Nathanael6 Peau épaisse Chapitre 5-2

Chapitre 5-2

Une heure plus tard, ce fut au tour des hospitaliers. Cette fois encore, un groupe d’étudiants fut accepté à l’intérieur, une personne à la fois. D’autres personnes arrivaient au fur et à mesure de la matinée, si bien que la densité de population sur la place ne diminuait que temporairement. Et beaucoup, sans doute, parlaient d’elle ; mais étrangement, cette fois, Edin ne s’en souciait pas. Aucun n’osait s’approcher, beaucoup sans doute s’étaient lassés de juste commenter son apparence et étaient passés à autre chose, et elle était de toute façon au-dessus de ça. Les yeux mi-clos, elle dodelinait au rythme d’une chanson que son père aimait chanter en travaillant.


“Debout.”


Elle se concentrait sur les paroles. Cela faisait presque deux ans qu’elle ne l’avait pas entendue, mais le souvenir était encore intact. Elle ne comprit donc pas tout de suite que l’injonction lui était destinée. Quand elle réalisa enfin que quelqu’un lui parlait, elle se contenta d’ouvrir les yeux.


Un groupe de femmes d’environ son âge, comme tout le monde sur la place, la fixaient avec des regards mauvais. Deux se tenaient en retrait, derrière une troisième qui essayait de la regarder de haut. Toutes portaient un gilet de brocard aux couleurs vives sur une robe élégante qui laissaient deviner leurs bottines, ainsi que de nombreux bijoux pour agrémenter le tout. Au moins une broche et une chevalière chacune, plus quelques bagues, un collier pour celle de gauche, une cravate fine pour celle de devant, et bien sûr de discrète mais luisantes boucles d'oreilles.


La suiveuse de gauche était la plus grande des trois, ce qui était loin de suffire pour rivaliser avec Edin, et portrait de longs cheveux bruns rasés sur les tempes et attachés en une tresse complexe qui courait de son front jusqu’entre ses omoplates. Celle de droite avait une coiffure plus classique dont le noir corbeau contrastait avec les rubans bleu roi qui la maintenaient en place.


Enfin, la meneuse était ironiquement la moins effrayante des trois. Son visage rond était couvert de tâches de rousseurs, assorties avec le complexe assemblage de nattes couleur de feu qui cascadait le long de ses épaules. Ses grands yeux bruns étaient exorbités par la colère, et ses lèvres fines si pincées qu’elles en étaient blanches malgré le maquillage. Aucune d’elle n’était vraiment menaçante, pourtant Edin se plaqua contre le mur et chercha du regard un chemin pour prendre la fuite. La brune laissa échapper un ricanement mauvais, la rousse leva un doigt plein d’hostilité et commença à crier :


Des mots qui furent complètement submergés par le cri de la corne. Le trio tourna son attention vers l’entrée et leurs yeux sur un enseignant qui ne les avaient selon toute vraisemblance pas remarquées. Sans leur accorder un regard, il lança l’ouverture de l’examen de la section recherche. La rousse grommela, trépigna, puis bouscula Edin pour la dépasser et se présenter la première devant la porte, ses camarades juste derrière. La géante laissa les plus enthousiastes lui passer devant le temps que la foule baisse en densité et que sa panique se calme.


Elle n’avait pas entendu ce que la rousse avait dit. A la place, elle avait entendu des souvenirs. Des échos de situations similaires, de toutes les fois où elle avait été insultée. Attaquée. Humiliée. Les mots rebondissaient dans son crâne sans vouloir se taire. Elle ferma les yeux, enfonça la tête entre ses épaules, retint les larmes avec sa respiration. Puis elle expira et laissa les souvenirs partir avec l’air. Une nouvelle inspiration, profonde, et elle souffla de nouveau. Ce n’était pas parfait comme méthode mais c’était mieux que rien. Peu à peu, elle reprit le contrôle. Par chance, les élèves pressés d’entrer ne la remarquaient pas, ou l’ignoraient. Elle rouvrit les yeux.


La masse des candidats n’avait pas perdu en volume, mais un peu en densité. Après s’être munie de sa convocation, Edin n’eut aucun mal à se mêler à la file. Deux autres jeunes adultes présentèrent les leurs puis furent admis à l’intérieur, et ce fut son tour. Elle tendit le papier à l’enseignant, mais avant qu’il puisse la consulter, une force invisible arracha le papier des mains d’Edin.


La lettre s’envola en ligne droite avant de commencer à s’enfuir dans les airs comme portée par le vent, à presque quatre mètres du sol. Le professeur la fixa du regard puis chercha autour de lui avec agacement. La candidate, elle, posa juste les yeux de l’autre côté de la porte. Dans le hall, en train de s’éloigner, la rousse avait des restes de lueur magique au bout des doigts et un rictus mauvais sur les lèvres. Dans la queue, quelqu’un explosa de rire. Un autre futur étudiant enfonça son coude entre les côtes de la géante.


“Eh bien - gloussa-t-il, très fier de lui - tu vas bloquer tout le monde encore longtemps, l’ogresse ? Si tu n’as pas de convocation, tu n’as rien à faire ici !”


Un nouveau rire, celui de quelqu’un d’autre. Sous ses pieds, le monde s’effondrait. C’était trop, elle ne pouvait pas, elle ne pouvait plus. L’obscurité avalait tout et apportait avec elle les échos. Elle allait…


“Suffit.”


Le mot claqua dans l’air au moment où une banderole de tissus saisissait la lettre volante. La large étoffe fit une boucle en l’air puis revint vers le sol et déposa le papier dans la main d’un homme qui arrivait en longeant la façade. De grande taille, très fin, avec un visage délicat, des cheveux de jais, des yeux étroits et un regard doux. Il portait sur sa peau cuivrée l’uniforme gris des professeurs de l’académie et l’écharpe enchantée, qui était revenue s’enrouler autour de son cou et dissimulait désormais le bas de son visage. Il jeta un regard vers le contenu de la convocation puis la glissa dans la main tendue, encore figée, d’Edin.


“Elle est précieuse à vos yeux - murmura-t-il d’une voix chantante - alors protégez-là.”


Il délaissa ensuite la jeune femme interdite, salua son collègue, et s’enfonça dans le bâtiment. Edin eut juste le temps de lire le nom sur son écusson, S. Eccitune. Puis il disparut derrière une porte. Le regard d’Edin fixa sa direction jusqu’à ce que le professeur devant elle se râcle la gorge. Elle força alors la convocation entre ses mains d’un geste précipité, et se précipita à l’intérieur pour cacher son visage cramoisi.

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5 commentaires

Mary Lev

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Il y a 5 mois

Enfin un allié pour Edin. ça fait du bien. C'est intéressant cette coupure que tu fais au moment où la rousse l'insulte. J'ai été un peu frustrée je l'avoue ^^Peut être nous donner des exemples précis d'agressions qu'elle a pu subir quand elle se remémore ses brimades passées, histoire d'atténuer un peu ? A voir :)

Janikest

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Il y a 5 mois

Like de soutien. N'hésite pas à faire de même sur mon dernier chapitre ;)

Florian Gailland

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Il y a 5 mois

Un like de soutien pour t'aider à avancer dans ton histoire. Je ne suis pas contre de l'aide aussi. Courage !
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