Fyctia
Prologue (Partie 1/3)
(Note de l'auteur : ne panique pas tout de suite si tu n'aimes pas les récits à la 3e personne, seul le prologue est concerné. La suite est écrite à la 1ère personne et au présent)
Dans le silence apaisant de la fin de journée, seul résonnait le bruit régulier des pommes de terre percutant le fond métallique d'un seau de récolte. Jusqu'aux dernières heures du jour en cette fin d'été, les rayons du soleil envahissaient l'horizon, nimbant d'une lumière douce et chaleureuse la nature qui se préparait aux heures de pénombre à venir.
Courbée au-dessus de sa besogne, une jambe de chaque côté d'un rang de paillis, Jodie arrachait un à un les plants pour en récupérer les tubercules. Malgré le manque de pluie de ces dernières semaines, la récolte promettait d'être belle grâce à cette technique de culture utilisée par sa famille depuis plusieurs générations.
Semée sous paille, la pomme de terre poussait aussi bien voire mieux que sous terre, ne souffrait presque pas de la sècheresse et se ramassait propre. Des avantages appréciables pour les Graber, famille d'agriculteurs Amish de la petite ville de Layton, n'utilisant aucune technique moderne ni produit chimique pour cultiver leur terre. Depuis plusieurs générations déjà, la ferme des Graber était connue pour la qualité de ses fruits, légumes, œufs, pains et confections artisanales qu'ils vendaient sur les marchés et foires alentours.
Le son d'une cloche perça joyeusement l'air jusqu'aux oreilles de Jodie, annonçant l'heure du dîner. Après des heures passées genoux fléchis et buste courbé pour remuer la paille, la jeune femme posa une main sur sa cuisse et l'autre dans le creux de ses reins pour dérouler lentement son corps engourdi. Son regard balaya lentement le ciel, et elle s'émerveilla comme chaque soir de ce jeté de rose orangé qui tapissait l'horizon jusqu'à la forêt.
Jodie aimait particulièrement ces quelques instants de passage du jour à la nuit. Une journée bien remplie s'achevait pour laisser place à une autre, les couleurs et les odeurs changeaient, et le balai des animaux diurnes et nocturnes qui s'entrecroisaient rappelait que le monde n'appartiendrait jamais à l'Homme. C'était le moment où elle appréciait de prendre une profonde respiration en fermant les yeux, et remercier le ciel d'être née au bon endroit, au bon moment.
Après avoir rapidement essuyé ses mains souillées sur son jupon, la jeune femme prit le seau de pommes de terre et alla le vider dans la vieille charrue qui l'attendait au bout du rang. Martha, la vieille jument alezane, patientait tranquillement comme elle l'avait appris durant ses longues années de service, profitant des quelques derniers rayons du soleil qui réchauffaient son dos ensellé.
– Allez ma fille, lui souffla Jodie en saisissant la simple branche de noisetier qui lui servait à guider l'animal, c'est l'heure de rentrer.
Aussitôt, la jument se mit en marche, tractant derrière elle le fruit du travail de sa maîtresse. D'un pas calme et régulier, elles longèrent le petit champ de pommes de terre et rejoignirent le sentier caillouteux, qui sillonnait à travers les diverses étendues de culture appartenant à la communauté Amish de Layton. Lorsque la ferme familiale apparut au beau milieu de son décor bucolique, Jodie laissa un sourire étirer ses lèvres. Depuis quelques années, Ephraïm et Rebecca Graber avaient laissé libre cours à leur fille pour aménager les quelques centaines de mètres carrés qui devançaient la grande bâtisse bardée de bois rouge, et celle-ci adorait voir le résultat de son travail depuis le grand chemin.
Un potager fourni et varié, mélangeant harmonieusement les volumes et les couleurs, attirait l'œil dès l'entrée dans la cour. Véritable paradis pour la petite faune, on y apercevait souvent des papillons de diverses espèces survoler les végétaux dans un balai fabuleusement poétique, et Jodie venait régulièrement y puiser la sérénité qui la caractérisait. De petites barrières de bois tressé en délimitaient le lieu, auxquelles grimpaient des plans de courges dont les fruits arrivaient bientôt à maturité.
Non loin de là, une petite mare avait été creusée et agrémentée de roseaux, nénuphars et iris d'eau, et accueillaient grenouilles et libellules qui s'occupaient avec plaisir de réguler les populations de limaces, pucerons et autres indésirables.
Après avoir dételé Martha, Jodie lui offrit une ration de grains et la bouchonna consciencieusement avant de la relâcher dans son enclos. Lorsqu’elle rejoignit enfin la maison, les Graber s’apprêtaient tout juste à passer à table.
– Tu arrives juste à temps, sourit Rebecca en déposant un plat fumant sur la robuste table en bois massif sur laquelle le couvert avait été soigneusement installé.
Soudain, une tornade blonde dévala l’escalier pour venir se cacher en riant dans les jupons de la jeune femme, suivie d’une seconde visiblement en colère. Rebecca posa les deux mains sur ses hanches en soupirant.
– Hannah, que signifie ce vacarme ?
– Jacob a volé ma plume et mon encrier ! s’écria la jeune fille en pointant du doigt le petit chenapan qui la narguait avec bonheur.
– La mienne est cassée, répondit celui-ci.
– Tu n’avais qu’à en prendre soin !
– Allons les enfants, reprit Rebecca en couvrant les cris de sa voix douce, il n’y a pas de voleur dans cette maison. N’est-ce pas Jacob ?
Comme le garçonnet acquiesçait, elle se tourna vers sa sœur aînée dont les sourcils froncés trahissaient encore la colère.
– Hannah, comme ton frère est un garçon honnête et droit, il va de ce pas te rendre tes affaires. Mais toi, grande sœur exemplaire et responsable, tu devras réfléchir à la manière dont tu t’es adressée à lui. La colère est l’ennemi du bien, tâche de ne pas l’oublier.
– Oui maman…
– Bien, maintenant, que chacun se lave les mains et prenne place à table.
Silencieux jusque-là, Ephraïm Graber déposa sa pipe sur son support et quitta le fauteuil dans lequel il venait de passer la fin de journée, posant affectueusement ses deux mains sur les épaules de Jodie lorsqu’il passa derrière elle pour rejoindre sa chaise.
– Comment sont les pommes de terre, cette année ? demanda-t-il de sa voix rauque.
– De bonne taille, répondit la jeune femme en prenant place à son tour, il semble que le paillage ait été suffisamment épais pour palier à la sècheresse de cet été.
– Bien. Ton frère revient demain, nous terminerons la récolte et ferons les semailles de moutarde et de phacélie pour les couvertures d’hiver.
– Je peux continuer à vous aider, papa.
– Non. Tu auras mieux à faire.
– Mieux ? s’étonna Jodie en interrogeant ses deux parents du regard.
Tout en déposant une miche de pain sur la table, Rebecca considéra sa fille d’un œil doux et prometteur.
– L’été se termine, mon enfant. Tu auras bientôt vingt-et-un ans, il va être temps de prendre ta décision finale et de demander le baptême. Et puis, Caleb ne tardera pas à te faire sa demande.
Estomaquée, la jeune femme porta une main à sa gorge tendue...
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