Fyctia

Un mois plus tard

“Est-ce que ça va faire mal ?”

Illina dévisagea l’adolescente par-dessus ses lunettes, et Edin entra la tête entre ses épaules.

“Je veux enfoncer une aiguille en os dans ton doigt, pas te donner une bise pour te souhaiter la bonne nuit. Bien sûr que ce sera douloureux, raison de plus pour demander ton accord.”

L’apprentie hocha la tête sans conviction. Elle avait eu de la chance, jusqu’ici aucun test n’avait impliqué quoi que ce soit d’invasif. La mage avait lancé des sorts sur elle, lui avait fait pratiqué des exercices précis, avait soumis des mèches de ses cheveux à des réactifs alchimiques. L’aiguille serait, si cette expérience était concluante, la dernière et la pire.

Elle déglutit. Le dard était fin, élancé et parfaitement droit, comme s’il était fait pour la couture. Il ne pouvait pas lui faire si mal, et elle avait subi son lot d’échardes quand elle accompagnait son père. Mais l’idée de se mutiler volontairement avait quelque chose de dérangeant. Les cheveux dans sa nuque la démangeaient. Son genou était agité de soubresauts. Mais après une inspiration elle contracta la mâchoire et étala sa main sur la table, paume vers le ciel.

“Allez-y.”

La douleur fut instantanée. L’adolescente ne vit même pas sa mentore bouger. Elle tira son bras par réflexe et le replia contre son ventre, mais aucun soulagement ne vint. Alors elle tourna ses yeux embués de larme vers la pulpe de son index, d’où dépassait un fin trait blanc.

“Et maintenant - sanglota-t-elle - comment on va savoir ce que dit le test ?”

“Essaie de lancer un sort en utilisant seulement ton doigt.”

La mage mima un cercle dans l’air et Edin l’imita avec hésitation. L’énergie se concentra le long de ses phalanges et coula dans ses veines. Mais arrivée à la pointe de l’aiguille, elle s’écoula immédiatement à travers le morceau d’os. Une goutte de lumière verte se forma le long de l’épine et tomba sur la table, sous les regards fascinés des deux femmes. L’apprentie dirigea un peu plus de magie dans son doigt, mais elle fuit à nouveau à travers l’aiguille et cette fois, la tâche émeraude resta suspendue dans l’air.

“C’est donc bien ça.”

“Bien quoi ?”

Illina s’enfonça dans le dossier mou de son siège et alluma sa pipe.

“C’est ta peau qui bloque le passage de la magie. Un petit trou dans cette protection et elle s’écoule parfaitement. C’est la raison pour laquelle tu as tant de mal à lancer des sorts, et pour laquelle je n’ai pas pu te requinquer avec les miens. Elle n’est pas parfaitement imperméable, sans quoi tu ne pourrais pas former de glyphe du tout, mais il faut de grosses concentrations pour outrepasser sa résistance.

C’est sans doute pour ça que tu es si massive également. En grandissant, ton corps n’a jamais pû évacuer le trop plein de magie qu’il produisait. L’énergie s’est accumulée, alors il l’a réabsorbée et utilisée pour amplifier ta croissance.”

“Et c’est bien ? Ça veut dire que je suis protégée contre les autres mages ?”

Illina lâcha un rire amer.

“Peu de sorts affectent directement une personne, et la plupart sont des sorts médicaux. Si un mage veut te tuer, il fera léviter un rocher qui n’a rien de magique à travers ton crâne comme une flèche. Tout ce que tu as gagné, c’est le droit de t’épuiser dès que tu voudras utiliser la magie. Je suis désolée, gamine.”

“Et il n’y a rien à y faire ?”

“Tu pourrais laisser l’aiguille - la vieille femme haussa les épaules - voire en instaler d’autres. Mais si tu décides de le faire, alors prends garde à bien nettoyer les plaies pour éviter les infections.”

Edin secoua vigoureusement la tête. Une seule de ses petites lames était déjà assez douloureuse comme ça ! Elle avait envie de l’arracher et de ne plus jamais la voir, certainement pas de s’en infliger plus.

Un lourd silence vint s’installer dans la maisonnette, seulement perturbé par les sifflements de la pipe. La vieille femme avait un regard éteint tandis que la jeune observait sa blessure. Elle en tira finalement le morceau d’os et épongea la goutte de sang qui perla avec un mouchoir.

“Vous pensez que c’est en lien avec mon œil ?”

“Sans doute. La coïncidence serait un peu grosse. Mais tu es née comme ça, alors je doute que l’accumulation de magie t’aie transformée dans le ventre de ta mère. Je dirais plutôt qu’il y a une origine commune. Mais laquelle, ça - elle haussa les épaules - Je n’ai jamais rien vu d’approchant dans quelque livre que ce soit. Mais maintenant que j’y pense.”

Elle sauta sur ses pieds et se dirigea vers une étagère. Une caresse le long de l’échine de la fourrure qui entourait son cou la fit se dresser, et la mâchoire édentée du renard se referma sur un épais volume du rayon le plus haut.

“Il y a peut-être une forme de magie qui pourrait te convenir.”