Fyctia
41 - Lorenzo.
Je n’arrive pas à détacher mon regard du magnifique dessin de Skylar : les contours d’une silhouette féminine surplombée d’un amas de cheveux corail attachés en un chignon brouillon, serrant dans ses mains floutées un livre usé à la reliure de cuir. Des pages jaunies de ce dernier éclot la racine géante d’un rosier épineux et bourgeonnant, entourée de volutes lumineuses de la même couleur que sa tignasse courte. La douceur, la fragilité et la sensibilité qui se dégagent de l’ensemble de l’esquisse m’ont pris à la gorge à la seconde où j’ai posé mes yeux dessus.
Pour être honnête, j’ai du mal à attribuer ce croquis doucereux à son artiste, celle à qui je parle par messages depuis plusieurs jours maintenant, et que je croyais avoir cerné. Je suis déjà séduit par son sens de l’humour, sa répartie, sa hargne et son besoin d’en découdre. Mais je crois que je suis encore plus charmé par toutes les émotions débonnaires qu’elle semble dissimuler sous sa carapace de fer, et que je viens de découvrir dans son dessin. J’ai envie d’apprendre à connaître cette Skylar-là, de la toucher du doigt. De la protéger, même.
Si, quelques minutes à peine, j’avais encore des réticences concernant mon envie de continuer l’aventure d’Oxymore avec cette fille peu commune, avec ses défauts que Lucie démasque au fil des jours, ses goûts étranges et ses centres d'intérêt à l’opposé des miens, elles viennent toutes de s’envoler. Mais j’ai de nouvelles craintes qui fleurissent, de la même façon que les bourgeons de son esquisse déchirent les pages effritées du mot que je dois deviner. Est-ce que je serai à la hauteur ? Est-ce que moi, qui détruit tout ce que je touche par fierté ou immaturité, je serai capable de prendre soin de la fille qui se cache derrière ce dessin ?
« Tu fais cette tête parce que tes petites cannes de poulet n’arrivent pas à pousser plus de 60 kilos ? On dirait que tu vas pleurer. »
Je lève le nez de mon téléphone sur le visage souriant de Patxi, qui me tend ma bouteille d’eau fraîche laissée par terre. Je m’en saisis en m’esclaffant.
« Mes petites cannes de poulet, elles te mettent dans les dents au moins dix secondes d’écart sur un sprint au 100 mètres. »
Il éclate de rire tout en empoignant mon épaule de son énorme main d’acier. Je frémis à ce contact, craignant qu’il me fracture la clavicule accidentellement.
« T’es sur la presse à cuisses depuis 20 minutes et je ne t’ai pas vu faire une seule série.
« Ouais… Je ne suis pas dedans, désolé.
« Je vois ça, dit-il en hochant la tête. Qu’est-ce qu’il y a ? »
Il me fixe de ses deux yeux bleus lagon et je ne peux m’empêcher de baisser les miens, intimidé par le poids de son regard scrutateur. Je me lève de la machine et me sèche le dos avec la serviette sur laquelle j’étais assis.
« Rien du tout. Je vais rentrer.
« T’as pas lâché ton téléphone de la séance. Est-ce que ça aurait un rapport avec la fille que tu as rencontré sur cette application de rencontre Oxychose ?
« Comment tu…
« Gaëtan. Il est passé à la maison il y a deux-trois jours. Il m’a raconté. Tu as envie de m’en parler ? »
Je serre le poing sur ma bouteille d’eau en plastique qui craquelle sous mes doigts avec un bruit de protestation. Mon meilleur ami ne perd rien pour attendre demain midi, cette sale petite balance. Je n’avais pas l’intention de parler à Pichu de mes nouvelles résolutions, et encore moins de mon inscription à Oxymore. La dernière chose dont j’avais envie, c’était lui donner raison. Pourtant, il n’a pas l’air de vouloir fanfaronner devant moi. Bien au contraire.
Je triture la ficelle qui pend de l’élastique de mon short de sport.
« Il n’y a pas grand chose à dire pour l’instant. Elle s’appelle Skylar et elle est cool. On verra bien ce que ça va donner.
« Lorenzo Baratineur qui arrive à retenir le prénom d’une fille. Je suis ému. »
Un rapide coup d'œil à l’entrée de la salle de sport m’apprend que l’hôtesse d’accueil n’est pas à son poste et, par conséquent, ne peut pas me surprendre. En faisant la moue, je profite de son absence pour dévisser le bouchon de ma bouteille d’eau et jeter un filet de son contenu sur mon pote, qui s’esclaffe aussi fort qu’un ours en période de reproduction. De nombreuses têtes agacées - pourquoi les gens qui viennent se muscler ont-ils autant besoin de tranquillité que ceux qui viennent réviser dans une bibliothèque ? - se tournent vers nous et on essaye de contenir notre hilarité. Patxi chope ma nuque avec l’intérieur de son coude et me plaque contre son torse aussi dur qu’une porte de prison. Il sent si fort la transpiration que je tousse. Tout en m'ébouriffant les cheveux, il me susurre à l'oreille :
« Si je contracte un peu plus, je te broie ta petite tête de piaf écervelé juste avec mes pecs. Tu veux toujours faire le malin, mon frère ? »
Rouge comme une tomate, je lui tape frénétiquement le biceps de ma main valide pour lui faire comprendre que s’il ne me lâche pas de suite, mon nom sera dans les rubriques nécrologiques du journal de demain. Il me lâche en riant de plus belle et je m’éloigne de lui avec la mine d’un enfant vexé, me dirigeant vers les escaliers qui mènent aux vestiaires des hommes en lui faisant un doigt d’honneur alors qu’il s’installe sur la presse à cuisses que j’ai libéré.
« Moi, au moins, j’arrive à voir ma bite quand je baisse la tête, bougonné-je en montant la première marche.
« J’ai entendu, petit con ! me crie-t-il en pouffant. Eh ! Loren ! »
J’interromps mon ascension, une main sur la rambarde.
« N’oublie pas qu’il y a la Gender Reveal Party samedi. Début des festivités à 12h30. »
Je me frappe le visage avec la main. Putain, j’avais oublié cette connerie.
Je pointe mon pouce dans sa direction tout en maugréant une réponse positive. Même si j’ai envie de m’arracher les cheveux rien qu’à l’idée de me rendre à un événement pareil. Mon pire cauchemar.
J’ouvre mon casier et attrape mon sac. Je m’assois sur l’un des bancs à disposition des vestiaires et ouvre Oxymore sur ma conversation avec Skylar. Avec l’interruption de Patxi, je n’ai toujours pas pu lui répondre. Elle m’a même envoyé un autre message.
Je pouffe.
[ **Lucie** : Félicitations, Lorenzo. Tu as débloqué de toi-même une information sur Skylar.
“Artiste”
Équilibre des différences estimé à : 9,47%
Équilibre des différences nécessaires pour débloquer la deuxième Plume : 10%.
Informations restantes totales à débloquer : 340. ]
Oh. Moi, je sais.
18 commentaires
Jo Mack
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Il y a 4 ans
Barbara Dhilly
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Emy J. Thys
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Il y a 4 ans
Aziliz Bargedenn (Melocoton)
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Aziliz Bargedenn (Melocoton)
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Hilona Garry
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40books
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans