Fyctia
40 - Skylar.
Les larmes aux yeux, Vinnie m’arrache le téléphone des mains pour lire à son tour les messages de Lorenzo. Le rire gras de mon meilleur - terme à redéfinir - ami résonne dans tout le salon, claque à mes oreilles comme des milliers de coups de fouet ; je mérite chacun d’entre eux pour avoir été aussi naïve. Quand il a fini de se gausser de ma misère, il tend son bras secoué de soubresauts hilares vers moi pour me rendre mon smartphone. Je m’en saisis avec un feulement consterné.
« T’es un abruti, Vincent ! Tu me forces presque à m’inscrire sur cette appli de rencontre, et, quand c’est fait, t'essayes de tout gâcher ! Comment je vais rattraper une bourde pareille ?Pétard, c’est la honte intergalactique.
« Et attends, regarde, il y a aussi l’intelligence artificielle qui s’en mêle... »
Je me fourre une mèche de cheveux dans la bouche en poussant un cri de rage et, sans plus de cérémonie, je le plante au milieu du salon. En claquant la porte de ma chambre, je hurle dans le couloir :
« Elle s’appelle Lucie ! »
Je me jette sur mon fauteuil et remonte mes genoux contre ma poitrine. Je prends une grande inspiration pour affronter la vue des messages que je n’ai pas encore lus.
[ **Lucie** : Si je donne la réponse à la devinette n°1, l’information qui sera débloquée ne comptera pas dans le calcul du pourcentage de votre complicité. ]
[ **Lucie** : La réponse à la devinette n°1 est haltères.
Je débloque une information sur Lorenzo.
“Pratique de la musculation”
Cette information n’est pas prise en compte dans le calcul du pourcentage de votre complicité. ]
Un frisson prend racine au creux de mes reins, remonte le long de ma colonne vertébrale dans une caresse féline, dresse les poils de mon bras. C’est la première fois depuis qu’il connaît mon prénom que Lorenzo m’interpelle par son diminutif. Je ne sais pas pourquoi ça me fait autant plaisir.
Le sourire qui s’est peint sur mon visage disparaît aussi vite qu’il est arrivé.
Non, je ne suis pas d’accord.
Les sourcils froncés et les lèvres plissées, je clique sur le logo représentant un petit cygne noir tenant un crayon à papier dans son aile, juste à côté de la barre de texte de la chatbox. Je furète dans les différents onglets du mini-jeu intégré jusqu’à ce que je trouve ce qui m'intéresse, le dessin de Lorenzo. Je l’analyse une énième fois, l’examine avec un regard nouveau, le tourne et le retourne sous tous les angles. Rien à faire. Je ne les vois pas, ces fichues haltères.
Je prends une capture d’écran et retourne sur ma conversation avec mon Opposé. J’étrenne la fonction pièce-jointe, débloquée trois jours plus tôt en même temps que Draw Me A Swan, en lui envoyant la photo.
Je rigole.
Mes dix-sept années de dessin aussi.
Mon diplôme supérieur d’arts appliqués encore plus.
Tandis que je clique sur Draw Me A Swan, je croise les doigts pour que Lucie garde mes aptitudes graphiques secrètes.
Je veux qu’il tombe de haut.
Ce qu’il n’a pas compris, visiblement, c’est que je serai toujours meilleure que lui.
Le mini-jeu s’ouvre sur une page vierge. Lucie m’indique en bas de l’écran que je suis censée faire deviner à mon match le mot “Livre” qui débloque naturellement mon centre d'intérêt “Lecture”. Il n’y a absolument rien de plus facile à dessiner que cet objet-là. Je regrette même de ne pas avoir un peu plus de challenge de la part de l’intelligence artificielle, qui est pourtant au courant de mon parcours et de mes capacités.
Je furète dans les tiroirs mal rangés de mon bureau pour y dénicher le stylet tactile - ce n’est pas interdit dans les règles, après tout - qui s’accorde à mon téléphone et je connecte les deux appareils à l’aide du Bluetooth. Quand ils sont appariés, je pose le smartphone à plat sur la surface de travail et l’oriente en position horizontale. Je ferme les yeux plusieurs minutes, visualise toutes les idées qui se frayent un chemin dans ma tête. J’en choisis une, celle que je trouve la plus représentative, la plus tape-à-l’oeil. Celle qui lui en mettra plein la vue, lui fera rabattre son caquet insupportable et... je me déteste de le reconnaître, attachant.
Je trace une première ligne. Puis une deuxième.
Dix minutes à peine se sont écoulées que déjà Lorenzo perd patience.
Je fais claquer ma langue contre mon palais, agacée de devoir changer de fenêtre pour lui répondre :
Je lève les yeux au ciel. Il ne me reste plus qu’à ajouter de la couleur à mon dessin et j’ai terminé. Je grimace devant le choix particulièrement limité que la palette de nuances du mini-jeu met à ma disposition. Le petit cygne noir à l’écran me zieute l’air de dire : “Tu t’attendais à quoi ? C’est une application de rencontre pas le terrain de jeu de David Hockney, ma grande.”
Ma grande.
Un petit cri de souris m’échappe quand je me rends compte de ce que je viens d’écrire. J’ai laissé mes doigts frapper les touches au rythme de mes pensées. Je n’ai pas réfléchi. Je saute à pieds joints sur le carrelage froid de ma chambre et fourre les ongles de ma main droite dans la bouche.
Pétard, pétard, pétard…
Le téléphone se met à bourdonner.
« Hiii ! »
Je serre mon smartphone contre ma poitrine, bondissant sur place.
Ce mec a le don de me faire lever les yeux au ciel.
Je lui envoie mon dessin, me triturant la pointe d’une mèche de mes cheveux colorés dans l’attente de sa réponse. Qui met quelques minutes à arriver.
23 commentaires
Mymy M. *Sakuramymy*
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Hilona Garry
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