Fyctia
Chapitre 4.2 - Jodie
Assise dans la voiture de Moïra, je suis incapable de détourner mes yeux de l’exemplaire du portrait de Sam que l’agent m’a laissé. Il aura fallu plus d’une heure pour parvenir à extraire tous les détails de ma mémoire, mais le résultat est incroyablement ressemblant et me bouleverse totalement. Je caresse lentement les traits de son visage, de son nez aquilin à ses joues légèrement rebondies, émue par cette impression constante que son regard appelle le mien.
Je suis très proche de mes frères et sœurs, mais Samuel a toujours éveillé en moi un sentiment particulier, encore plus depuis la disparition de Jonah. Peut-être parce qu’il se situe juste après moi dans notre fratrie, je ressens une sorte de responsabilité envers lui qui ne fait aujourd’hui que renforcer le sentiment d’échec qui m’étreint la gorge. Jamais je n’aurais dû le laisser partir. S’il avait souhaité effectuer le Rumpsringa pour lui-même, afin de confirmer ou non son envie de rejoindre définitivement notre communauté, j’aurais bien évidemment respecté son choix. Mais puisque je savais que ce voyage n’était voué qu’à découvrir une vérité qui nous échappe totalement, il était de mon devoir de l’en dissuader et j’ai failli à mon devoir.
– Jodie, murmure Moïra en refermant la porte d’entrée derrière-moi, tu te fais du mal en restant bloquée sur ce dessin.
Je comprends à cet instant combien la vie dans ce monde moderne l’a détournée de nos pratiques. Tenir le visage de mon frère entre mes mains me ramène au fait que lorsqu’ils disparaissent, nos proches ne subsistent que dans les quelques images liées à des souvenirs qui s’effacent avec le temps. Désormais, Sam se trouve gravé sur cette feuille volante que je chérirai jusqu’à ce que mon cœur s’éteigne, et je réalise combien j’aurais aimé pouvoir en faire de même avec le visage de Jonah. Un nouveau pincement dans la poitrine me rappelle que le choix de mon aîné m’a ôté tout droit de penser à lui. Mais je suis aujourd’hui chez Moïra, qui a elle aussi choisi de quitter la communauté. Et cela me conforte dans l’idée que, quitte à devoir demander pardon pour avoir fréquenté ma cousine bannie, je peux bien évoquer ce sujet interdit quelques instants.
– Tu m’as dit avoir bien connu Jonah, osé-je timidement, est-il venu chez toi pendant son séjour à Philadelphie ?
Le regard de ma cousine pèse sur moi quelques secondes durant lesquelles j’ai le sentiment d’avoir fait un pas de trop.
– On s’est croisés quelques fois, oui, admet-elle comme s’il lui fallait rester prudente.
– S’est-il fait photographier ?
Cette question chargée d’un espoir auquel je n’ai pas droit l’étonne autant que moi. Mais à cet instant, seule compte l’éventualité de pouvoir retrouver les traits de Jonah pour en réactiver mes souvenirs.
– Non, Jodie. Ton frère était discret. Je n’ai aucune photo de lui, d’ailleurs nous ne nous fréquentions pas. Il est passé me voir au début de son Rumspringa, puis quelques jours avant de prendre sa décision pour me confier son hésitation, ensuite je ne l’ai jamais revu.
La déception m’étreint douloureusement la poitrine. Tel un nuage de poussière s’éloignant au gré du vent, Jonah disparaît à nouveau dans les méandres d’un oubli forcé tandis que ma pensée revient à Samuel.
– Que ferons-nous, si la police ne retrouve pas Sam ? m’inquiété-je en serrant son dessin contre mon cœur.
Ses sourcils froncés dévoilent une méfiance particulièrement nette.
– Oooooh non, jeune fille. On ne fait rien du tout. Les seuls qui ont le droit et les moyens de mener des investigations, ce sont les autorités. Nous, on reste sages et on attend.
– Combien de temps ?
– Je n’en sais rien, Jodie. Je comprends qu’il te soit difficile de ne pas savoir ce qui est arrivé à ton frère, mais pense à tes parents. C’est le deuxième fils qui s’évapore dans les rues de Philadelphie, imagine qu’il t’arrive quelque chose à toi aussi ? Tu ne peux pas prendre de risques comme tu l’as fait, c’est complètement inconscient.
Je ne peux lui donner tort et réalise qu’effectivement, j’ai tout autant le devoir de retrouver Sam que de rentrer à Layton saine et sauve. Mais ce sera avec lui.
Le lendemain matin.
Le jour semble levé depuis longtemps lorsque mes paupières daignent enfin m’obéir pour se soulever. Plus d’une fois au petit matin, des bruits inconnus ont perturbé mon sommeil mais à aucun moment, je ne suis parvenue à m’en extraire. Mes yeux étaient bien trop lourds, mon esprit bien trop embué, à tel point que ce corps complètement léthargique refusait de me répondre.
Redressée contre les oreillers, je consulte ma montre tout en la fixant à mon poignet.
Seigneur, huit heures passées !
Je serais déjà levée depuis bien longtemps si ces volets modernes n’occultaient pas complètement la lumière du jour, quel temps perdu ! Comment ai-je pu dormir aussi lourdement alors que Samuel se trouve je ne sais où, peut-être blessé ou apeuré ?
Furieuse contre moi-même, je jette l’édredon au bout du lit et me lève d’un bond. Une brève toilette et des vêtements propres sur le dos, je rejoins la cuisine, où je constate que Moïra est déjà partie au travail. Un mot de sa main sur le réfrigérateur m’enjoint de ne plus sortir seule et de rester sagement ici. Elle me propose même d’apprendre à utiliser son téléviseur, grâce auquel selon elle, le temps passera plus vite jusqu’à son retour. Un coup d’œil en direction de cet immense écran noir me tire une grimace. Hors de question de multiplier les manquements à mes convictions, je préfère passer la journée à demander pardon au Seigneur pour chacun de ceux déjà commis.
Les repères me sont difficiles à trouver dans cette maison qui n’est pas la mienne, mais arpentant les lieux depuis quelques jours maintenant, je trouve de quoi me préparer un bol de lait chaud. Celui d’ici est bien fade et lorsque j’y trempe les lèvres, mon chez moi me manque terriblement.
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Note de l'auteur :
Alors, j'espère que jusqu'ici cette histoire te plaît et que tu arrives peu à peu à entrer dans la peau de notre Jodie ? Accroche-toi, le prochain chapitre sera (enfin !) du point de vue de Dalton... Je te souhaite une belle rencontre avec lui !
A bientôt je l'espère, Léana.
15 commentaires
Debbie Chapiro
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Il y a 10 mois
Zéphira
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