Fyctia
Chapitre 11.2 Dalton
À chaque sursaut sur le bitume inégal, ses bras se resserrent contre mes flancs, traduisant sans peine la peur qui la tétanise. Conscient de la confiance qu’elle a accepté de me porter en passant la jambe par-dessus cette selle, je pose une main sur les siennes chaque fois que la route me le permet pour tenter de la rassurer. À mesure que les kilomètres défilent sous mes roues, je réalise la force qu’il lui a fallu pour me suivre en dépit de ce que lui dicte sa communauté. En dehors des pourris qui me demandent d’éliminer d’autres pourris, il y a bien longtemps que personne n’avait ainsi placé sa confiance entre mes mains.
Je coupe le moteur devant la petite maison de Chesnut Street et propose mon bras pour aider ma passagère à descendre. Dès que ses pieds touchent le sol, elle tente de décrocher l’attache de son casque pour s’en débarrasser au plus vite, sans succès.
– Doucement, grogné-je en descendant à mon tour, c’est un coup à prendre.
D’un geste sûr et rapide, je la libère avant de réceptionner le casque qu’elle me colle contre la poitrine.
– Comment connaissez-vous l’adresse de Moïra ? demande-t-elle sur un ton particulièrement suspicieux.
Je ne peux lui répondre. Pas ici, pas comme ça, pas maintenant. D’un geste en direction de la maison, je l’invite à entrer rapidement pour, encore et toujours, éviter de nous faire repérer ensemble. Avant même que nous ne passions le portillon, la porte d’entrée s’ouvre et Moïra apparaît sur le perron, la mine déconfite. D’une main tendue en direction de son garage, elle actionne sa télécommande et en ouvre ainsi la porte automatique. Je rallume ma moto et l’engouffre d’un coup d’accélérateur dans la pièce qui s’assombrit aussitôt puisque la porte se rabat derrière-moi. Si les vrombissements résonnent avec puissance à l’intérieur de ces murs fins, les éclats de voix me parviennent depuis l’extérieur dès que je coupe le moteur. Il faut qu’on arrive à la faire entrer avant qu’elle n’ameute tout le quartier.
Connaissant cette maison comme la mienne, j’emprunte l’accès direct à la cuisine et rejoins l’entrée par l’intérieur.
– Je n’entrerai pas tant que je ne saurai pas ce que vous me cachez tous les deux, affirme Jodie les bras croisés et les pieds bien ancrés dans le sol.
– Jodie, je t’en prie… tente Moïra en posant une main sur le bras de sa cousine, aussitôt déboutée par un mouvement de recul.
– Je n’ai aucune confiance en toi, prononce-t-elle d’une voix qui transpire la déception, tu me mens depuis le début.
– Non, Jodie…
– Je ne veux plus t’entendre tant que le mensonge empoisonne tes lèvres, persifle la jeune Amish entre ses dents serrées.
Au-delà de la colère qui émane de son corps tout entier, je perçois une profonde souffrance. Elle cherche à comprendre ce qui nous relie l’un à l’autre, et comme nous avons toujours été particulièrement prudents, rien ne peut l’y aider. Conscient que Moïra ne parviendra pas à lui faire entendre raison pour le moment, je tente ma chance en contournant Jodie pour l’empêcher de faire demi-tour.
– Entrez, nous allons discuter de tout ça.
– Je ne bougerai pas d’ici.
Pris de court, je ne vois qu’une solution mais j’aimerais vraiment l’éviter.
– S’il vous plaît, Jodie…
– Est-ce que Samuel est venu solliciter ton aide, lui aussi ? demande-t-elle à sa cousine en ignorant ma posture comme mes sollicitations. A-t-il croisé la route de monsieur Pyke ? S’est-il retrouvé ici, comme moi, face à ta trahison ?
Bien, tant pis. Je n’ai plus le choix.
Toute à ses accusations, Jodie ne me voit pas fondre sur elle. D’une prise bien rodée, je la bâillonne d’une main tout en la ceinturant de mon autre bras pour la soulever contre mon torse, puis opère les quelques pas qui nous manquaient pour passer le seuil. Moïra referme derrière nous et se plaque contre la porte. Les cris étouffés entre mes doigts, Jodie se débat comme elle le peut. Ses pieds enragés martèlent mes tibias tandis que ses mains tentent désespérément de retirer la mienne de ses lèvres. Une fois en sécurité à l’intérieur, je la place face à sa cousine et la relâche.
– Que le Seigneur me donne la force de vous souhaiter son pardon ! vocifère-t-elle à notre égard en s’écartant de nous autant que possible.
L’incompréhension se lit dans ses yeux, la peur dans ses gestes malhabiles. Elle cherche quelque chose qui puisse la protéger, et la voir aussi paniquée me désole. Sa force et son courage ne méritaient pas cette situation.
4 commentaires
patricia Bellucci
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Il y a 10 mois
JULIA S. GRANT
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Il y a 10 mois
Léana Soal
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Il y a 10 mois
cindy37190
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Il y a 9 mois