Fyctia
14.
Tandis qu’Eliott examine la boîte mail de Gal, Héloïse envoie quelques messages vers la Belgique. Son vol pour Bruxelles via Francfort décolle le dimanche soir, soit dans quatre jours. Poser plus d’une semaine, à l’improviste, dans son champ d’activités, est compliqué. Sa stagiaire et ses collègues peuvent suppléer un moment, mais la relation thérapeutique avec chaque patient en s’improvise pas. La culpabilité, toujours, l’embrase, de les avoir abandonnés.
Si tu étais gravement malade, ils devraient gérer. Ou en congé de maternité. Ou morte.
C’est vrai. Ils se débrouilleraient. Elle n’est pas en train de tricher. Une petite semaine, ce n’est rien.
Ça reste difficile.
Du coup, elle prend quelques nouvelles, même s’il est presque minuit au Plat Pays. Elle en donne, aussi, à Tam, qui s’inquiète de son transfert d’adresse cryptique.
Bien sûr que c’est Gal, qui d’autre.
Elle recule vers le divan.
— Tu trouves quelque chose ?
— Non. Il s’en servait comme d’une sorte de… dépotoir commercial, j’ai l’impression. Des notifications de chaînes YouTube. Des billets électroniques pour diverses compétitions sportives ou des concerts. Des newsletters de marques diverses, des mails de confirmation… Rien de professionnel et rien de spécial autour du 24 octobre. Mais ça ne me surprend pas. Il communiquait surtout via Instagram et WhatsApp, parfois Snapchat, avec certains.
— On n’a pas essayé le Cloud. Voir si on peut récupérer le contenu de son téléphone.
Elle reprend la machine, se connecte, se retrouve coincée au moment où le portable exige son empreinte digitale. Face à une nouvelle demande de mot de passe, elle est forcée de se creuser la cervelle. C’est le fameux obstacle dont parlaient les doctorants le matin même, l’accès réservé au sanctuaire sacré, que la firme consentira peut-être à leur livrer, dans trois semaines, s’ils montrent patte blanche.
Elle part dimanche.
— Il a pu utiliser le même que pour sa session ? propose Eliott.
— J’en doute, murmure Héloïse. Il a dû mettre une phrase qu’il a aussitôt oubliée.
Elle tente quand même le mot de passe général, puis le répète en miroir. Chaque fois, la fenêtre vibre, chaque fois, le risque de blocage augmente.
Les carnets Moleskine ont disparu, le dossier Canada est vide. Il a rencontré quelqu’un à ce gala du Vancouver Post. Il faut qu’ils réfléchissent avant de faire n’importe quoi.
— Est-ce que tu connais quelqu’un d’autre qui était à cette soirée, toi ?
Elliot se tapote la bouche d’un doigt.
— Hum… Peut-être son patron de thèse ? Aucune idée. Mais Vera devrait pouvoir nous renseigner.
Encore elle.
— Qui est Vera ?
— Une amie à moi. Nous avons fait nos études de littérature ensemble. Elle travaille pour l’association qui organise le Festival des Écrivains. Elle a sûrement des contacts dans l’équipe littéraire du Post. Mais ça ne veut pas dire que ces gens auront vu Gal lors de la soirée. C’est quand même un événement couru, on parle de plusieurs centaines de personnes.
Héloïse se lève et gagne le frigo, sur lequel elle a aperçu un paquet de Post-its et un stylo. Elle les décroche, son regard tombe sur le calendrier. Sous une estampe japonaise s'étalent l’écriture douteuse de Gal, le graphisme élégant d’Eliott, des rendez-vous divers, sorties, projets, dates butoirs.
Elle attrape le calendrier et revient d'une page en arrière, au mois d’octobre. Le Festival des Écrivains prend toute la place, du 21 au 27, on a colorié les cases dans un violet tapageur. Eliott n’a rien inscrit, sans doute parce qu’il était indisponible de l’aube à la nuit, mais Gal a laissé ses pattes de mouche ici et là.
V. P. Aw. le 24.
Autre chose, le 26, qui tient en trois lettres. DIY pour do-it-yourself ? Un passage au magasin de bricolage ? Le jour de l’intervention d’Eliott ? Peu probable mais possible.
Héloïse emporte le tout jusqu’à la table basse, avant de réaliser qu’elle a oublié le plus important, l’ébauche d’une liste.
Elle prend un premier Post-it.
Appeler Vera pour avoir un contact à la soirée du Post.
L’écrire l’emplit d’une sorte de lassitude immédiate. Cela semble si… tiré par les cheveux.
Eliott a ouvert un texte sur l’ordinateur et remonte une table des matières.
— C’est la thèse ?
— Oui. Mais il n’a pas touché à ce document depuis le 21 octobre. Il n’y a pas de mention du Canada.
Ce dossier vide, qui date de ce jour distant, les nargue. Quelqu’un a dû lui parler de quelque chose, pendant cette soirée. Mais en trois semaines, Gal n’y a rien mis. Pas un fichier.
Héloïse songe, mais c’est ridicule, que peut-être, le meurtre en question n’a pas encore eu lieu.
— Tout doit se trouver dans un de ses carnets, murmure Eliott.
— Regarde s’il a une liste de tous ses mots de passe, l’interrompt Héloïse.
Eliott secoue la tête.
— L’ordinateur les conserve en mémoire pour lui.
— Pas tous. Pas les anciens, ceux des versions précédentes, et pas celui du Cloud. Fais-moi confiance. Il a d'office un fichier avec ses mots de passe. Cherche Steam.
Peu convaincu, il s’exécute. Une fenêtre s’ouvre et lui propose un document texte intitulé Mots Doux.
Il clique.
Héloïse a vu juste, une liste de sites Internet et de mots de passe se déroule sous leurs yeux. Banque, mutuelle, plateformes de jeux, commerces. Puis un mot de passe solitaire, rajouté, sans indication sur son usage.
Eliottesttropmignon!42
Le principal intéressé vire au rouge écarlate. Héloïse lui sourit.
— Je te parie que ça a été « Héloïse est trop chiante » pendant un certain temps.
— Tu es sûre que c’est celui-là ? chuchote-t-il.
— Oui. Il n'a pas osé mettre à quoi il renvoyait, une précaution un peu idiote, vu tous les autres accès, mais bon…
Ils tentent.
Ça ne marche pas.
Héloïse grommelle. Elle était persuadée d’avoir vu juste, pourtant.
— Est-ce qu’il aurait pu dire autre chose de toi ? Que tu étais le plus subtil ? Le plus drôle ?
Eliott grimace.
— Je n’en sais rien, moi !
— Pas de mots doux entre vous ?
L’embarras du jeune homme noie à nouveau ses taches de rousseur.
— Pardon, c’était déplacé, murmure-t-elle.
Il secoue la tête pour lui signifier que tout va bien, mais elle le sent à deux doigts de basculer. Elle s’appuie contre son épaule.
— On peut arrêter, si tu préfères, offre-t-elle.
— Est-ce qu’on peut, vraiment ?
C’est une fausse question.
— Pour le moment, oui. On peut reprendre plus tard.
Il referme le portable, s'enfonce dans le dossier, face au feu ouvert éteint, à la pile de journaux qui a retrouvé sa place. Sans doute faudrait-il tous les jeter. Allumer une flambée, capable de chasser l’hiver qui s’étend avant l’heure.
— Qu’est-ce qu’on va faire, si on trouve quelque chose ? demande Eliott.
— Prévenir la police. Si on a du solide, ils nous écouteront.
Il acquiesce puis frissonne.
— Il me le disait en français.
— Quoi ?
— Il me disait en français, que j’étais mignon.
62 commentaires
Alsid Kaluende
-
Il y a 7 jours
Merle Hewitt
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois
Merle Hewitt
-
Il y a un mois
camillep
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois
Gottesmann Pascal
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois
Eléanor Le Chardonneret
-
Il y a un mois
Leo Degal
-
Il y a un mois