Fyctia
Chapitre 3.3 - Jodie
Lendemain matin
– Tu as fait quoi ?!
Moïra a visiblement déjà passé trop de temps dans le Grand Monde, elle semble avoir du mal à contenir ses émotions. La nervosité tend exagérément les traits de son visage, tandis qu’elle fait les cent pas dans la cuisine. C’est la troisième fois qu’elle fait chauffer son café dans cet appareil bruyant qu’elle affectionne tant, j’en déduis que rien ne remplacera jamais une bonne cheminée.
– Mais enfin Jodie, reprend-elle, est-ce qu’au moins tu te rends compte des risques inconsidérés que tu as pris ?
– Il ne m’est rien arrivé, Moïra.
– Et c’est un miracle ! Tu n’as pas l’air de prendre la mesure du danger auquel tu t’es exposée, mais crois-moi, le Black Bar, c’est… c’est… Je ne sais même pas quel adjectif employer ! Tu ne dois plus jamais y mettre les pieds Jodie, tu m’entends ?
L’air dramatique qu’elle affiche me donne l’impression d’être ressortie d’un incendie sans aucune brûlure. Mais qu’a donc cet endroit pour lui inspirer autant d’inquiétude ? De toute façon peu m’importe, ma présence ici n’est justifiée que par un seul objectif.
– J’y retournerai. Je dois parler à cet homme, monsieur Teresi.
Elle lâche la cuillère qu’elle venait de prendre dans l’un des tiroirs de son grand buffet moderne. L’espace d’un instant, il me semble déceler une lueur de terreur traverser son regard, mais elle reprend contenance à une vitesse fulgurante et me fait ainsi douter de mes capacités d’analyse.
– Qui ça ? demande-t-elle tout en se baissant pour ramasser le couvert en inox.
– Ocario Teresi, un homme qui aurait parfois contact avec certains jeunes de notre communauté, lorsqu’ils se retrouvent seuls ici. Il a peut-être vu Sam, je dois le retrouver et essayer d’en savoir plus.
– Non, Jodie. Ne fais pas ça.
Le ton qu’elle emploie est sec et clair. Je tente de sonder son attitude, ayant de plus en plus l’impression qu’elle me cache quelque chose, mais une nouvelle fois, le masque de neutralité qu’elle arbore immédiatement m’empêche toute déduction précise. La seule chose dont je sois certaine, c’est qu’elle ne fait que conforter au fond de moi l’idée que je vais dans la bonne direction. Je prends une inspiration soutenue et plante mon regard dans le sien.
– Je te l’ai dit, rien ne m’arrêtera. Je ne perdrai pas un second frère, c’est hors de question. Si je dois me mettre en danger pour retrouver sa trace, je n’hésiterai pas.
Elle tord les lèvres, parfaitement consciente de mon entêtement et de ma capacité à mener mes recherches aussi loin que j’en serai physiquement capable.
– Mais quelle tête de mule, tu me fais vraiment penser à ton frère.
Cette évocation de celui dont je ne dois pas parler, et qui me manque atrocement en dépit de ce qu’attend de moi le Seigneur, déclenche un frisson qui envahit chacun de mes muscles.
– Tu as bien connu Jonah ? osé-je timidement.
Elle m’adresse un regard compatissant et emplit de tendresse.
– Oui, et crois moi, tu as de qui tenir.
Pour la première fois depuis son départ, j’autorise ma mémoire à faire réapparaître les souvenirs bien rangés de mon grand frère. Sa corpulence solide et imposante, forgée par une adolescence à cultiver la terre, élever le bétail et travailler le bois, son regard azur et sa chevelure épaisse, dont les reflets blonds s’animaient constamment au gré du vent ou de ses mouvements. Jonah était une force de la nature, capable de maîtriser un bœuf récalcitrant à la seule force de ses bras, et pourtant connu pour son infinie gentillesse. Au souvenir de la fossette creusant sa joue gauche à chacun de ses sourires, un déchirement parcourt mon corps de haut en bas. Il me manque terriblement.
La voix de Moïra me tire de mes songes nostalgiques.
– Bon, très bien, je te propose de commencer par le commencement, et donc d’aller voir les autorités ce matin. Nous pourrons déjà savoir s’ils ont entendu parler de Samuel, et tout au moins écarter les pistes les plus tragiques. J’ai déjà vérifié de mon côté, aucun des hôpitaux de la région n’ont admis de jeune Amish ces derniers mois.
Soulagée qu’elle rejoigne enfin ma cause et qu’elle sache par où commencer, je pousse un long soupir.
– Merci Moïra…
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