Fyctia

Nouvelle surprise. Décidément, elle ne les comprenait pas.

“Ce que je veux savoir ?”

“Eh bien oui. - Tobial acquiesça - Tu n’as pas aimé d’être interrogée comme ça, c’est bien ça ?”

“Mais si tu nous interroge avant - Soene posa une main sur sa hanche - alors nous nous retrouverons à égalité, et tout ira bien.

“Donc à toi de commencer.”

Elle porta une main dans sa nuque et soupira. Elle n’avait rien à leur demander, elle. Elle n’avait pas prévu de se faire des amis, et certainement pas comme ça. Mais c’était peut-être sa première occasion.

“Alors, euh - elle chercha ses mots, balaya la rue du regard en quête d’idée - Et vous ? D’où vous venez, et pourquoi est-ce que vous voulez apprendre la magie ?”

Ils la fixèrent. Ils échangèrent un regard. Puis ils la fixèrent à nouveau.

“Nous venons de Learmuil.”

“Comme tous les De Furtureü.”

“Tu n’as jamais entendu parler de nous ?”

Elle secoua la tête. C’était la première fois qu’elle entendait ce nom.

“Et le Chevalier d’Acier ?”

“Ah - elle tendit le doigt dans la direction de Tobial - ça je connais ! Le protecteur du nord !”

Même dans un village aussi loin au sud qu’Osmian, l’histoire du héros qui avait tenu seul la frontière nord face à une armée d’envahisseurs barbares était célèbre. Les ménestrels de passage chantaient sa légende contre quelques pièces à l’auberge de sa mère. Un champion, haut comme deux hommes, invaincu au combat, capable de tourner un pic de glace ou un banc abandonné en arme mortelle, qui jamais ne courbe l’échine ni ne plie le genoux. Pourtant, le titre fit rire les jumeaux.

“Il ne protège plus grand chose maintenant - gloussa Tobial - c’est à peine s’il se lève de son fauteuil !”

“Par contre - reprit Soene - père dit qu’il hurle toujours aussi fort qu’à l’époque !”

“C’est notre grand-père, et la forteresse qu’il a défendu à Learmuil est notre maison.”

“Encore aujourd’hui, c’est un champ de bataille permanent ! Chaque été, quand la neige fond et que la terre est meuble, des pillards tentent d’attaquer notre belle cité.”

“Ou de la contourner pour s’en prendre aux villages moins protégés. C’est maintenant à notre cher père de mener les troupes pour les arrêter, et ce sera un jour à nous.”

“Malheureusement - Soene agita ses bras malingres, imité par son frère - nous n’avons ni talent pour le maniement des armes, ni la carrure adaptée au port d’une armure. La honte de la famille.”

“Le moins que nous pouvons faire - Tobial serra un poing déterminé devant son visage, puis le dressa vers le ciel - est de défendre notre maison d’une autre façon. Et la magie est un outil bien plus adapté à nos esprits affûtés !”

“Des sortilèges dévastateurs pour faire pleuvoir le feu sur nos ennemis !”

“De sombres formules pour nous insinuer dans leurs esprits !”

“Des incantations capables de lever des forteresses depuis les profondeurs du sol en un instant !”

“Des enchantements qui nous dissimulent aux yeux de tous !”

Portés par leur enthousiasme, ils rivalisèrent de postures farfelues sous les regards pleins de jugement des passants, avant de se calmer aussi vite qu’ils avaient commencé.

“Malheureusement, le seul mage de Learmuil est un hospitalier, un expert en magie de guérison.”

“Il a pu nous enseigner les bases, mais il remet désormais notre formation entre des mains expertes.”

“Et voilà la version courte de notre histoire.”

“Merci, cher public, pour votre attention.”

Et ils se fendirent d’une révérence parfaitement synchronisée. Malgré l’apparente désinvolture des deux nordiques, Edin devinait l’intensité de leur détermination. Ils étaient des indésirables, rejetés par les leurs, qui cherchaient dans la magie un moyen d’améliorer leur vie. Une histoire avec laquelle elle était familière.

“Et toi, alors ?”

“Clairement tu aurais la force nécessaire pour faire une grande guerrière !”

“Ou n’importe quel travail plus accessible que Mage, comme menuisière, bâtisseuse…”

“Pourquoi la magie ?”

Un fin sourire souleva le coin de ses lèvres. Ce n’était pas la première fois qu’on lui posait cette question.

“Eh bien…”