Fyctia
20(1).
À l’aube, Eliott dort enfin. Héloïse profite de la table de la salle à manger pour s’étaler et reprendre son enquête.
Une journée pour prouver que Gal a été assassiné, rassembler les informations indispensables à envoyer à la police, qui n’a toujours pas répondu à son email.
Elle peut y arriver.
Gal travaillait sur la mort d’Horatio Miller, d’où le nouveau dossier Canada. Un journaliste tendance activiste, qui s’intéressait avant tout aux énergies fossiles et à l’agroalimentaire. Qui n’avait pas que des amis, loin de là, si on doit en croire les six procès en huit ans qui sont listés sur sa page Wikipédia. Jamais condamné, cela dit, ce qui explique peut-être le recours à une méthode radicale pour le faire taire.
Si le dossier Canada est vide, c'est soit qu’il n’a jamais rien contenu, soit qu'on l’a nettoyé. Gal ou quelqu'un autre, mais Héloïse pense que personne n'a eu accès à son ordinateur avant elle. Et si c’est Gal lui-même, la version de Daniel gagne en force : il a réalisé qu’il s’était trompé et a tout jeté. Rien dans la poubelle, cependant, qui n’est pourtant pas dépourvue de fichiers divers. Héloïse parie sur un dossier resté vierge, et un carnet Moleskine bien rempli, première étape avant le traitement de texte.
Quelqu’un a mis Gal sur le cas Miller lors de la soirée du Vancouver Post. Héloïse devine que Vera n’a fourni aucun nom : c’est probablement elle qui a découragé Eliott. De toute façon, elle ne va pas le réveiller pour lui poser la question, il refusera de l’aider.
Elle attrape le téléphone de Gal et ouvre Instagram.
#vancouverpostawards
Des costumes, des robes, des jeans, des baskets, des escarpins cirés, une faune mélangée, des cocktails, du champagne, des canapés et des verrines. L’ampleur du scrolling nécessaire lui donne le tournis. Elle repose le téléphone, va se servir un deuxième café, revient s’asseoir.
Le feed du journal lui-même reprend les vainqueurs, des vidéos courtes, quelques portraits saisis au vol, en cours de soirée. Héloïse scrute les photos à la recherche d’une tête blonde, en arrière-plan, sans succès. Elle découvre qu’un prix Horatio Miller a été décerné à un groupe de citoyens qui se sont mobilisés pour protéger une zone marécageuse dans l’est de la province. Le discours de leur représentante, une jeune femme squamish, est emprunt d’un militantisme informé qui aurait plu à Gal. Mais ce qui intéresse Héloïse, c’est la personne qui a remis la récompense.
Héloïse se tourne vers l’ordinateur et YouTube, déniche la vidéo complète en quelques clics. Olivia Farrell, journaliste, une grande brune dans la cinquantaine. Avant d’annoncer le vainqueur, elle brosse le portrait de l’homme qui a inspiré ce prix, en quelques phrases précises et chaleureuses.
Héloïse écrit son nom sur un morceau de papier, puis reprend son examen des mille photos. Elle finit par trouver Gal et d’un seul coup, sans prévenir, c’est trop.
Elle abandonne sa place, gagne la porte vitrée, l’ouvre et sort dans le jardin. Trois pas sur le gravier clair, une main sur la bouche pour s’empêcher de crier, les yeux dans le ciel, fermés par la pluie, le cœur qui pulse dans la gorge et les tempes.
Respirer.
Elle a vu son corps, pourtant, mais ce n’était plus lui, pas la même chose.
Qu’est-ce que tu fous, ma vieille ?
Si Gal a été tué parce qu’il enquêtait sur la mort d’Horatio Miller, ses assassins sont les mêmes que ceux du journaliste. Ce sont eux qu’elle devrait chercher et non pister les derniers déplacements de Gal. Ou cela revient-il en réalité au même ? Il a dû s’approcher d’eux, d’une manière ou d’une autre, trouver la preuve qui les a fait paniquer.
Aurait-il été assez bête pour traverser une rue, héler un inconnu et porter une accusation malicieuse ?
Elle ne peut même pas l’écarter. Gal et le bon droit, graine de superhéros, invulnérable. L’accident qui lui a massacré l’épaule l’avait à peine ralenti, malgré les recommandations du pédiatre, du kiné et de l’orthopédiste réunis.
Elle a revu tout ce qu’il y avait dans le tiroir, a fouiné dans l’appartement, retenu le téléphone, les tickets de caisse…
Elle pourrait tracer son parcours sur GoogleMaps.
Elle retourne à l’intérieur, laisse ses empreintes humides dans le salon, jusqu’à la table.
La chronologie des souches forme un itinéraire chahuté.
Un jeu de piste.
Héloïse a toujours détesté jouer en famille. Sa mère était mauvaise perdante, son père gagnait chaque fois, Gal se désintéressait de la partie au bout de vingt minutes et s’agitait sur sa chaise en espérant que ça se termine, quand il ne trouvait pas un prétexte pour filer.
Les choses sont différentes en solo, quand elle maîtrise le rythme et la méthode. Elle parvient à se concentrer, aiguillée par l’adrénaline, la fièvre.
Trois tickets concernent le quartier de l’université, trois autres, les commerces de Broadway, à quelques pas de l’appartement, les cinq dernières se distribuent ailleurs dans Vancouver. Un restaurant à Granville Island, la petite enclave touristique du centre-ville, le livre dystopique à l’Indigo de Downton, un café dans Stanley Park, un autre à West Vancouver, non loin du Capilano Bridge, une entrée au Jardin Botanique Van Dusen.
Il en manque, bien sûr. Gal ne gardait pas volontairement ses souches, il oubliait juste de les jeter.
West Vancouver le 27. La date d’anniversaire de la mort d’Horatio Miller, elle le note, trois jours après le gala.
Stanley Park le 30.
Le Van Dusen le 3 novembre.
Granville Island le 7.
Indigo le 12.
Héloïse regarde le tracé sur la carte et rit d’elle-même. Qu’espérait-elle ? Une illumination, un symbole magique, un message caché ?
Elle revient au 27. Sur la souche, Gal a dessiné des arbres, une myriade d’arbres. Celle du Van Dusen s’orne d’un personnage à vélo.
Mais il est désormais neuf heures trente, elle abandonne l’appartement.
En cheminant vers la bibliothèque publique, elle s’interroge. Est-ce que les gribouillis ont le moindre rapport avec ce qui l’amenait dans ces endroits, ou bien trahissent-ils au contraire ce qui le travaillait pendant qu’il devait faire autre chose ? Pourquoi dessiner sur la souche, s’il avait son cahier ? Devrait-elle les aligner pour voir s’ils forment une petite histoire ?
N’importe quoi.
Les portes automatiques de la bibliothèque s’ouvrent, elle franchit le sas, pénètre dans la vaste salle. Derrière sa vitre, la préposée lui prête à peine attention, Héloïse oblique vers les ordinateurs en accès libre. Sans carte de membre, elle ne pourra consulter que les archives publiques, mais c’est ce qu’elle cherche : les journaux scannés, une simple vérification.
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Alsid Kaluende
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