Fyctia
15.
Héloïse musarde dans l’appartement désert. Eliott est sorti au ravitaillement, il avait besoin d’air, elle n’a pas cherché à l’en dissuader. Elle a hésité à lui confier la bombe à ours, avant de renoncer.
Quand ils ont atteint le Cloud, ils n’ont pas trouvé signe du téléphone de Gal – une disparition délibérée, car Eliott a confirmé qu’il se servait souvent de la localisation pour retrouver l’appareil égaré dans leur trois-pièces – mais sa dernière sauvegarde était disponible. Pour y accéder, Héloïse a proposé d’effacer momentanément le contenu de son propre téléphone, et à présent, elle attend, surveille la barre de téléchargement qui progresse à une lenteur scandaleuse.
La perte des carnets de Gal inquiète Héloïse. Même sans les avoir feuilletés, elle devine qu’il y a transféré ce qui décorait autrefois des pages et des pages de papier quadrillé, le fruit de ses élucubrations.
Bribes de chanson, plans machiavéliques, cartes de pays imaginaires, mindmaps à la sauce foisonnante. Des projets, des rêveries, des citations sur le sens de la vie. Des idées de cadeaux, de destinations de vacances, de mods pour un jeu, de produits révolutionnaires qui le rendraient riche.
Peut-être, quelque part, l’adresse d’un contact, des données précieuses, une piste, des indices, un secret qui ne doit pas être révélé.
Tout ceci est absurde. Pourquoi aurait-on tué Gal ? Elle délire, espère trouver une explication derrière l’inacceptable.
Eliott revient avec deux sacs en papier du supermarché voisin, d’où dépassent entre autres un butternut et une boîte de céréales. Héloïse l’aide à vider et ranger la nourriture. Dans un des placards, elle découvre un empilement d’une vingtaine de paquets de nouilles lyophilisées, aux goûts divers et extravagants.
— Tu cuisinais souvent ? demande-t-elle.
— Quatre ou cinq fois par semaine. J’essayais, du moins.
Elle acquiesce. Vancouver offre une infinité d’opportunités de malbouffe, à côté de quelques épiceries bio et cafés branchés aux menus hors de prix.
Un son électronique les rappelle vers la table basse. Le transfert de données est terminé. Héloïse récupère le téléphone, désormais clone de celui de son frère. Comme l’ordinateur, il révèle un foutoir d’applications, reflet de téléchargements anarchiques, sur un coup de tête, un besoin éphémère, une envie subite. Héloïse identifie quelques symboles, puis tend l’appareil à Eliott.
— Je propose que tu regardes toi.
Il ne proteste pas, malgré son embarras manifeste. Tandis qu’il reprend sa place dans le divan, Héloïse s’attèle à leur préparer un souper convenable.
Le silence s’installe, martelé par la pluie.
Au début, Héloïse guette une réaction d’Eliott, puis sa vigilance s’étiole et s’assoupit. Elle coupe des oignons, des champignons, fait revenir du lard à la poêle, observe l’eau frémir dans la casserole. Gestes ordinaires, répétés, même si elle cuisine peu pour elle-même, comme nombre de célibataires.
Ils mangent en silence, sur un bout de table, lorsqu’une sonnerie retentit. Ils lèvent les yeux de concert, restent figés. Le son, strident, résonne une seconde fois.
— Tu attends quelqu’un ? murmure Héloïse.
— Non.
Le téléphone d’Eliott couine, s’illumine un instant.
— C’est Vera.
La porte s’ouvre sur une petite femme dans un imperméable chamarré. Les cheveux coupés court, noir de jais, elle attrape aussitôt Eliott dans une longue étreinte, avant de le repousser à bout de bras.
— Réponds aux messages, tu veux bien ? lui reproche-t-elle. Je n’ai pas le cœur pour ces conneries.
Le rouquin recule et tend la main vers Héloïse, qui est restée dans le salon. Vera se tourne, fronce les sourcils, suspicieuse, puis écarquille des yeux soulignés de noir.
— Héloïse, voici Vera, Vera, Héloïse. La sœur de Gal.
Vera traverse la pièce et vient offrir une accolade à Héloïse, qui s’exécute un peu mécaniquement.
— Je suis désolée, tellement désolée, lui glisse Vera.
Elle lui sourit entre ses larmes.
— Mais je suis soulagée de voir que vous n’êtes pas seuls, tous les deux. Je me suis beaucoup inquiétée.
Elle retourne vers Eliott.
— Tu aurais pu me dire que tu avais de la compagnie. Ça prenait trois minutes. Et je n’aurais pas traversé toute la ville pour venir vérifier comment tu allais.
Il hausse les épaules, elle secoue la tête.
— Comment ça se passe, alors ?
Eliott l’entraîne vers le divan, tandis qu’Héloïse s’écarte. L’ordinateur portable est resté sur la table, fermé, sous quelques journaux hâtivement empilés. Héloïse aurait préféré une meilleure cachette, mais quand elle a fait mine d’emporter la machine, Eliott lui a jeté un coup d’œil stupéfait. Elle s’est conformée à ses directives. Elle ne sait rien des gens d’ici, elle se méfie de tous, ce qui est probablement stupide.
Vera et Eliott s’immobilisent devant la cheminée, face au rouleau en carton avec sa photo de forêt en hiver. La jeune femme semble interdite, Eliott finit par approcher la main de l’urne, mais sans la toucher.
— Ce sont ses cendres, murmure-t-il.
— Oh.
Vera reste silencieuse, passe un bras autour de la taille d’Eliott, qui l’imite et pose la tête sur le sommet de son crâne. Héloïse se sent voyeuse, un instant, de leur étreinte, et bat en retraite dans la chambre. Ce qu’ils ont à échanger ne la regarde pas.
Elle s’assied sur le lit, presse les paumes contre ses orbites.
Si fatiguée, si vide, si fébrile.
Elle finit par s’allonger et ferme les yeux. Elle essaie de récapituler ce qui ne fait aucun doute.
Gal est mort d’une overdose de fentanyl dans les toilettes d’un bar.
Daniel l’a trouvé, Eliott avait l’antidote avec lui, c'était l'anniversaire de Vera.
Gal était très enthousiaste depuis la soirée de gala du Vancouver Post. Il a créé un dossier Canada dans sa thèse, qui demeure vide. Ses carnets ont disparu.
Voler un ordinateur, un téléphone, soit, c’est ordinaire, mais pour voler les carnets, il fallait savoir ce qu’ils renfermaient, l’importance qu’ils avaient pour Gal. Pour ça, il fallait le connaître. Ou connaître quelqu’un qui le connaissait. Ou simplement l’avoir observé, un jour, dans un café, un bus, sur un banc dans un parc. S’il s’en servait comme leur père, en extension de son esprit. Décharger la tempête, une tentative de la déplacer, même si la structure demeurait fuyante sur papier.
Papiers.
Elle en a plein ce sac qu’elle a récupéré dans son tiroir, le matin même, à l’université.
Mais ce butin prometteur est resté dans la pièce voisine, où Eliott et Vera murmurent. Alors Héloïse soupire puis s’endort.
47 commentaires
Alsid Kaluende
-
Il y a 7 jours
Eléanor Le Chardonneret
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois
Merle Hewitt
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois
Nicolasm59
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois
Mary Lev
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois
Gottesmann Pascal
-
Il y a un mois