Fyctia
Chapitre 4.1 -Jodie
Nous patientons depuis une éternité, sagement assises sur les sièges bordant les murs du hall d’accueil, comme un certain nombre de personnes qui semblent également attendre leur tour. Cherchant à occuper mon esprit pour ne pas succomber à l’angoisse que je sens monter peu à peu, je laisse traîner mon regard au plafond et tente de compter les endroits ou la peinture défraîchie s’écaille. J'ai de quoi faire.
Moïra elle, est absorbée par son téléphone portable, comme la plupart des Etrangers dans cette salle d’ailleurs. Pas étonnant que les peintures soient aussi mal en point, si personne ici ne lève le nez de cet objet maudit qui semble avoir contaminé la Terre entière.
Pour la vingt-huitième fois depuis notre arrivée, car je les ai toutes comptées pour tuer le temps, un sifflement strident retentit et tout le monde est immédiatement happé par un écran en hauteur que personne ne regardait jusque-là. Il affiche le numéro trois cent quarante-trois. Moïra referme d’un coup sec le clapet de son téléphone et prend son sac à main.
– C’est à nous, me souffle-t-elle en se levant.
Je l’imite et la suis jusqu’à un guichet devant lequel deux sièges un peu plus confortables que les précédents nous attendent. Derrière le bureau, un agent en uniforme nous regarde prendre place. Il fixe surtout mes vêtements, n’ayant à priori pas vu beaucoup d’Amish durant son existence. Ou bien c’est de voir l’une d’entre eux à l’intérieur d’un bureau de police qui l’interpelle, car il est vrai que nous ne fréquentons pas vraiment ce genre de lieux.
Moïra ne lui laisse pas le temps de me détailler, et lui expose l’objet de notre présence. L’agent l’écoute attentivement tout en tapant des doigts sur une étrange planche, dans laquelle sont incrustés des sortes de boutons, correspondant, si ma vue ne me fait pas défaut, aux lettres de l’alphabet. Il relève le nez régulièrement pour fixer un écran devant lui, ce qui me laisse penser que les deux sont reliés et qu’il vérifie ce qu’il note ainsi. Je retiens le sourire qui se presse au bord de mes lèvres lorsque je constate à quel point les Etrangers aiment les choses compliquées. Une feuille et un crayon prendraient bien moins de place sur ce bureau, et ce pauvre agent ne perdrait pas autant de temps à devoir écrire et vérifier ce qu'il vient d'écrire. Ce monde renferme vraiment des conceptions qui m’échappent.
– Auriez-vous une photo de votre frère ? demande-t-il en levant enfin le nez vers moi.
Surprise par sa question, je me tourne en direction de Moïra qui le fixe du regard, ses sourcils levés exprimant la même incrédulité que moi. Elle ne tarde pas à intervenir afin de m'éviter d'évoquer le sujet.
– Je vous demande pardon ?
– Une photo. De celui que vous cherchez. Si un avis de recherche devait être produit, je vais avoir besoin d'une...
– Les Amish ne se font jamais photographier, monsieur l'agent. La plupart des gens à Philadelphie le savent.
Il retrousse une lèvre et se racle furtivement la gorge, visiblement interloqué par cette information.
– Ah oui ? Je n’avais pas cette information, désolé, j’arrive de New York. Pourquoi cela ?
– C'est une marque d'humilité. Cela ne leur est pas interdit, mais la plupart préfèrent s'en passer.
– Hum, je vois. Mais vous conviendrez qu'il nous sera difficile de retrouver un homme si nous ne savons pas à quoi il ressemble, n'est-ce pas ? Accepterait-elle au moins de nous aider à en dresser un portrait robot ? demande-t-il en me désignant du menton avec nonchalance.
Moïra m'interroge du regard, mais n'ayant de mon côté aucune idée de ce qu'est un portrait-robot, je ne peux lui répondre qu'à l'aide d'une levée de sourcils incertains. Elle m'explique alors qu'il me faudra donner tous les détails possibles permettant de produire un dessin qui représenterait Samuel.
Je le sais parfaitement consciente que le fait de tapisser les murs de la ville du visage de mon jeune frère, qu'il soit photographié ou dessiné, fait monter en moi une angoisse non négligeable, cette action allant à l'encontre de l'une des convictions principales de ma communauté.
Mais je sais que très peu d'occasions me seront données d'obtenir de l'aide pour retrouver Sam, et que je n'aurai forcément d'autre choix que d'enfreindre un certain nombre de ces règles qui me sont inculquées depuis l'enfance.
J'acquiesce timidement, crochetant nerveusement les doigts de ma main droite à ceux de ma main gauche, et commençant à réfléchir intérieurement à toutes les prières que j'aurai à adresser au Seigneur pour lui demander pardon.
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Debbie Chapiro
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