Fyctia
Chapitre 9-1
Présent
“Elle s’appelle Menara Gissepe de Celirne - fanfaronna le jeune nordique en pénétrant sous l’auvent du café - future comtesse de Teracure. Et je n’ai rien eu à faire de répréhensible pour l’apprendre ! Ne niez pas, je lis sur vos visages toutes vos calomnieuses pensées.”
Soene grogna son mécontentement, Edin haussa un sourcil, et Tobial s'installa à leur table avec toute la fierté d’un matamore.
“C’est où ça, Teracure ?”
“Nulle part - grinça la jumelle agacée - c’est simplement un faux titre accordé aux de Celirne, une des familles les plus influentes à Tmadian. Le premier de Celirne était un Archimage, il a aidé sa majesté Elteren à fonder le royaume, et depuis leur famille est très liée au Roi et à sa famille.”
La géante hocha lentement la tête, puis porta un croissant à sa bouche. Avant d’arriver en ville, elle se méfiait des établissements comme celui où ils étaient installés. Payer aussi cher pour une nourriture aussi peu nourrissante, et profiter d’un cadre supposément agréable, ressemblait à une escroquerie plus qu’à un luxe. Puis les jumeaux l’avaient trainée de force et maintenant qu’elle avait goûté les pâtisseries, elle ne s’imaginait plus continuer sa vie sans ce petit plaisir.
“Ça explique pourquoi elle était aussi arrogante.”
“Cela veut surtout dire qu’elle est intouchable et certaine d’être admise, malheureusement. Ses parents lui auront payé les meilleurs tuteurs pour la préparer.”
“Et si cela n’a pas suffi, ils auront graissé quelques pattes pour éviter que cela se voit. Mais ce n’est pas si grave. Les étudiants chercheurs sont historiquement répartis en deux classes.”
“Tu as donc une chance non négligeable de ne jamais avoir à la recroiser !”
Elle n’eut pas cette chance. Le lendemain, une nouvelle missive arriva dans la chambre d’Edin pour lui annoncer sa réussite au concours, son admission dans la prestigieuse filière dédiée à la recherche de la non moins respectable université royale, ainsi que sa convocation à la cérémonie d’entrée qui se tiendrait bientôt. En complément, la lettre précisait que la liste des futurs élèves était disponible à la porte de l’enceinte pour qui souhaitait la consulter.
Assise sur le bord de son lit et encore à moitié endormie, Edin resta immobile. L’idée peinait à se frayer un chemin dans son esprit si craintif, peu habitué aux bonnes nouvelles. Et plus elle réalisait le sens des mots, plus elle sentait enfler en elle un mélange de satisfaction et de fierté qu’elle ne savait pas exprimer. Face à elle un petit miroir de cuivre poli renvoyait le sourire béat qui fendait son visage.
Après de longues minutes, des pas lourds dans l’escalier échouèrent à la tirer de sa stupeur. Le bruit de la porte de sa chambre, ouverte sans délicatesse, lui fit juste tourner la tête pour découvrir sa logeuse, madame Stacin. La petite femme avait un regard dur sur son visage buriné, signe que la matiné n’avait pas commencé sous les meilleurs auspices ; et ses mains étaient occupées à essuyer un réactif avant qu’il ne laisse une trace indélébile de plus sur sa peau et ses vêtements, déjà amplement décolorés par d’innombrables potions et acides. Elle acheva de frotter ses poignets puis lança le torchon sur son épaule et désigna la lettre du menton.
“Alors, ça dit quoi ? C’pour ça qu’tu souris comme une débile ?”
“Je suis prise - Edin hocha lentement la tête - j’ai réussi.”
“Super ! - l’alchimiste la rejoint d’un pas et donna un coup de poing enthousiaste dans son épaule, ses traits soudainement détendus - Cette vieille carne d’Illina avait raison sur ton compte, on dirait. Les plus bizarres font les meilleurs mages. Allez viens - elle reprit la direction du rez-de-chaussée - je sais pas trop c’que j’ai en stock, mais ça s’fête. Y’ doit m’rester une bouteille d’hydromel.”
Plus tard, une fois ses moyens retrouvés, elle prit son manteau pour sortir en ville. La lettre d’admission portait son nom, pourtant elle ressentait le besoin de confirmer la nouvelle. De vérifier que ce n’était pas qu’une farce malsaine d’un nobliau méprisant qui rêvait de voir son visage sombrer du bonheur au désespoir. Arrivée devant la porte de l’université, elle repéra facilement la plaque de métal qui décorait désormais un des battants. Là, dans le fer et l’acier, son faux nom était gravé en toutes lettres.
Rita Tengin, en septième position sur vingt de la seconde classe d’étudiants chercheurs. Cette preuve-ci ne pouvait être falsifiée. Et découvrir le nom de Menara de Celirne quelques lignes au-dessus du sien ne suffit pas à entamer son bonheur. Elle se retourna et prit la fuite aussi vite qu’elle était arrivée, avant que les autres personnes venues consulter l’affichage ne s’en prennent à elle et ne ruinent cet instant de félicité. Elle se précipita jusqu’à sa chambre, s’effondra dans le lit, et prit le portrait de Luxen. Le plus difficile était passé, maintenant ce n’était qu’une question de temps. Elle trouverait ce qui lui était arrivé.
Deux jours plus tard, beaucoup moins d’étudiants se pressaient devant l’immense façade. Adossée à un mur sur le côté de la place, Edin les vit arriver dans des carrosses rutilants aux armes de leur famille ou des calèches locales louées pour l’occasion. Tous étaient vêtus plus somptueusement encore. Certains tremblaient de nervosité, d’autres rayonnaient de suffisance. Bien sûr, les jumeaux s’étaient mêlés à la foule et semblaient s’ennuyer ferme alors qu’ils échangeaient. Menara également, entourée d’un cercle qui semblait boire ses paroles. Au total, une soixantaine de jeunes adultes se préparaient au premier jour du reste de leur vie. Aucun ne fit attention à elle. Puis l’université ouvrit ses portes et la foule s’engouffra dans l’immense bâtisse. On s’assura qu’ils soient tous bien rentrés, leurs noms furent vérifiés en passant sous l’arche, puis ils s’assemblèrent dans le hall. Elle attendit qu’ils soient tous passés pour se présenter à son tour, à tête enfin découverte. Son nom était le dernier à cocher. Dès qu’elle posa le pied sur le sol de marbre, un son lourd accompagna la fermeture des portes.
L’intérieur avait été dégagé de toute table ou barrière qui pourrait gêner la foule. Des gardes bloquaient l’accès aux escaliers, et Edin soupçonnait que les portes menant au reste du bâtiment soient verrouillées, mais rien de plus. Afin d’être visibles par tous, un groupe d’une vingtaine de personnes était aligné sur le balcon qui faisait face à l’entrée, droits et solennels. Tous portaient le même uniforme gris brodé d’or qui était la marque de tout l’établissement, bien que souvent agrémenté d’accessoires plus ou moins prononcés. Edin sentit ses joues rougir en reconnaissant le professeur Eccitune sur la gauche. Il avait l’air si jeune, dans sa vingtaine peut-être, au milieu de ces mages expérimentés qui avaient au moins le double de son âge.
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