Leo Degal Par vent couvert 1.

1.

Putain de bordel de merde, Gal. Putain de bordel. De merde.


Elle respire et ça fait mal, ses poumons chuintent, sifflent, et la souffrance, toute cette souffrance, secoue sa carcasse éreintée, elle voudrait s’arracher le cœur.


Elle titube, se raccroche au muret, s’assied sur un banc. Autour d’elle, les passants glissent dans la plus totale indifférence, une paumée de plus, comment s’en émouvoir, ils sont si nombreux ! Un regard de travers et c’est l’apostrophe, l’agression, personne ne s’y risque sauf ceux dont c’est le métier. Elle s’en fout. Elle ne les voit pas non plus.


À l’intérieur de la bâtisse qu’elle vient de quitter, tout le monde s’est montré prévenant, attentionné même, on lui a tout expliqué, lui a pointé où signer, des mains lui ont frôlé le bras, l’épaule, on lui a proposé un café, de l’eau, un petit biscuit enrobé de chocolat. Elle s’est efforcée de garder les yeux secs, de répondre aux sourires, même si tout ça était tellement mécanique, tellement inhumain. Des papiers.


Le corps.


Encore des papiers. Prospectus étalés sur une table en contreplaqué chêne. Elle a examiné le grain du faux bois, les récurrences trop régulières, qui ne rappellent en rien le chaos de la vie.


Bien trouvé, vu le cadre. Même les plantes sont en plastique.


Elle a fait confiance à la gentille dame, a choisi presque au hasard, sans regarder les photos, sans lire les promesses. A donné son numéro de téléphone. Pris les documents. À chaque étape, son anglais s’est dérouillé, malgré le stress, la fureur et le choc. Carte Visa, encore une signature, échange de mail.


Dans deux jours.


Puis on l’a poussée dehors. Ou alors peut-être pas. Peut-être qu’on l’a civilement raccompagnée jusqu’à la porte en lui demandant si elle était sûre que ça irait.


Oui, oui.


Que répondre d’autre ? Est-ce qu’ils ont un psy à demeure ?


Juste une boîte de mouchoirs décorée de fleurs rouges et mauves.


Elle appuie les paumes sur ses orbites, barrage contre le déferlement. Elle a envie de hurler plutôt que de pleurer, envie de griffer, de mordre, de frapper. Heureusement que personne ne s’arrête pour s’enquérir de son malheur, ça pourrait dégénérer.


Il fallait que ça arrive, après toutes ces heures de vol, à rester figée sous le poids de la stupeur. Elle essaie de se remémorer ce qu’elle a regardé dans l’avion, mais elle ne s’en souvient pas. De rien. Peut-être a-t-elle seulement fixé l’écran noir sur le dossier juste devant, prisonnière, paralysée, ailleurs.


Cherche, cherche, s’ordonne-t-elle en vain.


Peut-être simplement souhaité, de toutes ses forces, qu'ils se crashent.


Émerger d’un mauvais rêve.


Haha, tu as cru que c’était vrai ?


Elle aurait dû en parler, avant de partir. Prévenir quelqu’un. Mais parfois, prononcer quelque chose le crée. Tant qu’on ne dit rien, c’est comme si ça n’existait pas. Raconter aurait rendu l’impensable tangible, elle se serait effondrée, pour rien.


Pas le temps, pas le moment.


Elle a espéré, quelques heures trop courtes, qu’il y ait une erreur.


Une urgence familiale, je dois m'absenter une semaine.


Son chef de service a froncé les sourcils, puis acquiescé, débonnaire, sans chercher à en savoir plus.


Tant que vous arrangez ça avec vos collègues.


Ce qu’elle a fait. Entre deux portes, seule Esther a capté quelque chose.


Je parie que c’est Gal, de nouveau.


Héloïse a grimacé, haussé les épaules, repoussé le monstre qui lui dévorait les entrailles, et l’arrivée d’un patient curieux l’a sauvée de la débâcle. Elle a fermé son bureau, remonté le couloir, pris le train, retrouvé son foyer, fait son sac, gagné l’aéroport, passé les contrôles, grimpé dans l’avion et traversé le monde jusqu’au cauchemar.


De nouveau, plus jamais.






***




Bienvenue sur ma petite tentative de Polar Impact !


Ceci est un exercice de style, un challenge personnel, un entraînement, une envie... Difficile de savoir à ce stade où cela va me mener, mais vous êtes les bienvenus, si vous ne craignez pas les Polars de Jardinier...

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84

84 commentaires

Alsid Kaluende

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Il y a 7 jours

Et hop, voici un like d'encouragement, bonne chance pour le concours!

Blanche de Saint-Cyr

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Il y a 22 jours

J'avais complètement loupé ta participation ! Heureusement, il me reste deux semaines pour te lire. Le début commence triste mais réussi, on est directement dans l'empathie.

Ama12

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Il y a un mois

Un premier chapitre tellement immersif. L’alternance entre les souvenirs et le présent est bien menée je trouve que ton personnage est déjà très attachant

Leo Degal

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Il y a un mois

Merci beaucoup ! ❤️

Nicolasm59

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Il y a un mois

Je ne sais pas ce qu’est un polar de jardinier 😉mais j’apprècie beaucoup ce début. Nous vivons bien ce chaos dans la tête et je cœur d’Heloïse et le petit flash-back à la fin du chapitre améne un rythme qui donne envie de lire la suite

Leo Degal

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Il y a un mois

Merci ! Un polar de jardinier ça veut dire que mon intrigue est dessinée dans ses grandes lignes dans ma tête, mais que je n'ai pas micro-millimétré les différents rebondissements et étapes : je me laisse la liberté de bifurquer si mes personnages ou mes idées m'entraînent ailleurs... La surprise du lecteur est parfois la mienne, quelques heures plus tôt 😉

camillep

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Il y a 2 mois

J’aime beaucoup ce début et j’apprécie découvrir ta plume dans un nouveau registre. Finalement la 3PS au présent est fluide et c’est pas mal du tout !!

Leo Degal

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Il y a 2 mois

C'était déjà le cas dans TAS... Faut croire que je m'y fais, même si ça me fait écrire bizarrement... 😂 Merci de la lecture, Camille ❤️

Eva Boh & Le Mas de Gaïa

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Il y a 2 mois

On comprend bien qu'elle est pas arrivée à Disneyland... Très sympa ce début.

Leo Degal

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Il y a 2 mois

Merci ☺️
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