Fyctia
Chapitre 1 - Cher Père Noël
Avec ma petite valise, je pose enfin le pied sur le quai de la gare. Le vent frais fait voler mes longs cheveux dans mon visage et je grimace.
— Ne fais pas cette tête-là, Elena, on dirait que tu viens de poser un pied en enfer.
Je lâche la poignée de ma valise pour retirer les mèches collées à mes lèvres et je lève les yeux vers ma petite sœur. Enfin, petite sœur… Plus grande que moi, en réalité. Bras croisés sous sa poitrine, son éternel sourire moqueur plaqué sur le visage, elle s’approche.
— Il fait froid dans ton pays.
— On est du même pays, et je te rappelle qu'on est en hiver.
Elle attrape ma valise et nous nous frayons un chemin parmi la foule du Nord de la France. Que des silhouettes aux couleurs fades, aux traits tirés par la fatigue et la déprime saisonnière. Heureusement qu’il y a Noël. C’est bien la seule chose qui vaut le coup en hiver… ça, le ski, et peut-être la neige, à condition qu’elle ne vienne pas s’infiltrer dans mon col et fondre dans mon dos.
On sort de la gare après avoir lutté contre les gens qui avancent à contresens, incapables de respecter leur côté du trottoir. Franchement, chacun à droite, c'est pas compliqué. Dès que je mets un pied dehors, le vent glacé me fouette le visage et je frissonne. Je rabats la capuche de mon sweat par-dessus ma casquette.
— La dégaine… se moque Julia.
Je lève les yeux au ciel et balaye le parking du regard pour repérer sa voiture. Évidemment, elle est garée super loin. Et mal garée en plus, prenant deux places, avec les roues en travers.
Je tire sur la poignée du coffre pour balancer ma valise à l'intérieur avant de me glisser à l’avant.
— Ton trajet s’est bien passé ?
— Ouais, à part un gosse qui n’a pas arrêté de taper dans mon siège et une vieille femme qui téléphonait hyper fort juste à côté de moi. Tiens, tu savais que la crème solaire était moins chère et plus efficace que l’anti-rides ? soupirai-je en repensant à leur conversation.
Julia me jette un regard amusé en démarrant et en vérifiant ses rétros.
— Tout le monde sait ça.
Bah pas moi. Je soupire et allume la radio. Bingo, 1987 de Calogero résonne dans l’habitacle, et je commence à bouger doucement la tête en rythme. Mon humeur s’améliore légèrement… jusqu’à ce qu'on quitte le parking et que je doive me retenir à la poignée à cause de la conduite désastreuse de Julia. Sérieusement, elle a eu son permis dans une pochette surprise ou quoi ? À moins qu’elle ait séduit son moniteur… Ça ne m’étonnerait même pas.
Elle me raconte comment avancent les préparatifs pour la fête de Noël. Elle est responsable des événements de la commune, en tant que présidente du comité. On doit d’ailleurs faire un détour par la salle pour vérifier que les maquettes en pain d’épices ont bien été livrées et correspondent aux photos.
J’aurais préféré rentrer à la maison familiale et m’enfouir sous un plaid bien chaud, mais je ne râle pas, espérant secrètement pouvoir grignoter un échantillon de pain d’épices. Ironique, quand on sait qu’enfant, je détestais ça. Les goûts changent…
Je regarde le paysage défiler par la fenêtre. Pas de décorations extravagantes comme dans le Sud. Juste du gris, du vide.
— Tu vas voir, cette année, j’ai engagé le meilleur Père Noël du pays !
— J’aurais préféré qu’on mette de l’argent dans un Noël en Laponie plutôt que dans un escroc déguisé, soupirais-je.
— Toi et les Pères Noël, quelle histoire d'amour … il va falloir tourner la page un jour.
— Les Pères Noël sont des pédophiles payés pour avoir des gosses sur leurs genoux. Et je ne me remettrai jamais du fait que le dernier sur lequel je suis montée m’ait tripotée.
— Tu étais trop âgée pour les genoux du Père Noël, de toute façon.
— J’avais 17 ans ! On peut pas garder un peu de magie, même à 17 ans ?
Julia tourne au dernier moment, et je prie pour qu’on ne finisse pas dans le fossé. Elle rit, sans lâcher son air de "c'est bon, détends-toi".
— Ça fait six ans, passe à autre chose. T’es juste tombée sur un mauvais. Ils sont pas tous comme ça.
La fameuse phrase.
Puis soudain, dans mon champ de vision, une masse rouge surgit. Beaucoup trop vite.
— JULIA !
— Merde !
Elle pile net, mais pas assez tôt. L’impact est inévitable. Ma tempe cogne violemment contre la vitre.
— Ah putain…
— Merde… je crois que j’ai écrasé un Père Noël !!!
Quoi ?! Je me redresse, hagarde, et aperçois un homme vêtu d’un manteau rouge, une fausse barbe blanche et un bonnet éparpillé à ses pieds. Et, bizarrement, un rire s’échappe de ma gorge. Ce Noël commence bien.
Julia sort précipitamment de la voiture pour voir s'il va bien. Il se relève, et moi, je sors en frottant ma tempe douloureuse.
— Hé, Père Noël… en général, on traverse en traîneau, dans les airs. Ça évite ce genre d’accident, grimaçais-je.
— Veuillez m’excuser, je suis vraiment désolé. Je ne vous avais pas vus ! Vous allez bien ? demanda Julia affolée.
Je roule des yeux et m’appuie contre le capot. L’homme se redresse. Il est grand. Plus grand que moi et Julia. Il tient son bonnet dans sa main, révélant des cheveux teint blanc et ébouriffée. Vu de dos, il n’a pas l’air si vieux que ça…
— Ça va… ça ne m’a pas heurté trop fort, et je suis solide, rit-il.
Son rire est grave, profond. Sexy ? Ok, j’ai peut-être cogné ma tête un peu trop fort. Il se tourne vers moi.
Et là…
Je reste figée. Ses prunelles claires me transpercent, ses traits sont fins, jeunes. Une mâchoire carrée, une fausse barbe mal mise, un sourire à tomber, une peau légèrement hâlée. Un Père Noël… canon ?
— Oh mais attendez ! s’exclame Julia. Vous êtes le Père Noël que j’ai engagé pour la fête de Noël ! Enchantée, moi c’est Julia.
Il lui sourit avant de s’approcher de moi. Je grimace. Pourquoi les Pères Noël veulent toujours me toucher, sérieusement ? Il tend la main vers mon visage et je recule.
— Vous êtes blessée, vous saignez.
— Oh merde, Elena, ça va ?
Julia se précipite vers moi. Moi, je me décale pour mettre un maximum de distance entre moi et ce Père Noël suspect.
— Non, ça ne va pas ! Tu conduis comme une tarée, et ce type qui se prend pour le Père Noël n’a aucun droit d’envahir mon espace personnel !
L’homme lève les mains en l’air, faussement innocent.
— Je ne veux aucun mal. Après tout, je suis le Père Noël… Ho, ho, ho.
— Ton "Ho, ho, ho", tu peux te le mettre où je pense. Clochard.
Un sourire en coin moqueur, se dessine sur ces lèvres.
— Langage, jeune fille. Sinon, je te mets sur la liste des enfants pas sages.
Je m’avance pour lui répondre, mais Julia me chope par le bras pour me calmer.
— Bon, tu n'as pas l'air d'avoir de traumatisme cranien, c’est rassurant. Maintenant, rentrons soigner ça.
Elle se tourne vers le "Père Noël".
— Encore désolée. On se voit demain pour l’organisation.
En remontant dans la voiture, je grogne :
— Tu l’as chopé sur un site de rencontre pour geeks en cosplay ?
— Il n’a rien d’un geek. Et non, je l’ai trouvé sur Instagram. Niklas Le Père Noël.
5 commentaires
Justine_De_Beaussier
-
Il y a 15 jours
Emmy Jolly
-
Il y a 16 jours