Fyctia
15 - Nous
—Coucou mes chéries, dit ma mère, accompagnée de ma cousine qui referme soigneusement la porte d’entrée derrière elles.
Maman et Clem sont toutes les deux vêtues de noir, comme le veut la tradition. C’est sinistre. Ma poitrine se comprime, je n’arrive pas à le croire, à réaliser. Hébétée, je me frotte un œil. J’ai l’impression de revoir la scène, que l’enterrement de mon père était hier, sauf qu’aujourd’hui, on enterre mon mari, le père de ma fille. Chacune leur tour, elles viennent m’embrasser sur la joue, puis je vois Clem qui contourne le canapé pour s’empresser de serrer fort sa filleul dans ses bras. Ma mère, figée, se met alors à nous fixer toutes les trois avec de grands yeux larmoyants, ses lèvres et son menton qui ne trompent pas. Le bas de son visage commence à vibrer.
Ah non !
Je la devance et la gronde aussitôt.
—Maman, s’il te plaît !
Mon ton se veut sec. Car je la connais par cœur ma mère, comme si je l’avais faite. Sauf que c’est l’inverse, c’est elle qui m’a faite, donc logiquement c’est elle qui devrait savoir se contrôler, gérer ses émotions pour qu’elles ne débordent pas, ne nous éclaboussent pas Jim et moi, comme il y a quinze ans à la mort de papa…
***
—Ma chérie, je sais que c’est très dur pour nous en ce moment, mais il va falloir que tu te ressaisisses, d’accord ? dit-elle en sortant à son tour de la voiture stationnée devant la maison.
Je soupire de lassitude. Son nous, je le déteste, mais je n’ai pas la force de lui expliquer qu’elle et moi sommes différentes, qu’on ne sera jamais pareilles, ni même égales. C’est elle, la mère, après tout. Pas moi, pas encore. Si je tangue, je suis censée m’appuyer sur ma mère, non ? Mais comment peut-on compter sur une femme qui a elle-même toujours compté sur les autres, à commencer par la sienne de mère, décédée quand j’avais quinze ans, et ensuite, mon père, décédé il y a quinze jours. Depuis, j’ai l’impression qu’elle compte sur moi pour la motiver et lui faciliter la vie, ce que j’essaie de faire du mieux que je peux. Parce que je l’aime, ma mère. Mais quand même, à ce moment précis, pendant qu’elle enfonce la clé dans la serrure, j’aurais aimé avoir le courage de rétorquer ce genre de philosophie à deux balles :
Je ne suis pas nous, maman, je suis moi. Et je suis très triste, moi aussi.
Mais à quoi bon ? Elle est sous anxio, en long arrêt maladie, veuve et orpheline. Comment rivaliser avec mes pauvres cachets d’homéopathie et ma petite exclusion de cinq jours ? Elle serait capable de me répondre :
Toi, tu as la vie devant toi, Pam, mais moi, qu’est-ce que je vais devenir sans ton père ? Je n’ai plus aucun avenir. Toi, tu ne dois rien lâcher, tu comprends ?
Puis, elle se servirait de ses larmes abondantes pour me faire du chantage, pour que j’oublie notre dispute, que je la console à la place, parce que c’est normal de consoler sa mère qui pleure, parce que je ne me vois pas agir autrement. Alors, après avoir tourné sept fois la langue dans ma bouche en déchaussant mes vans couvertes du sang d’Antoine, j’ai simplement dit :
—Oui, je te promets, maman.
Elle me sourit affectueusement, l’air rassuré, quand je sens soudain mon portable vibrer dans la poche de mon jean. Je finis de retirer ma deuxième vans en pensant que je vais devoir les laver à la main, ce qui me dégoûte d’avance, puis je regarde qui a bien pu m’écrire. Clem peut-être ? Si elle n’est pas trop occupée avec sa rentrée à la fac.
Salut Pam, c’est Luc. C’est Julie qui m’a donné ton numéro, j’espère que ça te dérange pas, sinon promis, je l’efface direct. :)
Je fixe l’écran en clignant plusieurs fois, un peu comme si je voulais être sûre et certaine qu’il ne s’agisse pas d’un mirage. Sait-on jamais avec l’homéopathie, la valériane et la camomille, c’est peut-être plus fort et hallucinogène que je ne le pensais. Mais lorsque je rouvre une nouvelle fois mes paupières, le message de Luc n’a pas disparu.
Pour mon plus grand bonheur, il est toujours là.
6 commentaires
Clara Mazurier
-
Il y a 2 mois
DIANA BOHRHAUER
-
Il y a 2 mois