Fyctia
9.
L’arrivée du Vancouver Police Department interrompt la fouille informatique. Deux jeunes gens fatigués en parka sombre se présentent en quelques mots puis se mettent au travail. Eliott prend les devants, résume leur situation particulière : le propriétaire et le locataire officiels sont absents, ils ne sont que des invités. Il exhibe sa carte d’étudiant, Héloïse confie son passeport à la femme, la sergente S. Domingo. On les interroge ensuite, mais ils n’ont pas grand-chose à raconter. Eliott avoue qu’il n’a pas remarqué que quoi que ce soit ait disparu.
L’homme – un agent Y. Lee qui parait épuisé – sort et s’affaire un moment autour de la serrure, avant de s’éloigner dans le jardin, torche à la main. Il revient peu après : la porte qui donne sur l’allée arrière a été forcée, elle aussi, un chemin d’accès trop facile. L’absence de système de sécurité, de caméras, fait sourciller les policiers, mais ils ne se permettent pas de remarques désagréables. Ils confirment qu'ils contrôleront plus tard celles du quartier.
Leur expression change, cependant, lorsqu’ils apprennent que l’habitation principale est déserte depuis des mois, et que le rez-de-chaussée l’est depuis une semaine. L’agent Lee s’esquive à nouveau pour aller vérifier à l’étage, tandis que sa collègue termine de prendre des notes. Il redescend soulagé : pas d’effraction dans les hauteurs.
Classique, remarquent-ils. Des drogués qui guettent les maisons vides, cherchent du cash pour se payer leur dose, rapidement. Des bijoux, s’il y en a, parfois un téléphone, un ordinateur portable, mais c'est plus difficile à écouler et ils pensent généralement à très court terme. C’est le huitième incident dans le quartier sur la quinzaine, les patrouilles sont dépassées, les arrestations rares, les coupables souvent insolvables, parfois déjà morts de leur travers.
L’agent Lee leur confie une liste agréée de réparateurs de portes et serrures, leur conseille de ne pas tarder. La sergente Domingo leur transmet un numéro de dossier. Comme ils ne sont pas liés officiellement à ces lieux, ils ne peuvent pas porter plainte. Il faudra que le locataire s'en charge lui-même, ou le propriétaire, le cas échéant. On peut le faire en ligne, pour plus de facilité.
— Arthur est décédé, lâche alors Héloïse.
Les deux policiers la dévisagent, décontenancés. L’agent Lee reste figé, la sergente Domingo esquisse un sourire compatissant, de circonstance.
— Je suis navrée de l’apprendre… mais puisque vous êtes sa sœur, vous pouvez déposer plainte à sa place, dans ce cas.
Héloïse persévère, elle se fiche de ces aspects.
— Vous ne trouvez pas bizarre qu’on cambriole son appartement juste après sa mort ?
— Non, répond l’officière. Si l’appartement est vide depuis son décès, l’absence de lumière et de mouvement attire l’attention des criminels. Ça n’a malheureusement rien d’anormal. Ils ne sont pas censés savoir…
— Et s’ils le savaient, justement. S’ils cherchaient quelque chose ?
La policière fronce les sourcils. Héloïse sent la main d’Eliott lui attraper le bras. Un soutien ou une mise en garde ?
— Vous pensez que l’appartement a été cambriolé par des proches ? s’étonne la sergente.
— Comment est mort votre frère ?
La question brutale vient de l’agent Lee. Héloïse frémit sous son regard noir.
— De… heu… d’une overdose.
Les sourcils du jeune homme s’élèvent.
— Il devait de l’argent à son dealer ?
— Quoi ?
Héloïse est stupéfaite de la tournure que prend la conversation. Les doigts d’Eliott se crispent sur son poignet.
— Héloïse, souffle-t-il, éperdu.
— S’il devait de l’argent à son dealer, il a pu venir se servir, poursuit l’agent Lee, sans pitié. Est-ce qu’il conservait de la drogue ici ? Est-ce qu’il dealait, lui aussi ?
Domingo s’est tournée vers Eliott, poings sur les hanches.
— Non, non, il n’y avait pas de drogue ici, se défend l’étudiant. Ga-Arthur ne se droguait pas. C’est une overdose... inattendue...
Mais la policière semble peu convaincue et le rouquin grimace.
— Je vous jure. Il n’y a pas de drogue ici. Il n’y en a jamais eu. Il a pris… du fentanyl par mégarde… en ville…
L’attitude des agents s'est modifiée du tout au tout. Héloïse sent la fureur la saisir, mais Eliott se cramponne de plus en plus, lui transmet un message qu’elle ne peut plus ignorer.
— Si j’amène un chien ici, il ne va rien trouver ? demande la sergente, acide.
— Rien. Il n’y a jamais rien eu ici.
— S’il y avait quoi que ce soit, c’est parti, de toute façon, signale son collègue avec un haussement d’épaules.
— Vous croyez vraiment qu’on vous aurait appelés s’il y avait eu de la drogue dans les tiroirs ? intervient Héloïse, grinçante.
À ses côtés, Eliott soupire de confusion et noie son visage entre ses paumes. Le sergent Domingo, en revanche, lâche un petit rire sans joie.
— On ne pense plus toujours droit, quand la came vous a grillé la cervelle, remarque-t-elle. Mais ce n'est pas faux.
Petit miracle, la tension retombe. Domingo échange un regard avec son collègue. Ce dernier secoue la tête.
— Bon. Vous pouvez porter plainte en ligne, reprend l'officière, plus sérieuse, avec le numéro de dossier. Faites-le au plus vite, et envoyez copie à l'assureur dans les quarante-huit heures. Vérifiez d’abord qu’il ne manque rien.
Sur ces entrefaites, les agents ne s’attardent pas, et Héloïse reste en arrière, laissant le soin à Eliott de gérer leurs adieux. La colère bruisse toujours dans son organisme, cette accusation odieuse, le fentanyl caché quelque part. Ils n’ont rien écouté, rien compris, placé Gal dans une case, puis jugé et condamné.
Eliott reparait, la mine épuisée, contemple le désordre. Il est près de minuit, ils n’ont rien mangé, le chaos persiste, dans l’appartement comme dans leur esprit.
— Je ne sais pas si on parle comme ça à la police, en Belgique, mais ici… c’est quand même mieux de faire attention, ose-t-il finalement. Je ne serais qu'à moitié surpris qu'ils reviennent.
Héloïse opine sans vraiment l’écouter.
— Je vais leur envoyer un email, lâche-t-elle.
— Pardon, quoi ?
— Un email. À la cellule qui enquête sur la mort de Gal. Ce cambriolage, c’est un fait tangible, non ?
— Tu as entendu ce qu’ils ont dit. Que c’était fréquent dans le quartier. L’appartement est vide depuis des jours, la maison depuis des mois.
— Tu y es revenu, pourtant. Chaque nuit.
Il reste silencieux.
— C’est vrai.
— Alors cet appartement n’était pas vide. Je vais envoyer un email.
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Alsid Kaluende
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