Fyctia
Chapitre 5-4
Plusieurs participants levèrent des regards incrédules. D’autres se tournèrent vers les fenêtres avec panique. Edin se contenta de fixer sa feuille. Elle était exténuée, sa tête tournait. Ça faisait déjà une heure ? Cette épreuve lui avait semblé durer une éternité. Elle avait couvert une dizaine de pages d’écritures, de ratures ; ses lettres étaient de moins en moins appliquées et lisibles ; et pourtant elle aurait juré que ça ne faisait qu’un instant. Perdue dans le flot de l’exercice et des sujets brassés dans tous les sens, elle ne savait même plus vraiment ce qu’elle avait noté. Et en si peu de temps, aucune chance qu’elle puisse se relire. Elle ne pouvait que se faire confiance, espérer qu’elle avait été à la hauteur, et se préparer à la suite.
Autour d’elle, les autres candidats commençaient à se lever. Plusieurs files propres et silencieuses s’organisèrent spontanément. Elle prit un poinçon pour attacher ses pages et les rejoignit. Un à un ils posèrent leur liasse de parchemin avant d’être renvoyés vers leur pupitre. Quelques-uns voulurent profiter de ce dernier petit temps pour écrire autant de réponses qu’ils pouvaient, juste quelques-unes. Ceux-là se levèrent les derniers et durent courir pour poser leurs feuilles. L’un d’entre eux, un jeune homme à la mâchoire carrée, trébucha et manqua de s’étaler au sol. A la place, il utilisa la chute pour tituber vers l’avant et arriver au bureau de la professeure à l’instant où elle plaquait le sablier sur la pile de feuilles.
“Fin du temps. Retournez à votre place pour l’épreuve suivante.”
Il resta figé une seconde, le bras tendu, sa copie à la main. Puis la gravité le rattrapa et il acheva de s’effondrer. Edin pensait reconnaître un de ceux qui s’étaient moqués d’elle plus tôt, et pourtant elle se sentait un peu mal pour lui.
Contrairement à l’enseignante, qui rassembla juste ses affaires et les copies de ses participants avant de sortir et laisser la place à un autre mage. Celui-ci commença sans attendre à circuler entre les tables et à poser devant chaque participant un paquet enveloppé dans un chanvre rugueux, à peine plus gros qu’une brique. Et pendant qu’il marchait, il expliqua l’épreuve.
“A mon signal, vous pourrez ouvrir le paquet. A l’intérieur, vous trouverez un bloc d’argile ainsi que le dessin d’un glyphe d’enchantement. Vous aurez une heure pour reproduire dans l’argile, avec les outils que vous avez pensé à apporter, le glyphe. Le résultat doit être prêt pour être passé au four et empli de catalyseur.”
Des regards inquiêts s’échangèrent dans la salle. Personne n’avait pensé à apporter d’outils pour de la sculpture. Une dizaine d’entre eux, peut-être, avaient prévu quelque chose d’assez générique comme des règles et des compas, mais les autres devraient se débrouiller. Plusieurs attaquèrent l’argile directement avec les doigts. D’autres commencèrent à retirer leurs bijoux pour éviter de se salir les mains. Des bagues, des broches, des boucles d’oreilles.
Edin, de son côté, commença par étudier le motif. Le bloc qui leur avait été donné était très épais et pas très large, pas vraiment adapté à y dessiner quoi que ce soit. En plus, l’assemblage de formes géométriques était complexe, et les enchantements demandaient une précision absolue dans le tracé des glyphes, sans quoi la circulation d’énergie les usait à toute vitesse. Sans le moindre outil de mesure, refaire le dessin à main levée était inenvisageable.
Après réflexion, elle glissa sa dernière feuille de parchemin sous l’argile puis se saisit de sa pochette et l’utilisa comme une presse. Le matériau mou s'aplatit et se lissa sous le cuir parfaitement rigide et droit. Elle appuya quelques secondes avec une force écrasante, puis retira lentement sa pochette pour ne pas accrocher. Maintenant, le bloc était bien étalé et facile à travailler.
Sa voisine de gauche regarda le résultat avec un intérêt mêlé de jalousie. Elle examina ensuite sa propre sacoche, cousue de plusieurs lignes de dentelles et de perles, à la fois trop précieuse pour la salir ainsi et trop ornementée pour pouvoir aplatir quoi que ce soit. Edin ne lui prêta pas attention et se concentra sur son travail. D’ordinaire, elle ne sortait pas sans un couteau à la ceinture. Un conseil de son père, qui estimait l’accessoire essentiel pour survivre en forêt, et qui s’était mué en habitude. Mais se promener avec un couteau, lui avait-on dit, était une habitude de paysan. Alors, à la place, elle l’avait caché avec ses lunettes. Jusqu’à ce moment.
Elle le tira d’un geste rapide et le posa sur le pupitre. Avant d’attaquer la gravure, il restait une étape. Elle prit la feuille où était dessiné le glyphe et la posa, aussi lisse que possible, sur l’argile. Plutôt qu’essayer de reproduire le motif, elle planta la lame directement sur les traits et commença à les suivre méticuleusement. Leur instruction était de préparer l’argile pour la cuisson, mais n’importe quel four capable de cuire la terre glaise pourrait tout aussi bien pulvériser le papier. Et cela rendrait le bloc, encore malléable, plus facile à transporter.
De nouveau, le professeur annonça la fin de l’épreuve. Il ne se montra pas aussi strict que sa collègue, mais plusieurs candidats furent malgré tout forcés de remettre leur gravure sans avoir terminé ou être satisfaits du résultat. Edin, elle, était confiante cette fois ; et pour le rester, elle ignora de toutes ses forces les regards des autres postulants.
9 commentaires
Merle Hewitt
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Il y a 5 mois
Mary Lev
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Il y a 5 mois
Janikest
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Il y a 5 mois