Leo Degal Par vent couvert 18(2).

18(2).

— Tu as entendu parler d’Horatio Miller, le journaliste ? demande Héloïse.


Surpris, Daniel opine du chef et termine d’avaler ce qu’il a en bouche.


— Bien sûr. Tout le monde, dans notre branche, le connait. C’était un spécialiste des questions environnementales, et un habitué de notre institut. Pourquoi ?

— Je pense que Gal travaillait sur sa mort, au moment… de la sienne.


Daniel fronce les sourcils. Elle sait ce qu’il va dire, la même chose qu’Eliott, quelques heures plus tôt, quand elle l’a arraché au sommeil.


Et ça ne manque pas.


— Mais Miller est mort dans un accident. Gal s’intéressait à des meurtres.


Elle s’éclaircit la gorge.


— Est-ce qu’on est sûr qu’il s’agissait d’un accident ?


Le jeune homme hausse les épaules, un sourire bref lui frôle les lèvres.


— Il y a eu des théories, à l’époque… mais elles ne reposaient sur rien.


Il compte sur ses doigts.


— C’était la nuit, le temps était particulièrement maussade, la rue très en pente, il y avait des feuilles mortes plein les caniveaux… À quelques jours d’Halloween, la maison à l’intersection où ça s’est produit avait fait dans la surenchère au niveau de la déco. Alors, peu de visibilité, une route glissante, un squelette qui s’anime soudain en poussant un rire sardonique… D’autant que Miller était un piètre cycliste. Il s’y était mis seulement quelques mois plus tôt, après qu’on l’ait attaqué sur Twitter.

— Quel genre d’attaques ?

— L’industrie automobile et les lobbies de conducteurs étaient parmi ses cibles favorites. Or, s’il se déplaçait principalement en transports en commun, il utilisait aussi Modo.


Elle secoue la tête, il embraie.


— C’est un système de partage de voitures très populaire. Il y a des véhicules à tous les coins de rue, on les réserve via une application, le prix est modique, c’est la solution de facilité pour les usagers occasionnels. Évidemment, ses détracteurs ne l’ont pas loupé, et il s’était mis au vélo pendant l’été.

— Mais il savait sûrement rouler à vélo… Tout le monde sait rouler à vélo.

— Oui, mais Vancouver est une ville dangereuse pour les cyclistes, une des pires du Canada, et Miller n’était pas très bon, il avait des soucis d’équilibre… ou de psychomotricité, je ne sais pas exactement. Depuis qu’il était enfant. Les conditions étaient pourries, il a dérapé, le bus arrivait justement, et c’était terminé.

— Tu m’as l’air drôlement au courant.


Contrairement à Eliott, qui n’a rien pu lui raconter de plus que ce qui figure sur la page Wikipédia : « décédé dans un accident de vélo ».


— Comme je l’ai dit, il venait régulièrement à l’institut, alors quand il est mort, tout le monde en a parlé. Il assistait souvent aux séminaires, et il connaissait bien pas mal de professeurs, notamment Heresford. Je crois qu’il avait failli faire une thèse, en son temps, et puis il avait préféré le terrain.

— Gal savait tout ça, lui aussi ?

— Je ne pense pas. Ça s’est passé quelques mois après son arrivée. Gal… c’était encore le petit nouveau, à ce moment-là, il prenait ses marques… et il n’avait jamais entendu parler d’Horatio Miller, contrairement à nous tous. En plus, Gal, quand un sujet ne l’intéressait pas…

— Il n’écoutait rien, c’est vrai.


Elle soupire, croise les bras. Daniel parait toujours soucieux.


— Pourquoi tu penses qu’il travaillait là-dessus ?

— C’est ce qu’on a vu dans son historique de navigation.


Mensonge. En réalité, ils n’ont absolument rien trouvé sur l’ordinateur. Une douzaine de « Miller », scientifiques et politiciens, cités dans des articles téléchargés, et aucun « Horatio ». Rien en lien avec les coupures de journaux disparues, dans aucun recoin du disque dur presque saturé. Mais expliquer à Daniel toutes les turpitudes des derniers jours parait ridicule. Il en rirait, ou s’en inquiéterait, et Héloïse n’est pas d’humeur à se justifier.


— Curieux, franchement, murmure Daniel. Je ne vois pas pourquoi il aurait songé à Miller. C’est une affaire classée.

— Et si quelqu’un l’avait approché avec de nouvelles informations ? Des preuves ?


Daniel grimace.


— Je voudrais dire que c’est absurde… mais c’est le genre de choses que Gal aurait pu… croire, oui. Un accident qui cache en réalité un meurtre. Mélodramatique, mais Gal aimait ça, le spectacle.


Héloïse encaisse sans broncher. L’écho est assourdissant, son cœur bat la chamade. Pour se donner contenance, elle boit une gorgée de son mocktail Matcha Lychee, le froid la fait frémir.


— Et ça colle avec ce qu’il cherchait. Une affaire rien qu’à lui, l’occasion d’une révélation fracassante… Oui, je peux deviner ce qu’il y a vu.

— Mais tu penses qu’il s’est emballé sur un mirage.


Daniel ne répond pas tout de suite, embarrassé. Il n’a pas besoin de le verbaliser, elle l’a compris. Les traits du jeune homme se tendent soudain, la gêne cède la place à la colère.


— Le con qui lui a fait croire qu’il y avait un truc à creuser dans cette affaire… Il a des comptes à rendre, en tout cas !


L’envolée furieuse fige Héloïse.


— S’il a réalisé qu’il s’était donné à fond pour un mensonge, qu’il risquait d’y perdre Eliott… Merde, pourquoi il n’a rien dit…


Daniel plonge la tête entre ses paumes, Héloïse regarde la ligne de ses épaules trembler. Il parait soudain tendu à s’en rompre, animé par des émotions virulentes. Elle se reconnait dans cette brusque rage, ne fait pas un mouvement. Il s’apaise peu à peu, au prix de longues respirations hachées.


Héloïse n’est pas certaine de savoir exactement la conclusion à laquelle il est arrivé. Est-ce que Gal a pris du fentanyl pour gérer la douleur, le stress et la honte d’avoir tout misé sur une illusion ?


Un accident qui dissimule un meurtre.


Un accident tout court.


De vélo, de parcours.


Héloïse lui frôle le coude, Daniel sursaute et libère son visage empourpré.


— On voudrait organiser une petite cérémonie samedi matin, murmure-t-elle. On ne sait pas encore où. Eliott pensait que tu aurais peut-être une idée.


Il acquiesce vivement.


— Au Nitobe.


Le jardin japonais de l’université, une oasis de tranquillité. Daniel n’a pas hésité une seule seconde, il y avait déjà songé.


— Il est fermé en cette saison, non ?

— Pas tous les jours. Mais peu importe. Je connais les gens qui le gèrent. Je nous obtiendrai un accès privé, samedi matin, sans problème. Gal adorait cet endroit. C’est approprié. On peut dire vers onze heures… et on irait manger ensuite, tous ensemble. Au Wildlight Kitchen, par exemple, c’est un excellent restaurant, je peux réserver une table…


Il s’interrompt.


— Pardon, je m’emballe…

— Et c’est très bien, le rassure-t-elle. Ni moi ni Eliott n’avons l’énergie pour ça. Si tu peux te charger de l’organiser, de prévenir les gens… Ce serait formidable.


Elle le pense vraiment. Elle n’a aucune envie de préparer cette cérémonie, ni d’y être, en réalité. Cette célébration est pour les Vancouverites. Elle la leur abandonne.


— Alors je m’en occupe volontiers.


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65

65 commentaires

Alsid Kaluende

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Il y a 7 jours

👍

Mary Lev

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Il y a 24 jours

On va en apprendre plus j’imagine lors de cette cérémonie. J’espère que c’est pas Tommy qui a buté Tib 😂

Leo Degal

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Il y a 14 jours

Je n'oserais pas, voyons 🤣

Gottesmann Pascal

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Il y a 24 jours

J'espère, comme tout le monde, que Tib est en vie. En tout cas sa maladresse à vélo je la comprend complètement parce que c'est la mienne. L'enquête avance plutôt bien. J'espère que la vérité sera bientôt connue.

Leo Degal

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Il y a 24 jours

En vie ? Mais il est mort ! Il faut lire 8P pour le trouver en vie 😂

Merle Hewitt

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Il y a 25 jours

J'espère bien que tu n'as pas tué le Tib de cet univers juste pour faire une fausse piste, mais je ne sais plus à quoi m'attendre alors je ne vais faire aucun pronostic ^^

Leo Degal

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Il y a 24 jours

Un jardinier ne parle jamais car il pourrait changer d'avis.

Mapetiteplume

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Il y a 25 jours

Me voilà a jour. Coup de pouce pour les gens qui m'ont donné un coup de pouce😍 Bon courage pour cette fin de concours

Leo Degal

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Il y a 24 jours

Merci ! Désolée de ne pas t'avoir lue, mais... dur dur, comme d'habitude ! Bonne continuation à toi !

Mapetiteplume

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Il y a 24 jours

Tu n'as pas a d'excuser de quoi que ce soi tout le monde est deborder🤣merci deja de me soutenir ☺️
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