Leo Degal Par vent couvert 5.

5.

L’appartement se révèle aussi triste que l’extérieur. Une vague odeur de moisi s’attarde. La lampe du corridor ne fonctionne pas.


Aucune trace de Gal, c’est toujours ça.


Eliott lui montre la salle de bain, la chambre presque vide. Tout respire le dénuement, la pauvreté, elle se sent soudain coupable qu’il lui ait offert un bubble tea. Il s’excuse pour les draps froissés, ne propose pas de les changer, puis bat en retraite dans le petit salon dépouillé.


Au-dehors, Vancouver a glissé dans la nuit, sans prévenir. Héloïse s’étend, regarde le plafond gris, l’ampoule dénudée, frissonne.


On dirait la planque d'un psychopathe, le clapier d’un paranoïaque, l’antre d’un dépressif, le squat d'un drogué.


Déformation professionnelle, se morigène-t-elle.


Quelques bouquins épars gisent sur les étagères, la poussière couvre l’appui de fenêtre, la vitre s’orne d’une magnifique fiente d’oiseau séchée, même le cactus est mort. Héloïse se redresse pour tirer les rideaux, tousse, regrette de ne pouvoir verrouiller la porte, puis retourne sur le lit.


Ses paupières s’alourdissent, elle lutte et guette les mouvements de son hôte. Si prévenant, si affable, alors qu’ils ne se connaissent pas.


Elle reprend son téléphone, improvise un petit message cryptique à destination d’une amie du Plat Pays, quelqu’un à qui elle aurait dû parler de la mort de Gal, mais qu’elle a gardé dans le noir, comme le reste du monde.


Pour ne pas qu’on s’apitoie, en vain, sur quelque chose d’irréparable.


Il sera temps, quand elle reviendra avec l’urne.


  • Si on me cherche, je suis au 27 Eagle Tree Road. Vancouver.


Et c’est tout.


Aucune chance que Tam s’inquiète, elle dort à poings fermés, le smartphone sur silencieux.


Héloïse sort la bombe anti-ours de son sac, la pose à côté d’elle sur l'oreiller, l’observe. Sur l’étiquette, l’animal a l’air plutôt sympa, un bisounours au poil sombre, stylisé, souriant de tous ses crocs.


Il ne faut pas se fier aux apparences, bien sûr.


Elle s’endort.




Puis s’éveille.


Il est seulement une heure du matin.


Le serial killer aux taches de rousseur ne l’a pas violée, éviscérée, jetée aux ordures. Une lumière pâle filtre sous la porte, son estomac gronde. Héloïse quitte la chambre et trouve Eliott dans le salon. Assis devant une télévision éteinte, il fixe le vide. Il ne semble pas surpris lorsqu’elle apparaît, échevelée, dans ses vêtements défraîchis.


— J’ai commandé des sushis.

— Ah... Combien je te dois ?


Il grimace, soupire, secoue la tête, puis se lève et gagne la cuisine. Il en ressort muni d’un grand sac en papier qu'il pose sur la table basse. Il aligne les contenants en carton les uns à côté des autres, des simples makis aux rolls improbables. Elle voudrait refuser son aumône, mais elle adore le riz vinaigré, le poisson cru et la sauce soja.


Ils craquent leurs baguettes, puis elle savoure. Un peu trop froid, la faute au frigo, Eliott l’attend sans doute depuis des heures.


Ce garçon est trop gentil, songe-t-elle. Ça cache fatalement quelque chose.


Ou alors rien. Juste la décence d’un étranger.


— Raconte-moi ce qui s’est passé.


Il s’essuie la bouche, acquiesce, sans chercher à se dérober.


— Il est sorti avec des amis. Pour boire un verre, rien d’extravagant. Il est descendu aux toilettes et… il n’est jamais remonté.


Sa voix flanche.


— Tu étais là ?

— Oui.


Et tu n’as rien fait, rien empêché.


Elle n’a plus l’énergie de l’apostropher.


Il passe une main nerveuse sur son visage.


— Et il n’a rien montré du tout ? Aucun signe ?

— Je te jure qu’il ne prenait rien, Héloïse. Un joint de temps en temps, même pas tous les jours, mais tout le monde fume, ici, c’est la norme, pourquoi s’en serait-il privé ?

— Il était déprimé.

— Non. Pas du tout. Au contraire. Il était dans une de ces phases radieuses où tout lui semblait possible.


Elle voit exactement ce dont il parle mais le fait taire d’un geste nerveux.


— Il a pris du fentanyl. C’est dans le rapport d’autopsie.

— Je sais qu’il a pris du fentanyl, j’étais là, bordel !


L’explosion subite la laisse médusée. Elle songe à la bombe anti-ours qu’elle a oubliée dans la chambre. Mais Eliott noie son visage entre ses paumes, reste muet, prostré, comme si ce brusque éclat l’avait vidé de toute son énergie.


— Ça doit être accidentel, souffle-t-il alors. Je ne vois pas d’autre explication. Il a cru qu’il prenait autre chose. Un médicament ordinaire.

— Des champignons en poudre ? Un cookie à l’herbe ? De l’ecstasy ? De la coke ? Une crasse quelconque qu’on se procure à n’importe quel coin de rue, dans cette ville pourrie ?


Il ne mord pas à l’hameçon.


— Sans doute simplement son antihistaminique. Ou un antidouleur basique.


Héloïse se fige.


— Et quoi ? Personne ne s’est posé la question ? De la provenance de cette merde ? Tu parlais d’un acupuncteur, non ? Est-ce qu’il lui aurait fourgué une petite pilule, de la corne de rhinocéros coupée au fentanyl, par exemple ?


Eliott la dévisage, stupéfait.


— Tu es en train d’accuser son acupuncteur de l’avoir empoisonné ?

— Ce n’est pas le premier qui mourrait d’une tisane aux herbes traditionnelles !

— C’est ridicule. Le docteur Yeng est renommé, ce n'est pas un charlatan qui vend des potions magiques ! C’est du racisme, ça, excuse-moi.


Mouchée, elle croise les bras, il se renfrogne.


— Une enquête est sûrement en cours, murmure-t-il. Mais des overdoses, il y en a tous les jours, ici. Et Gal avait le profil. Pourquoi s’intéresseraient-ils à la provenance de ce qu’il a pris ? On en vend à deux cents mètres de l’endroit où il est mort. Ils ont mieux à faire.

— Et toi ? Tu ne te poses pas la question ?

— À quoi ça me servirait, au juste ?

— À prouver qu’il ne s’est pas suicidé.

— Il ne s’est pas suicidé, ça, je le sais.


Le silence les étreint. Les larmes débordent, Héloïse les chasse.


— J’irai à l’hôpital, annonce-t-elle sèchement. Récupérer ses affaires. Je verrai ce que je peux trouver. À la police. Si quelqu’un a filé des aspirines frelatées à mon petit frère, je le saurai.


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66

66 commentaires

Alsid Kaluende

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Il y a 7 jours

👍

Océane Ginot

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Il y a 10 jours

J'aime le contraste entre la gentillesse d'Elliott et la peur qu'il inspire a Héloïse

camillep

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Il y a un mois

Ça y est l’enquête démarre. On comprend qu’elle soit frustrée de ne pas en savoir plus et d’avoir été loin de la vie de son petit frère

Leo Degal

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Il y a un mois

Il était insupportable, en même temps 🥲 mais l'enquête va démarrer... dans la mélancolie d'un automne à Vancouver... Ce ne sera jamais Speed, chez moi 😅

Mary Lev

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Il y a 2 mois

L’enquête commence !

Leo Degal

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Il y a 2 mois

Presque bientôt 😂

Merle Hewitt

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Il y a 2 mois

Ca devait fatalement continuer à la tarauder, sinon il n'y aurait pas d'histoire ! ^^ Le mystère commence à apparaître...

Leo Degal

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Il y a 2 mois

À son aise, c'est ma marque de fabrique je le crains 🙈

Merle Hewitt

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Il y a 2 mois

Je n'en attendais pas moi de ta part ^^

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 mois

Héloïse est bien décidée à découvrir la vérité et elle semble prête à tout. Sa détermination parait sans faille pour la mémoire de son frère.
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