Fyctia
43 - Lorenzo.
C’est Gaëtan qui a décroché le premier rôle. Celui de la marraine est revenu à Sophie, tout naturellement.
Je mentirais si je disais que ça ne m'a pas fait un pincement au cœur de ne pas avoir été choisi pour endosser la charge. Je suis bien conscient que je ne suis pas la personne la plus digne de confiance à cause de ma tendance à fuir les responsabilités comme la peste noire. Mais là, il s’agit de la famille. Mélanie et Patxi savent très bien que c’est un principe que j’élève au rang de valeur, de ligne de conduite. De morale.
Pour moi, devenir parrain civil - puisque le couple n’a aucune conviction religieuse - ça veut dire créer un lien puissant avec l’enfant à naître, établir une forte complicité, le soutenir, l’accompagner dans toutes les étapes de sa vie, l’inspirer. Je me crois parfaitement à même d’incarner une telle figure pour lui, surtout avec l’exemple que m’a donné mon père. Je ne vois pas en quoi ma ponctualité, mes frasques du samedi soir, la fumette, mes petits oublis de mettre une capote de temps en temps et mon immaturité peuvent interférer avec ces différentes fonctions. Je pourrais mourir pour protéger ce bébé, sans la moindre hésitation. Les liens du sang n’ont rien à voir là-dedans.
Réfléchir de cette manière, ça devrait faire de moi un bien meilleur candidat au poste que Gaëtan et sa future femme, non ?
« Même cet abruti de Jib est arrivé avant toi ! », halète Mélanie entre deux coups de poing.
On entend ce dernier ricaner à quelques longueurs de queue de là, ayant manifestement terminé sa petite pause aromatique. Mon bourreau s’arrête de me frapper, fronce les sourcils, lève le nez au ciel.
Renifle.
Elle pointe un doigt dodu et terminé d’un faux-ongle de cinq centimètres de long sur blond dégingandé qui nous observe :
« Rigole, Jean-Baptiste. Je finis de tuer Loren et c’est à ton tour dans une minute.
« Personne ne va tuer personne. Lâche-le, mon amour, intervient Patxi d’une voix douce, faisant claquer la pince du barbecue qu’il pointe sur sa femme. Allez, lâche-le ! »
Elle me repousse à contre-cœur, grommelant des insultes dans sa barbe. Je frotte mes bras meurtris en la foudroyant du regard.
« Et puis, c’est l’ancien Lorenzo que tu castagnes. Il essaye de changer, maintenant. Pas vrai, mon vieux ? reprend le colosse en me faisant un clin d’oeil.
« Tu dis ça à cause de son inscription à l’application de rencontre ? Pfff ! Loren va tenir deux semaines puis il va se lasser. Comme tout le reste.
« Application de rencontre et Loren dans la même phrase ? », claque une voix familière dans mon dos.
Avec un sourire crispé, je me retourne lentement sur ma sœur aînée, resplendissante dans une longue robe de mi-saison à motif fleuri, aussi jaune que son aura. Les mains posées sur ses hanches, elle me sourit de toutes ses dents, un petit air narquois sur le visage.
Mélanie se fait un plaisir de lui expliquer de quoi il en retourne.
« Nooon, t’es pas au courant, K ? Lorenzo a décidé d’arrêter les conneries. Il veut enfin se poser... Il a même passé le pas ! »
À cette nouvelle, un cri de joie fend le cercle qui s’est formé autour de moi. Un petit bout de femme se jette dans mes bras et m’enlace par la taille. Le parfum épicé de ma mère vient me chatouiller les narines. Même si je suis excédé par la situation, je ne peux m’empêcher de sourire. J’embrasse la personne la plus importante de mon univers sur le sommet du crâne.
« Mamma. »
Le tissu soyeux de sa robe bruissant derrière elle, Chiara enferme mon visage dans la coupe de ses mains et m’embrasse sur la joue. Je la repousse en ronchonnant, comme tout petit frère le ferait face à celle qui attrapait jadis des mantes-religieuses dans le jardin pour les mettre dans son caleçon.
« Tu t’es trouvé une femme, mon fils ? demande ma mère, les yeux brillants.
« Tout doux. On n’en est pas là, Ma. On en est même très loin.
« Elle s’appelle Skylar », glisse Patxi en traître, se mordant la lèvre pour ne pas rire.
Ma sœur se jette sur les poches de mon pantalon à la manière d’un chat sauvage pour y trouver mon téléphone.
« Fais voir !!! »
Avec un grondement sourd, je lui attrape les poignets sans le moindre effort et la stoppe dans son élan. Il est loin le temps où elle pouvait me ruer de coup juste parce qu’elle était plus grande que moi.
« Lolotte ! Tu me fais mal !
« Putain, K, on n’a plus six ans, arrête avec ce surnom de merde ! Et elle s'appelle rien du tout, ça fait à peine une semaine qu’on se parle.
« C’est déjà un record battu, pour toi, non ? rétorque-t-elle en se débattant sous mes doigts. Allez, Lolotte, montre à quoi elle ressemble. »
Je la lâche et toussote, mal à l’aise devant toute cette attention mal placée. Je passe une main dans mes cheveux noirs et cirés.
« Je ne sais pas encore à quoi elle ressemble.
« Et pourtant tu discutes avec elle ?
« Ah ouais, dit Mélanie, une main sur son ventre rebondi. Tu dois être salement piqué.
« Je ne suis pas piqué. Je ne la connais pas.
« Et tu continues à lui parler. Ça ne te ressemble pas, petit frère. »
Chiara me plante un doigt dans la poitrine en se tortillant. Ma mère me regarde comme si j’étais la huitième merveille du monde.
« Et même que... commence une voix nasillarde.
« Ta gueule, JB, dis-je en chœur avec le reste du groupe.
« Je vais enfin avoir des petits enfants ! s’écrie ma mère, la seule qui n’a pas osé dire au blondinet de se la fermer.
« Non, mais on se calme ! Et puis, merde à la fin, vous n’avez pas oublié qu’il y a Chiara devant moi ? Toi aussi t’es célibataire, aux dernières nouvelles ! »
Cette dernière passe une mèche de sa longue chevelure noire de jais derrière l’une de ses oreilles, d'où pend une grosse créole en or. Elle agite une main dédaigneuse devant moi.
« Moi, je suis mariée avec mon boulot. Et puis, j’ai eu de longues relations. Toi, tu enchaînes les plans culs depuis que t’as dix-huit ans. T’as jamais plus laissé une seule fille s’approcher trop près de ton cœur depuis… depuis… Merde, comment elle s’appelait déjà, l’espèce d’hystérique siliconée qui t’a largué parce que t’étais trop étouffant ? »
Je serre la mâchoire à m’en faire péter les dents et ferme les poings sur l’ourlet de mon t-shirt. Ma sœur adopte une posture défensive quand elle comprend mon changement d’humeur.
Les yeux noirs, je me tourne vers Mélanie.
« C’est la fête de ton bébé ou la mienne ? » lui asséné-je sèchement.
Elle esquisse une moue désolée, essaye de me retenir par le bras quand je me dégage de mon cercle d’amis.
« Loren, c’est bon…
« J’ai quand même le droit de me prendre un truc à grailler ? »
Sans attendre de réponse de sa part, je les plante là, au milieu du carré bétonné du jardin. Je sens leurs regards brûlants dans mon dos.
Alors que je me dirige vers le buffet, je sens la poche de mon pantalon vibrer contre ma cuisse. Étant donné que toute ma famille et mes amis sont ici, je sais d’ores et déjà de qui provient ce nouveau message.
Je me sens déjà beaucoup plus détendu.
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Elobiblio
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Janessa
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Adriana_dreux
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Hilona Garry
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FleurDelatour
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