Fyctia
Chapitre 4-1
Deux ans auparavant
“Je veux devenir votre apprentie !”
L’adolescente était pliée en deux, inclinée aussi fort qu’elle le pouvait. Face à elle, la vieille femme semblait plus las ou désabusée qu’impressionnée. Le terne soleil d’hiver se levait encore paresseusement à l’horizon, à moitié caché derrière les arbres de la forêt voisine ; Edin avait fait le chemin la veille pour ne pas se présenter fatiguée ou les bottes pleines de boues. Elle espérait qu’en interceptant dame De Gurnos avant que sa journée ne commence, la mage n’aurait pas encore l’esprit à autre chose et serait prête à l’écouter. Si elle avait prévu d’avoir affaire à une originale, cependant, elle n’avait pas réalisé à quel point.
Loin, au bout d’un chemin presque à l’abandon qui sinuait entre les ronces, Edin avait trouvé une maisonnette à deux étages, aux murs couverts de lambris blanc et au toit de tuiles lavande, avec de petites fenêtres aux cadres vert citron, parfaitement déplacée dans la clairière obscure qui l’abrittait. Puis, quand elle eut rassemblé tout son courage et frappé à la porte, ce fut une femme haute comme trois pommes et droite comme un i qui lui ouvrit. Son visage où les rides commençaient à s’installer et ses cheveux poivre et sel, attachés en un chignon plus pratique qu’esthétique, lui donnaient au moins une soixantaine d’années ; pourtant ses yeux noirs, puissants et sévères trahissaient encore une énergie inarrêtable. Elle portait ce jour-là un tablier de toile cirée dont les poches étaient garnies d’outils de jardinage sur une simple robe en laine rembourrée blanche, ainsi qu’une peau de renard en guise d’écharpe dont les yeux semblaient juger l’adolescente. Aucun bijoux ou signe extérieur de richesse ne parait sa tenue, exception faite du pommeau d’or en forme de serpent, avec des diamants incrustés dans les yeux, qui décorait le haut de sa canne en ébène. Quand elle répondit, sa voix était aussi rocailleuse qu’acide.
“Et tu es qui, gamine ?”
“Je m'appelle Rita Tengin - Edin se redressa et fixa ses yeux droit devant elle, loin au-dessus de ceux de la mage. Si elle l’avait dévisagée, ça aurait été trop irrespectueux, et elle n’aurait pas eu la force de mentir en soutenant l’intensité dévorante de son regard d’obsidienne - madame, j’ai dix-sept ans.”
“Mouais.”
La vieille femme descendit d’un pas lent la marche qui séparait l’intérieur de sa maisonnette de l’herbe extérieure puis se tourna pour saisir la poignée de la porte.
“Et pourquoi souhaites-tu devenir mon apprentie ?”
Edin inspira profondément.
“Parce que vous êtes la seule qui pourrait accepter de prendre une roturière comme apprentie. Les autres mages s’installent en ville et ne font rien tant que personne n’achète leurs services, ils voient la magie comme un commerce et ne s’intéressent qu’aux clients fortunés. Vous êtes la seule dans la région à être proactive dans votre pratique et à vous aventurer si loin des grandes cités, à être considérée comme proche des gens. Alors - sa voix faiblit un peu, elle marqua un instant d’hésitation, et failli ne rien dire. Elle avait réfléchi tout ça, elle l’avait calculé, mais maintenant qu’elle mettait les mots dessus, est-ce que ce n’était pas ridicule ? Déplacé ? Insultant ? Ou juste stupide et faux ? Son coeur accéléra encore - je me suis dit que vous étiez la plus susceptible de m’écouter.”
Le claquement sec de la porte la fit sursauter. Illina, toujours sans lui faire face, sortit un trousseau de sa poche et passa les clés en revue une par une.
“Déjà plus honnête, et tu as bien fait tes recherches, mais ce n’était pas ma question. Pourquoi souhaites-tu apprendre la magie ?”
Oh. Bien sûr, c’était ça le sujet intéressant. Pourquoi cette décision étrange de poursuivre un but hors d’atteinte. Mais aucun soucis, pas besoin de se sentir stupide pour si peu, répéta Edin dans sa tête. Elle avait tout prévu, elle avait un mensonge pour ça aussi. Aucune raison de ressentir la peur qui lui tordait les tripes en cet instant.
“Je veux que les gens me traitent avec respect. Qu’en me regardant, ils voient mon titre et mes accomplissements avant de voir ma difformité, et qu’ils soient obligés de reconnaître ma valeur au lieu de me rejeter seulement pour mon apparence.”
“Décidément, tu ne sais pas mentir, ma grande - Illina trouva finalement la clé qui l’intéressait et l’inséra dans la serrure - mais c’est tant mieux, je suppose. Si tes motivations étaient vraiment aussi superficielles, je t’aurais renvoyée chez toi avec de sacrément cuisant souvenirs.”
Cette fois, le cœur de l’adolescente se figea. Que devait-elle comprendre ? La mage avait lu à travers ses mensonges sans aucune difficulté, malgré tous ses efforts ! Aucune chance que la mage l’accepte après ça. Et elle n’allait pas la renvoyer, donc ? Qu’est-ce qu’Illina voulait dire ? Pourquoi ne pouvait-elle pas parler simplement ?
14 commentaires
Sand Canavaggia
-
Il y a 5 mois
Romain Jankowski
-
Il y a 5 mois
Leo Degal
-
Il y a 5 mois
Mary Lev
-
Il y a 5 mois
Mary Lev
-
Il y a 5 mois