Fyctia

Le lendemain, je me lève de bonne humeur, pour une fois. Le soleil filtre à travers les rideaux, dessinant des rayons chauds sur le parquet. Ça va être une belle journée. Je le sens. J’allume la radio, et les premières notes de Suddenly I See de KT Tunstall résonnent dans la pièce. Boostée par le rythme, je me dirige vers le miroir, attrape mes cheveux châtains indisciplinés, et les attache en une queue haute. Pratique, pas glamour. Je retire doucement le pansement sur ma tempe. La petite blessure a viré au violet : un bel hématome. Je soupire, attrape mon fond de teint dans la valise.

Je descends au salon qui était assez calme le bois de l'escalier grinçant sous chacun de mes pas. Je me dirige vers la cuisine humant une bonne odeur de café bien corsé. Mon sourire se perds quand je vois Niklas. Adossé au plan de travail, un mug à la main, torse nu sous une robe de chambre rouge ouverte. Sa version très personnelle du pyjama de Noël.

Je m’arrête dans l’arche de la cuisine, bras croisés, sourcils froncés.

— Attends… c’est toi qui as fait le café ?

Il se tourne vers moi avec un air faussement innocent, prend une gorgée, et répond :

— Yep.

— …Et personne ne t’a expliqué que t’étais un invité, pas un coloc ?

— J’ai pris mes aises, avoue-t-il avec un petit haussement d’épaules, comme si c’était normal.

— T’as aussi pris mes biscuits.

Il jette un œil nonchalant vers le paquet sur l’îlot. Il est à moitié vide. Puis, avec le culot du siècle, il prend le dernier biscuit, le coince entre ses dents, et me regarde droit dans les yeux en le croquant.

Je me retiens de grogner comme un chien à qui on vole sa gamelle.

— Tu veux du lait pour accompagner ton biscuit, Père Noël ? je crache, irritée.

Et comme si c’était pas déjà assez énervant, il le mange d’une manière obscènement sexy. Genre, la façon dont ses dents cassent le biscuit, les quelques miettes sur sa lèvre inférieure qu’il ramasse d’un coup de langue… Sa pomme d’Adam qui descend lentement pendant qu’il avale, au ralenti.

Je suis en manque, c’est sûr. C’est pas normal de trouver un mec mangeant un biscuit aussi attirant.

— BONJOUR !! s’écrie Julia, surgissant dans mon dos et m’enlaçant à la manière d’un panda collant.

Je lui rends son câlin du bout des doigts — elle sait que mon amour pour le contact physique est aussi intense que ma passion pour les pères noëls.

— Oh, du café ? Moi je veux un chocolat !

— Je t’en fais un, je réponds en ignorant royalement Niklas, qui salue ma sœur et se met à discuter de la fête de Noël comme s’il faisait partie du comité d’organisation.

J’ouvre le frigo et attrape une bouteille de lait. Vide. Évidemment. Qui est la personne malsaine qui remet une bouteille vide au frigo ?

Je la jette à la poubelle, théâtralement. Direction le cellier : plus de lait non plus. Génial.

Au même moment, maman entre, en tenue de sport, les joues rouges, quelques mèches échappées de sa tresse. Elle boit dans sa gourde comme si elle venait de courir un marathon.

— M’man, on a plus de lait ?

— Ah non, il va falloir faire les courses, répond-elle en soufflant.

Et là, un silence collectif s’abat sur la cuisine.

Je me retourne lentement vers Niklas, qui lève les mains, innocent :

— Ne me regarde pas comme ça, j’ai pas siphonné le lait aussi. Je suis coupable des biscuits, d’accord, mais pas de tout.

— T’as bu le lait dans la nuit. Je t’ai entendu faire "mmmhh" à une heure du matin.

— …Peut-être que tu faisais un rêve érotique avec moi dedans ? propose-t-il en haussant les sourcils, l’air de rien.

Je le fusille du regard. Julia glousse. Maman regarde sa montre.

— On est dimanche, le magasin ferme dans une heure.

Je regarde successivement les trois. Je soupire quand je comprends que c'est à moi de m'y coller.

— Vous savez que je vous déteste tous ?

— Je viens avec toi, annonce Niklas d’un ton héroïque.

— T’es littéralement en tenue de Père Noël paresseux.

— Justement. On va faire sensation. Deux héros, une mission : sauver Noël, un litre de lait à la fois.

Je lève les yeux au ciel mais attrape mes clés. À ce stade, j’ai besoin d’air. Et de m’éloigner de ses abdos.

Quelques minutes plus tard, on se retrouve tous les deux dans la vieille voiture de Maman. Ou plutôt la voiture "très décorée" de maman. Elle sent la cannelle et a des guirlandes collées au tableau de bord. Et une peluche renne accrochée au rétroviseur. Et une playlist de Noël en boucle. Évidemment.

« All I Want for Christmas Is You » démarre alors qu’on sort de l’allée.

Niklas me jette un regard, malicieux.

— Tu crois qu’elle parle de moi ?

Je retire rapidement le CD de la radio pour arrêter ce clicher musicale datant des années quatre-vingts dix.

— Tu crois que tout tourne autour de toi ?

Sur la route du village limité à cinquante kilomètres heures, on se fait remarquer. Enfin Niklas. Un homme le voit passer, fronce les sourcils. Une vieille dame fait un signe de croix. Un ado le filme avec son téléphone.

Je m’enfonce dans mon siège.

— On va finir sur TikTok. Et ma mère le partagera sur Facebook !

— Parfait, j’ai toujours rêvé d’être viral pour avoir acheté du lait torse nu.

— Tu pouvais pas t’habiller ?? Sérieusement !

Je prends une route moins fréquentée, histoire d’éviter de croiser tout le village avec un mec torse nu sur le siège passager.

— J’avais pas vraiment prévu de me faire percuter et de perdre mes clés, alors non, j’avais pas de quoi m’habiller.

— Et remettre tes vêtements de la veille, ça t’a pas traversé l’esprit ?

— Pour que tu râles sur l’odeur dans la voiture et que tu sois privée de mes abdos — qui, soit dit en passant, ont l’air d’avoir un certain effet sur toi ? Non, voyons. C’était bien plus simple comme ça.

Je pile presque au coin d’une ruelle et me gare sur le bas-côté, les mains crispées sur le volant.

— Ça suffit maintenant. Tu sors.

Niklas ouvre lentement la portière, l’air de vouloir ajouter une dernière punchline. Mais avant qu’il n’ait le temps de dire quoi que ce soit, une mamie surgit de nulle part, tirant un caddie à roulettes en forme de renne. Elle s’arrête net à la vue de Niklas, torse nu, veste rouge flottant légèrement au vent comme dans une pub pour parfum.

Elle le dévisage de haut en bas. Un silence. Puis :

— Eh ben dites donc… Le Père Noël, cette année, il s’est mis à la muscu !

Niklas sourit, un peu trop fier de lui.

— Faut bien rester compétitif. Les lutins font du crossfit maintenant.

Mamie glousse, puis se tourne vers moi à travers la vitre baissée.

— Et toi, ma petite, tu fais la tête alors que t’as un cadeau pareil sur le siège passager ? Faut pas gâcher la magie de Noël, hein !

Je reste figée, bouche entrouverte, pendant qu’elle s’éloigne tranquillement avec le bruit des clochettes qui étaient accrochées à son caddie.

Niklas me regarde tout sourire.

— Arrête ca. Va chercher tes clés, Julia t'a percuté dans le prochain virage. Bon courage.