Fyctia

IMPORTANT : Attention, ce chapitre peut s'avérer violent et/ou contenir des scènes pouvant choquer la sensibilité de certains lecteurs (rien de poussé hein, mais je suis obligée de vous en faire part pour le bien de tous.)

Le chant des râles incessants.

L’odeur ferreuse du sang jonchant le sol, les murs, mes mains.

Le gargouillis significatif d’une trachée qui se noie dans ses propres flux.

Les hurlements de terreur, le silence assourdissant de la mort.

Possédé par ces spasmes incontrôlables qui l’investissent chaque nuit, mon corps se redresse brusquement sur ce matelas qu’il faudrait que je me décide un jour à changer. Trempé de sueur, je passe les deux mains sur mon visage pour tenter de me remettre les idées en ordre, mais je sais que seule une douche viendra à bout de ces fantômes qui me hantent. J’aurai la paix le temps d’une journée, au cours de laquelle quelques visages effrayés s’ajouteront probablement à ceux qui reviendront me tourmenter la nuit prochaine.

Ce quotidien est le mien, il le restera à jamais. J’aurais pu naître mieux, ailleurs, grandir entouré de sourires et de réconfort au sein d’une jolie maison New-Yorkaise, suivre de grandes études pour devenir un homme bon.

Mais je suis né ici.

Au beau milieu des quartiers nord de Philadelphie, dont la noirceur a fauché mes deux parents un soir de décembre. Je n’avais que cinq ans, pourtant quelques éléments de cette nuit froide et pluvieuse restent gravés dans ma mémoire. Des chants de Noël grésillant sur l’autoradio au cri d’effroi de ma mère lorsque ces phares puissants ont envahi l’habitacle, de ce fracas de taules aux bruits sourds des balles tirées sur le corps grelotant de mon père qui recouvrait le mien.

Je n’ai pas pleuré.

Je n’ai pas gémi.

Je n’ai pas bougé.

Les yeux rivés sur le crâne déformé de ma mère gisant contre le bitume, accroché à ce regard vide qui ne quittera jamais ma mémoire, j’attendais. Que l’un de ces hommes s’aperçoive de ma présence, que le corps inerte de mon père soit brusquement arraché de mon dos, qu’une dernière balle retentisse et que l’obscurité m’aspire à mon tour. Ainsi, je les rejoindrais. Nous n’aurions été séparés que quelques minutes et je retrouverais leurs voix, leurs sourires, leur chaleur. Je ne sais dans quelle dimension, mais je voulais uniquement les suivre.

Au lieu de cela, seul le bruit de la pluie de plus en plus intense crépitait autour de moi. Le froid s’emparait peu à peu de mon corps recroquevillé sous celui de mon père, la peur aussi. J’ai dû rester là des heures, avant qu’un bruit de moteur ne rompe ce silence oppressant. Des portières qui claquent, des voix qui approchent. Venait-on sauver mes parents, ou bien me tuer à mon tour ?

– Putain mais c’est quoi ce bordel ? gronda une voix masculine.

– Ils ont buté Loki et Hank ! aboya un second homme.

– Ouais, mais eux, c’est qui ? questionna un troisième.

Un crissement de pas lents sur les débris de verre, puis une main ornée de bagues saisissant délicatement l’épaule de ma mère pour la retourner.

– Sûrement de pauvres gens qui se sont retrouvés au milieu de ce bordel, répond le premier de cette voix calme et graveleuse que je n’oublierai jamais.

Quelques secondes plus tard, un froid glaçant me saisit le dos tandis que le corps de mon père est tiré en arrière. Comme si l’on m’arrachait la peau, mon innocence m’a été retirée à cet instant précis. La protection de mes parents pulvérisée, mon enfance entière réduite à cette odeur de mort et de sang, je n’existais plus.

– Bordel, y a un gosse… grogne la grosse voix.

– Merde. Mourir si jeune, c’est vraiment pas beau.

– Il est vivant…

C’est à ce moment précis que mon existence a basculé. Dès que son regard bleu acier a accroché le mien, que sa main s’est posée sur mes cheveux trempés et que sa chaleur a remplacé celle de mon père qui s’était éteinte peu à peu, Preston Curtis est entré dans ma vie.