Fyctia
42 - Lorenzo.
Au vu de toutes les voitures familières stationnées sur la parcelle bétonnée, je suis visiblement le dernier à me garer dans l’arrière-cour qui divise en deux parties distinctes le terrain où cohabite la maison de Patxi avec celle de ses grands-parents. Il semblerait que même JB soit arrivé avant moi à l’événement, ce qui est assez inquiétant. Je jette un coup d'œil au cadran digital du tableau de bord de ma Peugeot 208, qui m’apprend que j’ai presque une heure et demie de retard. J’en connais une qui va se faire un collier avec mes dents.
Comme je ne suis plus à une minute près, je prends le temps de m’admirer une dernière fois dans la vitre du cabriolet avant de me diriger vers les bruits des festivités. Pour l’occasion, j’ai enfilé un t-shirt moulant à manches longues imprimé rayures - dans le style marinière - et je l’ai assorti à un pantalon blanc de coupe chino ainsi qu’à une paire de baskets de la même couleur. J’ai coiffé mes épais cheveux noirs en arrière à grand renfort de cire et j’ai taillé les poils de ma barbe. Je gratifie mon reflet d’un sourire espiègle.
Rien à dire, je suis un putain de beau gosse.
Je longe le mur immaculé de la baserri - ferme basque - qui encadre l’arrière-cour pour me rendre sur les lieux de la fête, qui semble battre son plein de l’autre côté de la bâtisse. Plus les rires et les conversations se précisent, plus j’ai envie de prendre mes jambes à mon cou. Tout dans ce genre d’événement d'adulte me donne envie de rendre mon petit-déjeuner.
Je m’arrête brusquement, lève le nez au ciel.
Renifle.
Le vent m’apporte des effluves de fumée de barbecue et de txistorra grillée, taquinées par des relents plus ténus de cannabis. Intrigué, je me baisse vers le petit potager sur ma droite, celui de la grand-mère de Patxi, dans lequel JB a essayé de faire pousser du chanvre quand on avait 14 ans. Je me sens complètement con d’avoir pu croire ne serait-ce qu’une seconde qu’il avait pu réussir après toutes ces années quand ce dernier, dissimulé dans les ombres de l’angle de la maison aux volets rouges traditionnels, se met à cracher ses poumons, un énorme spiff entre les doigts. Tandis que je me relève, je constate qu’il n’est pas tout seul. Une brune à la peau cuivrée et aux lèvres refaites, moulée dans une mini-robe marron, lui caresse l’épaule lascivement.
Je tousse pour annoncer ma présence. Ils se retournent tous les deux en même temps.
« Frérot, si Mélanie te voit avec un joint dans la bouche à sa Gender Reveal Party, t’es un homme mort, lâché-je en claquant mon bras contre celui de mon pote.
« Occupe-toi de tes propres problèmes, mon vieux. Elle a déjà maudit trois de tes futures générations et crevé cinq ballons en imaginant que c’était ta tête.
« Sérieux ? Oh, putain »
Je déglutis.
J’ai pour Mélanie le même amour que celui que je porte à mes propres sœurs de sang. Il faut dire que je la connais depuis presque aussi longtemps que je connais Gaëtan, à un an de différence près. Je suis sortie avec elle en troisième année de collège pendant une ou deux semaines ; c’est même avec elle que j’ai fait ma première fois, à 13 ans. Ça n'a pas du tout marché entre nous mais on est resté très soudés en tant qu’amis. Quand Patxi s’est greffé à notre trio lors de notre première année de lycée, elle est aussitôt tombée sous son charme de grizzli inoffensif. Plus de dix ans plus tard, ils sont mariés et à quelques mois de récolter le fruit de leur amour.
Ah, au fait, est-ce que j’ai précisé qu’elle a le caractère d’une lionne avec une épine plantée dans la patte ?
JB s’esclaffe devant mon air terrorisé et m’attrape par l’épaule.
« Je te présente Paloma.
« Mademoiselle soirée mousse de la Nuba, dis-je en lui faisant la bise.
« En personne », répond-elle avec un fort accent espagnol.
De prime abord, elle a l’air sympathique. Même si je ne comprends toujours pas comment une telle chose puisse est possible, je suis content que mon pote se soit trouvé une fille capable de le supporter plus d’une heure sans avoir envie de lui arracher les couilles pour les lui enfoncer à la place des yeux.
« Bon… Je vous laisse, je vais affronter Médusa.
« Ouais, on arrive dans cinq minutes. Bon courage, vieux. Planque tes bijoux de famille. »
Je grimace et porte instinctivement mes deux mains sur mon précieux paquet, comme pour me protéger d’un tir mal placé pendant un coup-franc. Je prends une grande inspiration puis tourne à l’angle de la baserri, m’exposant à la lumière du soleil de ce début d’après-midi ; lumière qui éclaire un spectacle cauchemardesque.
Non mais quelle horreur, putain.
Du bleu. Du rose. Des tétines.
Partout.
Sortez-moi d’ici.
Une longue table en bois recouverte d’une nappe immaculée est dressée sur le carré de bitume qui encadre la porte d’entrée de la maison des grands-parents de Patxi. Un énorme gâteau bleu et rose de plusieurs étages trône en son centre, au milieu de nombreuses victuailles bourrées de colorant alimentaire, de verres et assiettes en plastique, de sachets à dragées et de petites figurines représentant des bébés souriants. Des centaines de ballons aux deux couleurs du jour sont disposés un peu partout dans le jardin, à même le sol ou accrochés aux branches des sapinettes. Une cage de but à l’intérieur de laquelle on a accroché une bâche de précision et une cible frappée de lettres dorées “Is it a boy or a girl ?” est plantée dans la pelouse, qui a été rafraîchie pour l’occasion. Le tout incarne à la perfection tout ce que j’essaye de fuir depuis que mes premiers poils de bite et de menton ont poussé : les responsabilités, la maturité, la vie d’adulte.
Tout ce vers quoi je me suis promis de me tourner désormais.
Parmi les convives éparpillés dans la cour, je repère Gaëtan et Sophie en train de se goinfrer près du buffet, la benjamine de ma fratrie qui court après le chat en rigolant, des gars du foot qui taquinent la balle dans l’herbe, Patxi en grande discussion avec son père et son grand-père tout en gérant la cuisson des saucisses devant le barbecue, ma mère qui cagnarde comme une oie en caressant le ventre rebondi de Mélanie.
Cette dernière tourne la tête dans ma direction. Croise mon regard. Perd son sourire.
Haut de mes cent quatre-vingt-cinq centimètres, fort de mes soixante dix-huit kilogrammes et fier comme je le suis de ma virilité, je recule néanmoins devant la petite furie blonde qui traîne son gros cul de baleine vers moi en vociférant.
Toutes les têtes se tournent vers nous quand elle hurle mon patronyme :
« Lorenzo Francis Gianmarco Barat ! »
Ses petits poings potelés s’abattent sur mon torse, mes épaules, mes bras.
« Meeeeel ! Arrête ! Ce n'est pas bon pour le bébé ! haleté-je.
« Alors ne me fais pas stresser et arrive à l’heure ! Tu vois, Loren, c’est exactement pour ce genre de comportement que je ne t’ai pas choisi pour être le parrain de l'enfant ! »
Ouf.
La pique verbale atteint sa cible.
Et ça fait beaucoup plus mal que les coups que Mélanie fait pleuvoir sur moi.
15 commentaires
Lyaminh
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Hilona Garry
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Mary Cerize
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Hilena
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Il y a 4 ans