée. Il prend quelques notes dans un calepin. Et se tourne vers moi.
- La réception a l’air relativement en état. Bizarrement le bois n’a pas trop mal vieilli. Il faut juste lui redonner un coup de jeune. Je m’en occuperai personnellement.
- Vous êtes menuisier ?
- De formation oui. Pour les planchers, ce que je vois paraît solide. Il faudra juste poncer et vitrifier mais on peut avoir des surprises sous le comptoir et sous les tapis. Mon parqueteur se chargera de vérifier et de faire le travail dans le bâtiment principal. Les sols recouverts de moquettes, vous voulez les conserver ?
- Non surtout pas, trop d’entretien.
Il continue de noter au fur et à mesure. Son attitude concentrée et professionnelle me donne confiance en lui. J’ai des papillons dans l’estomac en pensant à ce que le Pine Lake Resort va devenir. Je suis exaltée et c’est une émotion dont je me rappelle à peine la saveur.
- Je ne préfère pas monter à l’étage pour le moment, poursuit-il me tirant de ma rêverie. Je reviendrai demain avec mon charpentier pour être sur que les escaliers sont suffisamment solide, ainsi que l’étage supérieur. Toutes les chambres sont au premier ?
- Non je crois que certaines sont en arrière de l’escalier. Des chambres familiales si j’ai bien compris le plan fournis avec le dossier de vente. À droite se trouve la salle de restaurant et les cuisines. À gauche, il y a un accès à l’aile familiale.
- Commençons par la salle à manger alors, poursuit-il en se dirigeant vers la double porte en bois.
Celle-ci n’est pas verrouillée et s’ouvre facilement. La salle est immense. Glauque au possible aussi. Les tables sont dressées pour un petit-déjeuner prévu depuis 40 ans et qui ne sera jamais servi. Ça ne paraît pas gêner Chris qui se dirige vers le mobilier. La plupart des meubles sont à changer, la vaisselle aussi évidemment. Seules les tables tiennent encore la route. Mr l’expert en rénovation promet de les arranger également.
Nous poursuivons avec les cuisines. Une catastrophe. Bien sur tout les appareils électro-ménagers sont à remplacer mais les meubles en Formica également. Merci les années 70.
Nous revenons dans le hall d’entrée pour terminer l’inspection de la partie hôtel par les suites familiales. D’après les plans, ce sont deux grandes chambres en rez-de-jardin avec un salon séparé d’une grande chambre à deux lits.
Nous entrons dans la suite 101. L’odeur de renfermé nous assaille ainsi qu’un autre parfum, indéfinissable. Je me dirige rapidement vers la porte fenêtre du salon pour tirer les lourds rideaux remplis de poussière. La fenêtre ne résiste pas longtemps. Elle débouche sur une terrasse en bois avec quelques meubles de jardin rongés par la rouille.
Tout est à changer. Je frémis devant l’ampleur de la tâche. Le mobilier n’a pas survécu aux années sans soin et de toutes façons tout est démodé. Le canapé-lit est plein de mites et ses ressorts sont défoncés. Nous passons silencieusement dans la partie chambre. Chris note dans son carnet sans faire de commentaire. Pas le genre à parler pour ne rien dire.
Les rideaux ne sont pas fermés dans la chambre et nous restons figés sur le seuil. Les yeux braqués sur l’épaisse moquette. À coté du lit de gauche, le plus près de la porte, une immense tache brune. Mon cerveau met un moment pour me faire comprendre ce que je vois. Comme un mécanisme de défense. Bordel ! Chris contourne le lit et à voir sa tête le même genre de tâche se trouve de l’autre côté du lit. Je ne sais pourquoi je le suis. Je n’aurais pas du. Mon lointain café menace de se faire la malle. La tâche recouvre une grande partie de la moquette entre les deux lits et se poursuit sur le couvre-lit blanc d’à coté. Étrangement la seule chose qui me vient en tête c’est de ne pas choisir de couvre lit blanc. Encore mon cerveau qui tente de me protéger.
6 commentaires
Phoenix B. Asher
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Il y a 8 ans
CaroWritings
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Il y a 8 ans
Phoenix B. Asher
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Il y a 8 ans
Skyleen
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Il y a 8 ans
Phoenix B. Asher
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Il y a 8 ans
Jocelyne Accompagnante Doula Montreal
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Il y a 8 ans